Les influenceurs, ces nouveaux intellectuels

[BLOG You Will Never Hate Alone] L'influenceur incarne la négation de la pensée alliée à la glorification du superflu. Une certaine image de notre époque.

Après un été passé à ruminer sur ma situation financière –faillite à tous les étages sans aucun espoir de renflouement–, j'ai décidé d'abandonner l'écriture pour devenir influenceur. J'ai hésité avec gigolo mais au regard de mon physique très atypique –court sur pattes avec calvitie galopante– j'ai jugé plus sage de ne pas m'engager sur cette voie-là.

Tandis qu'influenceur, a priori, j'ai toutes mes chances. Certes je pars avec de lourds handicaps. Ainsi, je sais lire et écrire, compétences dont semblent être privés nombre de mes futurs collègues, atouts qui leur permettent de s'exprimer dans une langue accessible à tous, notamment à cette frange de la population pourvue d'un cerveau si peu irrigué que rien n'a jamais poussé, hormis un vague champ de synapses dont l'examen neurologique laisse à découvrir l'image de ce que doit constituer si jamais il se laissait dévoiler le vide intersidéral.

Car la faculté première d'un influenceur –et peut-être la seule– est d'être aussi con que le public auquel il s'adresse. J'entends non pas la connerie ordinaire répandue à parts égales à travers le vaste monde mais la connerie royale, la connerie supérieure, la connerie premium, la connerie stratosphérique, dont le principal attribut est d'être si profondément enracinée dans les strates de la personnalité qu'elle y prospère comme un champ de tulipes sous une pluie de mousson.

Jamais de toute l'histoire de l'humanité, l'influenceur est allé aussi profondément dans le monde de l'infinie connerie, jamais individu n'a repoussé aussi loin les limites de l'humaine bêtise, jamais le concept même d'influenceur, sa popularité incroyable, son importance prise dans la société, son attractivité, n'a assombri autant l'idée qu'on pouvait se faire du genre humain et de sa possible noblesse.

L'influenceur influence la connerie dont lui-même est l'influence suprême et ce jeu de miroir déployé à l'infini entre l'influenceur et l'influencé possède à lui seul une force capable de réduire à néant les efforts entrepris par la civilisation pour s'extirper de son ignorance originelle. D'un rien constitutif de la substance même de son être, un influenceur en tire un tout qui attire à lui tous ceux assez doués pour penser que prendre un train au hasard, changer de slip dans une cabine d'essayage, rouler à bord d'une voiture surpuissante, engloutir une pêche Melba au petit-déjeuner, partir en vacances à Dubaï ou changer de jupe comme on change de chemise constitue une aventure humaine comparable en importance à la philosophie de Leibnitz.

L'influenceur est aussi utile à la marche du monde qu'une mouche à merde à la reproduction des cétacés de l'Atlantique Nord. Il agit sur les consciences comme une sorte d'hypnotiseur qui parviendrait par le seul biais d'une vidéo à convaincre des millions et des millions de personnes d'acheter n'importe quel produit aussi utile à son développement personnel qu'un balais à chiotte l'est au traitement contre le cancer.

L'influenceur vit par et à travers les réseaux sociaux, c'est dire la puissance de son intellect. Se mettant en scène sous toutes les coutures en prenant soin d'apparaître sous son meilleur jour, il engraisse son portefeuille par l'entremise de conseils dont l'unique vertu est d'enrichir encore un peu plus son compte en banque et celui des marques pour qui il travaille. Il est à lui tout seul l'incarnation de notre époque: la négation de la pensée alliée à la glorification du superflu, cocktail explosif capable de conduire à la longue le monde au bord du précipice.

L'emoji est leur grammaire, le portable leur dictionnaire, le selfie leur bible. Ils usent des trois avec un talent inégalé et finissent par ressembler à des dieux dont la religion serait celle du vide comme principe spirituel. L'influenceur est le symptôme d'une époque qui a tourné le dos à la culture classique pour en créer une autre, celle d'une exaltation du moi mise au service d'un capitalisme débridé. Il ne crée rien, il suscite une envie qui vise à exploiter la naïveté de certains pour les contraindre à dépenser autant d'argent que possible, contribuant de ce fait au malheur du monde.

Aussi, étant après tout aussi con que n'importe qui, j'ai décidé à mon tour de devenir influenceur. Apprenez donc cher lecteur que si cette chronique a pu s'écrire, c'est avant tout grâce à l'intervention d'un ventilateur surpuissant de la marque Trouduc dont je vous recommande hautement l'achat tant il agit sur le cerveau comme une sorte d'aphrodisiaque de la pensée. Et en plus il rafraîchit les couilles.

Vu le résultat, franchement c'est assez bluffant, non?

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Commentaires récents

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    FARCEURS

    Albè

    24/11/2024 - 08:31

    Il faut être un sacré farceur pour faire croire aux Martiniquais qu'un deuxième Cuba est possible Lire la suite

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    Albè , mon cher, peut-on mettre...

    Frédéric C.

    23/11/2024 - 23:38

    ...toute la "classe politique" (qui n’est d’ailleurs pas une "classe sociale") sur le même plan ? Lire la suite

  • Kréyolad 1052: Polo chanté

    Jid, sa vré! Sé lè on mizisiyen ka mò...

    Frédéric C.

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    ...ou ka trouvé tout diks-li, òben yo ka viré enprimé tou sa i fè-a vitman présé! Lire la suite

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