Dans les Antilles dites "françaises", dès l'apparition des premiers mouvements indépendantistes dans les année 60 du siècle dernier, ceux-ci ont fondé leurs luttes sur ce qu'ils appelaient "l'explotation des masses populaires" et donc la nécessité de disposer d'un pouvoir politique dénué de toute tutelle française pour commencer à mettre fin à ladite exploitation.
Sauf qu'au fil des décennies, Martinique et Guadeloupe ont cessé d'être des colonies au sens classique du terme pour devenir des entités difficilement caractérisables, des sortes d'OPNI (Objets Politiques Non Identifiés). En effet, dans une colonie, les "indigènes" ne bénéficient ni de la CAF ni de la CMU ni de l'Allocation-Chômage ni de l'Allocation-parent isolé ni du SMIC ni du 40% de sursalaire des fonctionnaires etc... L'Algérie "française", le Congo "belge" ou l'Angola portugais furent des exemples-type de colonies. Les Antilles l'ont été, elles aussi pendant 3 siècles, mais la loi de Départementalisation/Assimilation a progressivement modifié leur structure socio-politique à compter de 1946. Processus qui n'a cessé de s'amplifier au fil du temps jusqu'à la caricature, ce que les deux exemples (parmi d'autres) ci-après démontrent :
. une colonie voit ses richesses exploitées et transportées vers sa Métropole. Ce fut le cas du sucre de canne antillais et du café pendant des siècles. Ce n'est pas le cas de l'actuelle banane qui s'effondrerait du jour au lendemain sans des aides financières conséquentes de la France et de l'Europe.
. dans une colonie (et même un pays indépendant insufisamment décolonisé), les immigrés envoient de l'argent, une partie de leur salaire, à leurs familles restées au pays, au bled comme disent les immigrés maghrébins. Or, ce n'est nullement le cas pour les Antillais vivant et travaillant dans l'Hexagone et mieux : il arrive parfois que des Antillanopolitains en difficulté fassent appel à leurs parents restés dans les îles. On n'a jamais vu un Marocain vivant au Maroc ni un Sénégalais vivant au Sénégal envoyer un mandat à un parent en dificulté en France !
Ce ne sont-là que deux exemples parmi au moins une douzaine, qu'il serait trop long d'exposer ici, démontrant que les Antilles ont cessé d'être des colonies classiques et par conséquant qu'il est absurde de leur appliquer les analyses qui furent valables pour ces dernières. Or, qu'a-t-on constaté ? Nos mouvements indépendantistes de toutes obédiences se sont enferrés dans une sorte de langue de bois anticolonialiste qui ne colle plus du tout à notre nouvelle réalité et se sont de ce fait avérés impuissants à proposer la moindre voie crédible permettant d'acéder à une éventuelle souveraineté. Ils se sont montrés impuissants à faire comprendre au peuple le pourquoi de la nécessité de l'indépendance.
Nous y reviendrons plus bas mais faisons une parenthèse pour nous pencher sur le cas de la Catalogne, région "espagnole" qui lutte pour se libérer de Madrid et dont le président de la Collectivité Autonome, la Generalitat de Catalunya, Carles Puidgemont, avait organisé un référendum sur l'indépendance en 2017. Referendum remporté haut la main et immédiatement réprimé avec une violence inouïe par l'Etat espagnol.
A voir les images de la répression on se serait cru dans l'Afrique du Sud de l'Apartheid ou dans quelque ghetto noir américain en révolte ! A tel point que Carles Puigdemont et son gouvernement ont dû s'enfuir en... Belgique où ils sont restés pendant 7 ans. Le premier est rentré en Catalogne ces jours-ci mais a dû très vite plonger dans la clandestinité ! Puigdemont risque, en effet, la prison à vie pour "atteinte à la sûreté nationale de l'Etat espagnol".
En quoi l'exemple de la Catalogne devrait intéresser les indépendantistes antillais ? En ceci : la Catalogne est la région la plus riche d'Espagne qui reçoit non seulement des immigrés de l'intérieur (originaires de provinces pauvres du sud de l'Espagne comme l'Andalousie et l'Extremadure) mais aussi des immigrés de l'extérieur (maghrébins, africains et sud-américains). Conclusion : la quête de la souveraineté n'est pas forcément liée à une question de pauvreté, de chômage, de vie chère etc... Elle tient d'abord et avant tout à la volonté d'un peuple d'exister en tant que tel, en tant que lui-même, avec ses habitudes, sa culture, sa langue. Cette volonté est si puissante que la Generalitat de Catalunya est allée, à une certaine époque, jusqu'à financer des films X... en catalan pour favoriser la diffusion de sa langue ! Exemple certes caricatural mais qui traduit l'ampleur de cette volonté d'exister.
Mais l'exemple de la Catalogne devrait donner à réfléchir non seulement aux indépendantistes antillais traditionnels (plutôt agés et d'idéologie marxisante) mais tout autant aux indépendantistes antillais actuels (plutôt jeunes et d'idéologie panafricaniste ou noiriste). En effet, les Catalans sont des Blancs comme les Espagnols, ils sont chrétiens comme les Espagnols et le catalan est une langue romane comme le castillan. Conclusion : la volonté d'indépendance n'est pas forcément liée à la "race" ou à la religion. On peut d'ailleurs prendre un autre exemple : la Tchécoslovaquie. Ce pays s'est divisé en deux : la Tchéquie d'une part, la Slovaquie, de l'autre. Or, ces deux peuples sont blancs (slaves), chrétiens (orthodoxes) et n'ont pas besoin d'interprètes pour se parler tellement leurs langues sont proches. Ils ont pourtant jugé nécessaire de divorcer. Sans violence aucune.
Enfermés, voire engoncés, dans leurs certitudes marxisantes ou fanoniennes pour les uns (les vieux) et panafricanistes/noiristes (les jeunes), les indépendantistes antillais ont préféré se complaire dans leurs langues de bois respectives au lieu d'interroger la, certes étrange, situation d'OPNI de leurs îles. Dès lors, on comprend pourquoi, les premiers lorsqu'ils arrivaient au pouvoir localement (mairie, conseil général et régional, collectivité territoriale etc.) ou se faisaient élire "nationalement" (assemblée nationale, sénat) se sont montrés impuissants à changer quoi que ce soit à notre situation. Certes, ils géraient mieux que les partisans de l'assimilation ou de l'autonomie mais, paradoxalement, cela ne pouvait que réjouir... l'Etat français !!! Pourquoi ? Parce que ledit Etat n'avait pas à renflouer les caisses des collectivités comme il est obligé de le faire (au nom de la paix sociale) chaque fois que nos élus assimilationnistes et autonomistes laissent des déficits énormes. C'est que dans un OPNI (Objet Politique Non Identifié), lorsqu'un indépendantiste gère bien, ce qu'il fait le plus souvent, il ne peut que réjouir celui qu'il décrit comme... le colonisateur.
Evidemment, nos indépendantistes, peu adeptes du débat contradictoire, ne l'admettrons jamais !
Toute personne qui tente, comme nous le faisons présentement, de questionner leur langue de bois "anticolonialiste" se voit immédiatement qualifié de petit-bourgeois, d'aliéné, voire de traitre à la cause. A ce propos, une petite parenthèse est nécessaire s'agissant des indépendantistes traditionnels (les vieux). En fait, ils se divisent en deux sous-groupes : ceux qui acceptent de participer aux élections et qui, en cas de victoire, gèrent les collectivités comme nous l'avons vu plus haut ; ceux, minoritaires, qui refusent de participer à "la mascarade électorale organisée par le pouvoir colonial". Or, si nos indépendantistes électoralistes se contentent de gèrer quand ils remportent les élections, nos indépendantistes anti-électoralistes "rêvent tout debout" comme on dit en créole. Pourquoi ? Parce qu'on n'a pas besoin d'avoir un doctorat de géopolitique pour savoir que jamais celui qui considére la Caraïbe comme son arrière-cour, à savoir les USA, n'acceptera qu'un pays caribéen, qu'il soit insulaire ou continental, se dote d'un régime marxisant Jamais ! Il n'y a qu'à voir le blocus contre Cuba qui dure depuis plus de soixante ans et les féroces sanctions économiques qui frappent le Venezuéla depuis une quinzaine d'années et qui ont mis quasiment à genoux ce pays qui possède pourtant les plus importantes réservées pétrolières prouvées au monde. Sans même parler des interventions militaires directes des Yankees (Haïti, Panama, Grenade etc.) ou fomentées par leur CIA (Saint-Domingue, Nicaragua etc.). Certes, tous les empires sont condamnés à s'effondrer un jour mais pour l'heure (et pour notre malheur), nous vivons présentement sous le règne de l'Empire étasunien, chose qui, à la fin du 19è siècle, avait déjà fait soupirer le président mexicain Porfirio Diaz : "Si près des Etats-Unis, si loin de Dieu !".
Toutes ces considérations démontrent qu'il a nécessité pour les mouvements indépendantistes antillais, quels qu'ils soient, marxisants, fanoniens, anti ou pro-élections, panafricanistes/noiristes etc... de se remettre en question. D'admettre que notre lutte pour la souveraineté n'est ni prioritairement sociale (même si l'action syndicale au quotidien est bien évidemment indispensable) ni économique ni raciale.
Il s'agit d'une lutte existencielle. Une lutte pour persévérer dans notre être.
Pour ce faire ou plus exactement pour parvenir à convaincre la population antillaise, il n'est pas du tout envisageable de s'appuyer principalement sur les 30% d'Antillais qui vivent sous le seuil de pauvreté. Chaque jour leur est un véritable combat, une lutte pour le pain quotidien, et le RSA, la CAF etc... leurs sont indispensables. Ils vivent sous l'eau et les critiques contre ceux qui touchent le RSA sont scandaleuses, inadmissibles même. Il n'est guère posible non plus de s'appuyer sur les autres 35% qui survivent, la tête juste au-dessus de l'eau, avec des revenus à peine égaux au SMIC. Cette deuxième catégorie a besoin de salaires corrects, de logements convenables, de transports qui fonctionnent, d'établissements scolaires convenablement dotés etc... Pour tenter d'obtenir une amélioration dans ces différents domaines, ces 35% de notre population ne peut compter que sur l'action syndicale et le leur reprocher est tout aussi inadmissible que de reprocher aux 30% qui vivent sous le seuil de pauvreté de toucher le RSA.
Reste donc un troisième groupe, qui tourne autour de 35% lui aussi : ceux qui vivent assez bien (fonctionnaires), bien (professions libérales) et très bien (Békés blancs d'une part et Békés mulâtres, nègres, indiens, chinois etc..., de l'autre). C'est de l'intérieur de ce goupe, tripartite, que pourra émerger une bourgeoisie nationale seule capable d'enclencher un mouvement de désengagement de la tutelle française. Cela sans haine ni des Blancs ni de la France. Cette haine pollue notre lutte pour la souveraineté. Elle l'obscurcit avec des slogans débiles du genre "Blan déwò !" alors qu'au contraire, il aurait fallu expliquer à nos populations que l'indépendance ne signifie aucunement la rupture totale et définitive avec la France. Il aurait fallu le prouver à nos populations en prenant des exemples concrets. Par exemple, celui de l'AFD (Agence Française de Développement). L'Antillais moyen, quand il connait l'existence de cette agence, est persuadé qu'elle n'aide que les territoires... français alors qu'il suffit d'y réfléchir deux secondes pour réaliser qu'un pays développé comme la France n'a pas besoin d'une agence de développement dédiée à... lui-même. L'AFD sert à aider au développement des pays dits "sous-développés" ! Et ce qu'il y a de plus étonnant c'est que cette agence n'aide pas uniquement les ex-colonies françaises mais aussi des ex-colonies anglaises, espagnoles, belges ou portugaises. Englués dans leur langue de bois, nos indépendantistes antillais n'ont jamais cherché à expliquer à nos populations qu'une fois indépendants, Martinique et Guadeloupe continueront à recevoir des aides de l'AFD, de la Communauté Européenne et pourront accéder à celles de la Banque Mondiale et d'autres institutions internationales.
Il est donc normal que les 30% qui vivent sous le seuil de pauvreté n'ait pas le temps, occupés qu'ils sont à survivre au jour le jour, de songer à la question de l'indépendance. Il est normal aussi que les 35% qui survivent avec à peine l'équivalent du SMIC aient peur de l'indépendance. Par contre, les autres (fontionnaires/professions libérales/békés de toutes couleurs), eux, ont tout à fait la possibilité de le faire. Ils ont les moyens de voyager partout, notamment à travers la Caraïbe, et ils constatent que les bourgeoisies locales des ex-colonies ne sont pas si malheureuses que cela. Certes, un enseignant barbadien ne touche pas 40% de sursalaire, certes un médecin ou un avocat grenadien ne roulent pas dans la dernière BMW haut de gamme à 70.000 euros, certes un Béké jamaïcain ne peut racheter des entreprises en Amérique du Nord, en Europe, en Afrique ou au Maghreb comme un groupe martiniquais bien connu, mais ils ne vivent pas pour autant dans la dèche.
Tout cela pour dire que ce ne sont pas aux 30% qui vivent sous le seuil de pauvreté ni les 35% qui survivent avec à peine le SMIC qui doivent être les premiers à souhaiter ou à réclamer l'indépendance.
Ce rôle revient à la bourgeoisie antillaise dans ses trois composantes. Il nous faut donc trouver les voies et moyens pour l'amener à se transformer en bourgeoisie nationale. Ce que nous ne faisons pas. Ce que nous ne faisons pas du tout ! Car enfin, pourquoi un Béké blanc s'engagerait-il dans cette voie si on lui promet qu'au lendemain matin de l'indépendance soit on l'expulsera du pays soit on lui coupera la tête ? Pourquoi un Béké mulâtre, noir, indien, chinois etc... s'engagerait-il dans cette voie si on lui promet qu'au lendemain matin de l'indépendance, on nationalisera son entreprise ?
Ils ne sont tout de même pas masochistes !
Cette bourgeoisie, aliénée pour l'instant, peut devenir nationale. A n'en pas douter d'aucuns qualifieront les idées développées dans le présent article d'indépendantisme de droite. A ces personnes, on répondra que personne A LA DATE D'AUJOURD'HUI n'a réussi à renverser le capitalisme. On ajoutera que les pays dits communistes (Russie, Chine, Vietnam etc.) ont tous fini par adopter le capitalisme d'Etat. Que les oligarques russes ou les milliardaires chinois ne sont en fait que des Békés disimulés derrrière une logomachie pseudo-marxiste. Car enfin, est-il bien normal que, proportionnellement parlant, il y ait davantage de milliardaires en Chine qu'aux... Etats-Unis ?
Non, les idées développées ici ne relèvent pas de l'indépendantisme de droite mais très banalement, de l'indépendantisme réaliste.
...toute la "classe politique" (qui n’est d’ailleurs pas une "classe sociale") sur le même plan ? Lire la suite
...ou ka trouvé tout diks-li, òben yo ka viré enprimé tou sa i fè-a vitman présé! Lire la suite
...À une époque pas si lointaine, l’adjectif qualificatif "national" était fréquemment utilisé po Lire la suite
ce sera très drôle! Lire la suite
...vous vous bouchez les yeux quand il s'agit d'identifier les VRAIS responsables de la situation Lire la suite
Commentaires
Egoïsme des peuples
MONTHIEUX Yves-Léopold
13/08/2024 - 16:46
Pour réagir à une petite partie de ce long article dont je partage bien des arguments, il convient d'ajouter la circonstance majeure de la revendication indépendantiste : le refus des régions riches de partager avec les voisines plus pauvres. Le cas de la Catalogne qui est la région la plus riche d'Espagne en est l'illustration. Elle ne veut pas participer au pot commun pour aider par exemple la Murcie. C'est aussi le cas de l'Ecosse. Même la riche Alsace voudrait se séparer de la Lorraine. Les régions françaises d'Outre-Mer sont les rares régions pauvres rattachées à une métropole et désirant être indépendantes. Pourquoi ? Les colonisés des DOM sont d'une race particulière, ils ne donnent pas au colonisateur, c'est l'inverse. Leur volonté parallèle, selon le lien magique de la "continuité territoriale", de toujours recevoir plus de la métropole les conduit à avancer comme des crabes. Même la Kanaky redevient Nouvelle-Calédonie quand il le faut, en dépêchant par exemple des élus à l'Assemblée nationale. L'intensité de la revendication kanake varie avec le cours mondial du nickel. Elle devrait profiter de la faiblesse actuelle de la France pour lui forcer la main. C'est l'inverse, même avec des détenus dans les geôles. La région d'Europe la plus riche, St Barth, qui s'appelle par son diminutif quelque peu défrancisé, participe de cet égoïsme des peuples.
"DES PEUPLES" ?
Albè
14/08/2024 - 09:44
Mais les Catalans considèrent, à juste titre, qu'ils ne constituent pas LE MEME PEUPLE que les Espagnols et déjà qu'ils possèdent leur propre langue. Ce serait de l'égoïsme, en effet, s'ils constituaient le même peuple. Or, tel n'est pas le cas !