Révélations des Ojamistes sur Martinique-la-première

Yves-Léopold Monthieux

« Il fallait le mouiller ». Les yeux embués et le doigt accusateur pointé sur la caméra, cette phrase répétée plusieurs fois par un ancien de l’OJAM désignait un de ses camarades codétenus. Ce mot d’humeur suffirait pour traduire l’ambiance qui régnait alors dans la prison de Fresnes. Mais il n’est qu’un aspect du déballage de soupçons et de mises en cause qui constituent la quasi-totalité de l’œuvre de Camille MAUDUECH, LA MARTINIQUE AUX MARTINIQUAIS. Après avoir vu le film produit dans les salles de cinéma, j’avais pu entrer en possession du film plus complet, celui qui vient d’être diffusé ce vendredi 17 mars sur Martinique-la-première. Ainsi donc, des dizaines d’années plus tard, l’animosité entre les codétenus crevait l’écran.

Les états d’âme exprimés concordent parfaitement avec les confidences qui m’ont été faites par plusieurs membres de l’OJAM, dont Gesner Mencé qui s’est le plus exprimé sur cette affaire, y compris par son livre l’Affaire de l’OJAM ou le complot du Mardi-Gras. En une manière de catharsis, par leur franchise et parfois leur forfanterie, les acteurs semblent s’être soulagés d’un long silence en disant ce qu’ils avaient sur le cœur. Je n’en dirai pas plus de la seconde mouture de ce film qu’il faut voir absolument.

Pour ma part, je prie Fondas kreyol de re-publier mon article ci-dessous, « Il y avait autant d’OJAM que d’Ojamistes », phrase prononcée par l’un des codétenus de l’OJAM.

 

 

”Il y avait autant d’OJAM que d’Ojamistes”

Certaines mesures gouvernementales sont maladroites, qui fournissent aux intellectuels des motifs d’agir et d’espérer. L’ordonnance d’octobre 1960 permet d’écarter de l’île les fonctionnaires de l’Etat supposés alimenter les idées révolutionnaires. C’est l’affaire Mauvois et ses amis du parti communiste[1], dont les effets en feront un marqueur de la lutte contre le pouvoir central. C’est l’affaire des jeunes gens qui sont emprisonnés simplement pour avoir placardé des affiches annonçant la tenue d’une réunion publique. L’affaire de l’OJAM est ainsi créée de toutes pièces, la justice élevant ces innocents au rang de héros. On ne saura jamais le degré d’implication de chacun des jeunes gens arrêtés qui sont loin d’avoir fait corps sur le plan idéologique, alors que plusieurs victimes s’accordent à dire que ce mouvement avait été plus qu’inspiré, manipulé par le très parisien Front Antillo-Guyanais pour l’autonomie (FAGA) qui ne fut pas inquiété. Il y avait autant d’OJAM que d’Ojamistes dira l’un d’eux, qui assura n’avoir toujours rien compris de son arrestation, tandis qu’un autre avouera qu’une cellule communiste a été constituée en prison. Le drapeau de la future Martinique est peut-être né dans la prison de Fresnes, dessiné par le seul détenu qui ne fut pas intellectuel. Mais dire qu’il n’aura pas fait l’unanimité tient de l’euphémisme s’il est vrai que certains d’entre eux, comme d’un coming out, viennent de s’exposer de façon provocatrice sous les couleurs de la République[2]. De l’avis de tous, les véritables responsables de cette affaire furent des membres réputés “intouchables” du FAGA, dont l’écrivain Edouard Glissant et l’avocat Marcel Manville furent les promoteurs[3].  C’est donc de l’affaire de décembre 1959 que part et se précipite la décision de mettre en place des mesures qui ont été bien accueillies par la population. Isoler l’une de ces mesures et la bombarder d’ignominies, c’est le moyen trouvé pour condamner l’ensemble et atteindre in fine le pouvoir colonial, l’objectif recherché. Il est difficile en effet de s’attaquer à la réforme foncière profitable aux petits agriculteurs ou au Service militaire adapté (SMA) qui s’était révélé aux yeux des martiniquais un véritable bâtisseur. Les tentatives sont vite mises en échec par une acceptation empressée de ces mesures par la population. Loin de convaincre les Martiniquais, suggérer que le SMA avait pour mission de réprimer quelque soulèvement populaire ou de constituer une armée d’occupation coloniale prêtait à sourire. Est-ce une réponse à la raillerie de Césaire qui voit chez les indépendantistes le désir de faire la révolution sans verser leur sang ? Il est donc bien facile d’étendre un voile d’opprobre sur le BUMIDOM, lequel est également bien accueilli par la population mais demeure une nébuleuse pour celui qui n’a pas de proches concernés. L’institution est facile à dénigrer, sans trop craindre de riposte de la part des personnes intéressées que le faible niveau scolaire ne permettait pas de répliquer valablement aux accusations de leurs détracteurs. Ceux-ci étaient tous des intellectuels, militants de syndicats d’étudiants et de partis politiques. En revanche, il n’est fait aucun bruit des autres mesures, ni de la création de l’AFPA[4] qui s’avérera être le plus important outil de formation de jeunes adultes jamais utilisé en Outre-Mer ; ni l’abattement fiscal dont bénéficient les révolutionnaires, eux-mêmes, en général des fonctionnaires bénéficiant déjà de la majoration de salaire de 40% ; ni les mesures économiques comme les quotas d’exportation du sucre et de la banane ; ni les nouveaux pouvoirs conférés au conseil général qui ne seront jamais utilisés comme si, une fois obtenue la possibilité de faire, il n’y a plus besoin de faire. Un peu comme les habilitations qui seront accordées plus tard aux DOM.

Quoi qu’il en soit, rien ne se passe qui ressemble à une menace de révolte. Au contraire, l’assimilation s’accélère avec le retour au pouvoir du général de Gaulle et la naissance de la Vème République. La mise en œuvre du département s’est curieusement déroulée dans son double aspect assimilationniste et de reconnaissance des spécificités. Si l’assimilation a concerné la citoyenneté des droits, des devoirs et de l’activité économique, l’aménagement et le développement du territoire ont conduit l’Etat à prendre des mesures spécifiques en faveur des DOM. Les incidents de décembre 1959 se révèlent être une fausse opportunité pour les anticolonialistes, mais un facteur de consolidation des rapports entre la Martinique et la France. L’ordonnance d’octobre 1960 concernant les fonctionnaires d’Etat[5] ainsi que l’épisode de l’OJAM et la Fusillade du Lamentin s’avèrent être les répliques politiques de ce qui apparaissait à d’aucuns une promesse de révolution. Mais dès 1961 les planètes s’étaient alignées pour mettre en œuvre les projets qui devaient conduire, le cyclone Edith[6] aidant, à une véritable transformation de la Martinique. L’histoire de la Martinique n’étant pas faite que d’esclavage, il conviendrait d’enseigner aux petits martiniquais, à tous les niveaux de l’éducation, primaire, secondaire et supérieure, les progrès sans précédent enregistrés pendant cette période. Des générations d’élèves et d’étudiants ignorent que durant cette période la MARTINIQUE a connu une réforme foncière qui a véritablement transformé son paysage et permis l’entrée en propriété de milliers de petits agriculteurs et ouvriers agricoles. Cette opération avait fait fi de l’indifférence apparente du président de la chambre de l’agriculture de l’époque et de l’opposition ouverte des deux partis autonomistes[7].

Fort-de-France le 12 août 2019

 

[1] Guy Dufond, Armand Nicolas et Walter Guitteaud ont été mutés en métropole. Refusant de quitter l’île, Armand Nicolas devient un salarié du PCM et Walter Guitteaud, un permanent de la CGTM. Tandis que Georges Mauvois, qui quittera le PCM, s’essaiera à diverses activités dont celle d’avocat, avant d’être réhabilité dans droits en 1981.

[2] Deux maires nationalistes dont un ancien de l’OJAM viennent d’être nommés chevalier de la Légion d’Honneur.

[3] Le FAGA était essentiellement martiniquais, les Guadeloupéens allaient s’en détacher.

[4] A.F.P.A Association pour la Formation Professionnelle des Adultes

 

[5] Ordonnance n°60 – 1101 du 15 octobre 1960 relative au « rappel d’office par le ministre dont ils dépendent, des fonctionnaires de l’Etat en service dans les DOM et dont le comportement est de nature à troubler l’ordre public ». Quatre fonctionnaires martiniquais ont été victimes de cette ordonnance, tous membres du parti communiste martiniquais, dont Georges MAUVOIS.

[6] En 1963, le cyclone Edith fut une véritable catastrophe. L’habitat fut durement endommagé et on peut fixer à cette date la disparition définitive des cases en paille en Martinique. C’est le début de l’accélération des constructions en béton.

[7] Le PPM et le PCM s’étaient prononcés contre l’initiative du gouvernement. Le maire communiste du Lamentin, Georges GRATIANT, invitait les agriculteurs à ne pas acheter les terres des Békés. Tandis que sur les conseils du député-maire de Ste Marie, Camille PETIT, près d’une trentaine de petits agriculteurs Samaritains sont entrés en possession d’une centaine d’hectares au quartier Bois-Rouge, entre Le Lamentin et Ducos. Beaucoup de Lamentinois ont regretté d’avoir suivi cette consigne.

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