Comment faire pour que le lexique originel du créole retrouve sa place dans notre parler quotidien ? S'agissant de l'usage écrit, par contre, cela ne pose aucun problème car la quasi-totalité des scripteurs créolophones sont conscients du problème.
En effet, à quoi cela servirait-il d'écrire dans un créole francisé ? A rien ! Nos scripteurs sont donc très attentifs à écrire fondok (fin fond) et non fen fon, briskan (intrépide) et non intrépid, chapo-dlo (nénuphar) et non nénifa, gad-janm (jarret) et non jaré, kapistrel (donzelle) et non donzel etc... Ils savent qu'ils sont en train de construire la langue écrite créole, d'une part et que de l'autre, dans toutes les langues, le niveau écrit est différent du niveau oral.
Autant il faut être vigilant à l'écrit, s'agissant du créole, autant il faut être tolérant à l'oral. Il faut éviter de mener une sorte de croisade contre les mots et expressions francisées ou les diaboliser. De toute façon, il est impossible de placer une sorte de gendarme linguistique derrière chaque locuteur. Les décisions autoritaristes, même émanant de pouvoirs politiques, ont des effets limités, parfois nuls, sur la langue orale alors qu'elles peuvent durablement modifier l'écrit. Pendant la Révolution française, par exemple, un décret de 1793 avait décidé de supprimer le "vous" et d'imposer le "tu", manière d'abolir les relations de domination entre les citoyens fortunés et les pauvres, mais cela n'a pas réussi. Dans les années 1970, en Algérie, le régime en place avait imposé l'arabisation afin de substituer la langue nationale, l'arabe, à la place du français, celle de l'ancien colonisateur, mais ce n'est qu'aujourd'hui, un demi-siècle plus tard qu'on commence à en percevoir les effets.
D'une manière générale, les politiques linguistiques n'ont de résultats qu'à moyen terme s'agissant de l'écrit et à long terme s'agissant de l'oral.
Il ne s'agit donc pas pour nous de stigmatiser le lexique francisé du créole actuel et de tenter d'imposer le lexique natif-natal des générations qui nous ont précédés. L'objectif recherché est d'inciter les locuteurs à l'apprendre ou le réapprendre sans aucunement condamner l'usage de "nénifa", "libélil" ou "jaré". Il peut, d'ailleurs, arriver que dans un poème, par exemple, l'emploi du terme francisé fasse davantage d'effet que le terme natif-natal ou s'accorde mieux, pour des raisons phoniques, à l'ensemble du texte.
A la limite que le créole dispose d'un double lexique__natif-natal et francisé__peut être une bonne chose. A la condition évidemment que le locuteur connaisse les deux ! Or, de nos jours et de plus en plus, il ne connait plus qu'un seul : le francisé. Seule l'introduction du créole de façon obligatoire (et non facultative comme c'est le cas) a le pouvoir de recréoliser lexicalement petit à petit nos populations. Nos différents articles sur les mots et expressions natives-natales doivent par conséquent être considérées comme des incitations et non comme de dérisoires tentatives d'imposition.
A ce propos, comment diriez-vous "ravissant" en créole ? Est-ce que cela vous écorche les oreilles d'entendre un énoncé comme :
"Tifi Man Jili a ravisan toubannman : la fillette de madame Julie est absolument ravissante.
Si cela vous choque, sachez que le créole dispose d'un terme natif-natal : bidjoul.
La phrase deviendrait alors :
"Tifi Man Jili a bidjoul toubannman".
Se pose inévitablement la question de l'origine de ce mot car si n'importe quel locuteur voit que chimiz vient de "chemise" ou que tab vient de "table", il serait bien en peine de se prononcer sur "bidjoul". Nous avons déjà signalé que l'étymologie est le domaine le moins assuré de toute langue et que s'agissant d'une langue majoritairement orale comme le créole, elle l'est encore davantage, ce qui laisse la porte grande ouverte à toutes sortes de spéculations fantaisistes. Ainsi, on voit des gens déclarer bravement que chatrou (poulpe) vient de la langue kalinago (celle des Caraïbes) alors qu'elle provient du dialecte normand "satrouille". Pire : que bonda (fesses) vient du français "abondance" alors qu'il provient des langues ouest-africaines (malinké : bunda ; kikongo : mbunda : djoula : boda etc...).
Pour en revenir à l'origine de bidjoul qui signifie "ravissant" en créole natif-natal, il est probable (mais pas certain) qu'il provienne du mot anglais : beautiful.
Il y a une quatrième raison plus puissante que les trois précédentes réunies. Lire la suite
A quand la continuité territoriale entre Grand-Rivière et Ste Anne ?
Lire la suiteMalgré la rage qui me ronge de voir mon île dévastée par des étrangers venus d'ailleurs qui sont Lire la suite
...cette précision, cela n'a rien à voir avec le fond de l'article. Me semble-t-il...
Lire la suite"National" au sens "national Mquais". Ça va sans dire, mais ça va mieux en le disant...
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