LES ANNONCES DE DARMANIN : NUL DOUTE QUE L’INSECURITE ET LA VIOLENCE CONTINUERONT A PROGRESSER

Raphaël CONSTANT

Le débat (la campagne ? La propagande ?) lancé depuis le moins de juin sur la question de la sécurité n’est pas nouvelle. Elle revient régulièrement depuis quelques années.

D’un coté des syndicats de policiers (dont la tendance droitière sinon extrême droitière n’est un secret pour personne sauf pour les journalistes de Martinique) réclamant des moyens matériels et humains pour chasser la délinquance. De l’autre des élus semblant aux abois multipliant déclarations et motions pour réclamer au gouvernement d’éradiquer la violence et l’insécurité.

Le passage éclair du Ministre Darmanin (lui aussi très proche des idées de l’extrême droite et de la xénophobie et dont personne – surtout pas nos élus- n’a osé lui rappeler qu’il était encore poursuivi dans une affaire de viol) a couronné cette campagne avec des annonces de renforcement humain (30 gendarmes et 10 inspecteurs pour la lutte contre la drogue) et matériel (mise en place de radars) pour lesquels tout le personnel officiel s’est réjoui.

Je l’ai déjà écrit ou dit depuis une quinzaine d’années, la montée de la violence et de l’insécurité en Martinique ne sont pas dûs au trafic de drogue. On confond les causes et les conséquences. Et les nouveaux moyens n’auront aucun effet contre cette insécurité et la violence mais tout au plus, augmenter l’encadrement et le contrôle de la société martiniquaise par des forces dites de l’ordre.

La montée de l’insécurité, des délits et crimes, de la violence est avant tout la conséquence de l’insécurité sociale et de l’augmentation des inégalités et de la pauvreté en Martinique. S’il y a de plus en plus de (jeunes en partie) martiniquais qui optent pour des moyens déviants pour « s’en sortir » et « vivre », c’est qu’il n’y a pas de travail et que les cellules familiales ont explosé dans d’importantes proportions. A titre d’autres exemples, si le centre-ville de Fort de France est devenu insécure, c’est du fait de la présence de dizaines (centaines.) de MSK (Moun San Kay) qui y sont présents. Et ce n’est pas l’installation du RAID qu’a demandé le maire Laguerre qui y changera quelque chose.

Si on veut vraiment lutter contre l’insécurité et la violence, il faut donner des emplois et des perspectives de vie décente et épanouissantes à la jeunesse martiniquaise, particulièrement des milieux populaires. Sinon à défaut d’émigrer, ils vont en partie choisir la délinquance.

La seconde cause de cette montée est le choix de la politique pénale du « tout répressif » des différents gouvernements français et des institutions judiciaires. Des magistrats français incarcèrent à tour de bras dans ce pays, y compris des primo-délinquants, sans tenir compte des données sociologiques et sociales de ce pays et des situations individuelles. Le Service de probation qui est censé ou d’éviter la prison ou de préparer les sorties de prison démontrent chaque jour son incapacité ou à tout le moins ces limites.

C’est donc ainsi que nous avons en Martinique un taux d’incarcération près de trois fois supérieurs à ce qui se passe en France sans que ni magistrats (il s’en moquent pour la plupart car ils ne sont que de passage), ni politiques (ils devraient s’en préoccuper) ne s’émeuvent de tels chiffres.

Un des effets de cette politique est que la prison ne fait guère peur car elle est devenue si commune et si habituelle pour de nombreux secteurs de la jeunesse. Un autre effet est que la meilleure école de la délinquance et du crime se trouve au Centre Pénitentiaire de Ducos. Bref plus on incarcère, plus la « Justice » crée des délinquants chevronnés.

Concernant la drogue, il est certain que ce trafic se développe depuis plusieurs années. En Martinique et de manière plus générale en Occident, particulièrement en France et aux USA, la lutte contre le trafic des stupéfiants s’est traduite par un échec total. La dernière assemblée des nations unies contre le trafic des stupéfiants a souligné cet échec et considéré que les moyens de lutte n’étaient pas adéquats à la situation.

En Martinique, la réalité est que depuis des années, le trafic se développe et que les gangs apparaissent et se renforcent. La plupart des « succès » ou des « saisies » des services de polices ou de la marine nationale sont la conséquence non d’un travail d’enquête mais de dénonciations supposées anonymes. En dépit des conférences de presse de victoires, la réalité est que pour 1 kilo saisi, le double passe les filets de la répression.

Il reste vrai que le trafic de stupéfiant joue un rôle certain dans la délinquance et la montée de la violence. Sans grande certitude, on peut poser des bases d’explications à ce double phénomène.

D’une part, la Martinique est un lieu de passage important entre l’Amérique Latine et l’Europe de la cocaïne. En contre partie de quoi, on reçoit du cannabis venant principalement du Maghreb et en partie de la Caraïbes. Ceci a déjà été identifié depuis plusieurs années par l’Observatoire des drogues et de la Toxicomanie. La réalité est que jamais la police ou la gendarmerie n’a jamais été en mesure d’arrêter ce flot de passage ou même de le diminuer, sans parler du fait de l’absence de toutes mesures sérieuses contre la consommation intérieure. Le maintien de la pénalisation de l’usage du cannabis est un des signes de l’incapacité du pouvoir français à trouver un début de solution à cette question. Le traitement du passage de la drogue à partir de la Guyane en est un autre exemple criant.

D’autre part, dans le même temps, tenant compte de l’augmentation de la drogue transitant en Martinique, les sommes en jeu ont augmenté dans des conditions stratosphériques avec comme conséquences un renforcement des structure criminelles et une diminution de la valeur de la vie pour les trafiquants. Les sommes en jeu sont telles et la répression est si forte que tuer est devenu une donnée comme une autre dans un marché à coup de dizaines de milliers d’euros. Ainsi s’expliquent les nombreuses morts qui sont le plus souvent des exécutions et des signaux d’avertissement.

Face à ce phénomène, les mesures de M. DARMANIN sont des cautères sur des jambes de bois. Elles n’auront pas plus d’effet que les précédentes décisions comme l’opération de « désarmement » ridiculement renouvelées chaque année pour se faire plaisir. L’augmentation de la répression va toujours répondre aux dénonciations d’un gang contre un autre et non à un travail de démantèlement sérieux d’un réseau de trafiquants. En outre, ni la police, ni la justice française n’offre de conditions de sécurité dignes de ce nom à d’éventuels délateurs.

Non seulement la délinquance et la violence ne vont diminuer avec de telles mesures dans le cadre social actuel mais on peut prédire que ce qui augmentera et se développera ce sera la corruption. Elle est déjà assez évidente au sein des services pénitentiaires et dans certains services de polices. La gendarmerie et la magistrature semble encore y échapper tenant compte de leur organisation mais surtout du temps que ces fonctionnaires restent sur place.

La réalité de ce renforcement policier et gendarmesque va être payé surtout par les divers opposants au système actuel et non les trafiquants qui se complaisent dans celui-ci.

La seule excuse des politiciens qui soutiennent les mesures gouvernementales est leur méconnaissance de la situation et même leur totale incompétences en la matière.

Il reste que l’incompétence n’excuse pas toujours la bêtise.

Le 09/10/22

R. CONSTANT

Avocat et militant

Commentaires

Qu'est-ce que la violence ?

OuiNon

10/10/2022 - 18:18

A ma connaissance, pour l'accusation de viol, le ministre de l'intérieur a bénéficié d'un non-lieu en juillet 2022. Il n'est donc pas poursuivi dans cette affaire.
Au sujet de la violence, il faudrait d'abord définir ce qu'on entend par là. Un indicateur souvent utilisé est le nombre d'homicides. Il y en a eu 24 en Martinique depuis le début de l'année. C'est à dire autant que dans les Bouches-du-Rhône, département réputé criminogène et 5 fois plus peuplé.
Dans les Bouches-du-Rhône, il paraît que la plupart des homicides sont liés à la drogue. Un travail intéressant serait de relever les motivations des assassins de Martinique. On connaîtrait ainsi la cause primaire de la violence dans l'île, du moins si l'on prend les homicides comme indicateur.
Il faut aussi noter que le principal responsable du trafic de drogue est le consommateur. En Martinique, ce sont les classes aisées qui ont initié le phénomène!ne, lequel s'est popularisé. Tous ceux qui achètent tranquillement leur dose par la fenêtre de leur voiture au dealer du coin, entretiennent la violence.
Quant à dire que certains ne peuvent faire autrement que de dealer, à cause de leur pauvreté, ça stigmatise les défavorisés du système, alors que les acteurs de la drogue sont de toutes les classes sociales. Et puis le deal, c'est comme la prostitution. Parmi des filles également pauvres, il y en a qui se prostituent et d'autres non.
Quant aux MSK, SDF ou sans-abri, s'ils peuvent paraître inquiétants d'allure, agressent-ils les gens ? Personnellement, je n'ai jamais été menacé par aucun d'entre eux. Alors qu'il m'est arrivé de l'être par d'autre..

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