Raphäel CONFIANT, Grand café Martinique

Histoire, littérature, voyage, musique des mots et des langues mélangées, café bien fort et aromatique… Si vous aimez un ou plusieurs de ces ingrédients, alors ce livre est pour vous !

Je l’ai choisi pour sa magnifique couverture, pour l’auteur qui est un incontournable de la littérature mondiale – certainement pas assez connu chez nous – et pour mon goût prononcé pour les grands cafés.

 « Où il sera question des songeries, par-delà les siècles, d’un jeune Normand au temps du roi-Soleil ; où l’on évoquera sa déraisonnable passion pour ce breuvage plus noir qu’une nuit sans lune qui, depuis la terre d’Abyssinie, fit danser des chèvres, tint éveillés des moines savants, fit tournevirer les danseurs soufis, échauda les esprits épris de justice tant à Alexandrie qu’à Paris, soulageant au passage migraines et chagrins éternels. »

Raphaël Confiant était tout indiqué pour écrire un grand roman à partir de la véridique histoire de l’introduction des premiers plans de café par un jeune Dieppois sur le Nouveau Monde en 1720. Gabriel-Mathieu d’Erchigny de Clieu, c’est de lui dont il s’agit, après une formation militaire à Rochefort, se fait nommer en Martinique. Là, il démissionne et décide de cultiver la canne à sucre, moyen d’acquérir rapidement une belle fortune et une position sur l’île. A cette époque, un nouveau breuvage devient à la mode – le café –, les français l’achètent à prix d’or au pays producteurs dans le Levant et en Afrique. Il décide alors de rentrer en France, d’essayer de se procurer quelques plants conservés au Jardin Royal des Plantes – il y parviendra de manière rocambolesque – et de tenter l’acclimatation en Martinique. Cela n’a jamais encore été réussi. Le pari est osé surtout avec la difficulté du voyage de retour, l’océan étant infesté de pirates.

Cette partie consacrée au récit d’aventure maritime constitue une véritable odyssée émaillée d’embûches tragi-comiques avec attaque de pirates et combats épiques, calme plat dans les sargasses, ouragan, manque d’eau, tentative de mutinerie… Le talent de conteur rend ces pages vivantes, inoubliables. Les phrases rehaussées d’une langue imagée, intégrant le créole et des mots d’argot normand permettent de se projeter dans les conditions de l’époque. Ce n’est pas de tout repos : les vivres s’épuisent, l’eau croupit et doit être rapidement rationnée, le chirurgien embarqué est « un Tourangeau quelque peu colérique » disposant des moyens de l’époque soit presque rien, les moyens de navigation sont des plus sommaires et l’équipage et les passagers ont vite l’impression désagréable de tourner en rond.

C’est écrit sous la forme d’un journal, à la première personne, ce qui permet de s’identifier facilement au personnage. Gabriel-Mathieu donne ses impressions sur le mode de vie sur l’île avec ses esclaves et toute la violence qui va avec, mais il refuse les punitions et autres sévices pratiqués alors couramment. On devient aussi fébrile que lui dans les soins prodigués à ses plants, eux aussi en bien grand péril lors de cette longue traversée de plus de deux mois.

Mais le sujet principal du livre reste le café et son histoire. Raphaël Confiant nous glisse de temps à autre, sans que cela ne nuise à la lecture, des contes, des récits historiques liés à la découverte et l’adoption dans le monde entier du café. On parcourt ainsi une longue période qui va du quatrième siècle jusqu’à notre époque. L’auteur a enquêté et les documents, retranscrits tels quels, sont passionnants. A la fois roman, essai, conte, poésie, mobilisant ainsi tout l’imaginaire possible, c’est un livre qui se déguste.  

« Nous nous débattons entre l’hier, l’aujourd’hui et le demain, acharnés à découper de l’impalpable, fomentant des projets, entrelaçant un infini de rêves qui, pour certains, affrontent l’obscur éclat des nuits qui n’ont pas de fin.

Ne point défaillir ! Car ce serait lâcheté. Trahison de soi-même… »

J’espère que vous aurez envie de monter à bord de ce bateau – au nom intriguant de « Dromadaire » – afin d’accompagner les fragiles et précieux plants de café de Gabriel-Mathieu d’Erchigny de Clieu, de les arroser aussi souvent que possible et de les sortir pour leur faire prendre le soleil (sauf en cas d’attaque de pirates !).

Quelques mots pour terminer sur l’auteur : Raphaël Confiant est un écrivain majeur de la littérature française. Il est à l’origine du concept de créolité qu’il a développé depuis 30 ans avec Édouard Glissant, Patrick Chamoiseau et bien d’autres. Il s’agit d’utiliser toutes les langues disponibles pour créer une prose relationnelle cherchant à dire plus qu’il en a été dit dans la littérature classique ou dans les livres d’histoire dominés par les colonisateurs et le système libéral. C’est un système de représentation porteur de renouvellement, cette prose relationnelle tendant à intégrer tous les acteurs et toutes les cultures, une volonté de captation d’une totalité du monde. L’influence de ce mouvement, dans la lignée de Frantz Fanon et d’Aimé Césaire, est considérable au niveau de la littérature mondiale.

Et ce sera quoi pour vous, thé ou café ? Pour moi ce sera café le matin et à midi quand le soleil donne toute sa mesure, manière de tenter de l’accompagner dans sa merveilleuse énergie : « Café, haut-lieu du verbe et de la pensée » selon la magnifique formule de Raphaël Confiant. Ensuite quand il faut se faire à l’idée du retour prochain de l’ombre, j’aime voyager plus oriental avec la douceur envoutante du thé !

Notes avis Bibliofeel septembre 2020, Raphael Confiant, Grand café Martinique

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