La désaffection de l’UQAM

« Berri-UQAM : une désaffection qui saute aux yeux », titrait un article du Devoir du 11 février 2023. Le centre-ville de Montréal autour de l’UQAM est en effet de plus en plus visiblement décrépit. Cet article arrive après d’autres nous annonçant, par exemple, la fermeture d’institutions du quartier, comme le Saint-Sulpice et Archambault. Sous nos yeux, c’est tout le « Quartier latin », le quartier qui s’est épanoui et qui a grandi avec l’UQAM, qui est en train de partir en lambeaux.

Il est instructif de comparer (subjectivement) la dynamique qui règne autour de l’UQAM avec celle autour de Concordia pour constater qu’une tout autre vibe règne dans le quartier universitaire un peu plus à l’ouest. La question se pose : le déclin du Quartier latin serait-il lié au déclin de l’institution phare de ce quartier, c’est-à-dire l’UQAM ?

C’est la commission Parent qui, au milieu des années 1960, a recommandé la fondation de deux nouvelles universités à Montréal, l’une française (l’UQAM) et l’autre anglaise (Concordia). Étonnamment, la Commission faisait cette recommandation, alors que c’est pourtant du côté français, pas du côté anglais, qu’une explosion de la fréquentation universitaire était prévue : « Alors qu’en 1960-1961, la proportion des garçons de langue française de 18 à 21 ans inscrits à l’université était inférieure à 10 %, nous prévoyons qu’elle augmentera très rapidement […] dans les universités de langue française, le nombre d’étudiants aura presque triplé en moins de dix ans, quintuplé en quinze ans, et plus que sextuplé en vingt ans. »

Le Québec se sentait manifestement contraint de donner aux anglophones la même chose que ce qu’il accordait aux francophones, et ce, même si les raisons pour le faire étaient faibles. Cette création de deux institutions jumelles, l’une francophone et l’autre anglophone, est l’illustration saisissante de l’empire de l’idéologie du « libre-choix » de la langue d’enseignement au postsecondaire, idéologie qui détermine depuis des décennies l’action du Québec en ce domaine.

Mais la marée montante du baby-boom est aujourd’hui en reflux. Le poids démographique des francophones au Québec est en chute libre. Le recensement 2021 a montré que les francophones ne constituent plus que 51,5 % de la population de l’île de Montréal selon la langue parlée le plus souvent à la maison. Déclin qui va se poursuivre pour tout l’avenir prévisible.

La clientèle des universités se répartit, grosso modo, en fonction de son origine linguistique ; les francophones poursuivent (généralement) leurs études en français, les anglophones (presque toujours) en anglais tandis que les allophones s’inscrivent dans les universités en français en fonction de leur tropisme (à Montréal : à 70 % pour les « francotropes » et à seulement 5 % pour les « anglotropes »). Moins de francophones dans la population conduit donc mécaniquement à une baisse des inscriptions dans les universités françaises.

On peut donc se demander comment évolue l’UQAM relativement à Concordia, alors que le poids démographique relatif des francophones à Montréal est en train de s’écraser ?

L’effectif étudiant global de l’UQAM est passé de 38 800 étudiants en 1995 à 35 250 en 2022, soit un déclin de 3550 étudiants ou 9,15 %. Pour la même période, celui de Concordia est passé de 24 844 à 38 744, soit une augmentation de 13 900 étudiants ou 55,95 %.

Au cours de la période 1995-2022, trois phases distinctes ont marqué la dynamique UQAM/Concordia :

Rattrapage. De 1995 à 2014, il y a eu un rattrapage graduel de Concordia sur l’UQAM. Alors que l’UQAM avait 13 956 étudiants de plus que Concordia en 1995, la différence entre les deux en 2014 n’était plus que de 6835 étudiants.

Déclin. À partir de 2014, l’effectif de l’UQAM entra en déclin rapide. La chute atteignit 18,2 % sur la période 2014-2022. Pendant ce temps, Concordia poursuivit sa montée de façon quasi constante jusqu’en 2020, sommet qui fut suivi d’une légère baisse de 2020 à 2022. Cette baisse pourrait n’être qu’une fluctuation des effectifs résultant de la pandémie de COVID-19.

Déclassement. À partir de 2018, les effectifs à Concordia dépassent ceux de l’UQAM. La différence entre les deux universités, en faveur de Concordia, atteignit 3494 étudiants en 2022.

La désaffection du quartier autour de Berri-UQAM est donc un miroir de la désaffection qui règne à l’UQAM même.

Comme dans le cas des cégeps, le « libre-choix » ou la concurrence entre les langues d’enseignement, dans un contexte de déclin du français, mène et mènera de plus en plus au déclassement des universités ayant le français comme langue d’enseignement. Pour le Québec français, le libre-choix de la langue d’enseignement au postsecondaire est une politique suicidaire.

 

photo : Olivier Zuida Le Devoir La désaffection du quartier autour de Berri-UQAM est donc un miroir de la désaffection qui règne à l’UQAM même, note l’auteur.

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