Térez Léotin, la grande dame de la littérature créolophone

Raphaël Confiant

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    Elle écrit depuis 1986, ce qui fait plus de trois décennies, dans notre langue créole, des poèmes, des contes et surtout des romans. Elle, c'est Térez Léotin. 

   Ces titres disent-ils quelque chose au grand public : Lespri lanmè (1990), Ora lavi (1997), Tré ladivini (1999), Lavwa égal (2003), Dwèt an nò (2007), Sé dlozié anmè a (2020) ou encore Angelo défen (2021) ? Probablement non, hormis dans le petit cercle des créolistes et créolophiles où le grand talent de Térez Léotin est unanimement reconnu. Pourquoi cette relative méconnaissance d'une oeuvre tout à la fois abondante (T. Léotin est, avec Jala, l'écrivaine créolophone la plus productive, tant en Martinique que dans la Caraïbe, Haïti compris) et surtout de qualité ? D'abord, à cause de l'indifférence, voire du mépris, de nos grands médias pour la littérature créolophone. Rares sont, en effet, les auteurs invités à la radio ou en télé pour parler de leurs oeuvres. Ensuite, à cause du mépris, tout aussi fort, des écrivains arrivés, ceux qui brillent à l'extérieur de la Martinique, pillant souvent le créole sans la moindre vergogne et sans jamais songer à rendre la pareille à ce dernier en l'utilisant à l'écrit, ne serait-ce qu'un écrivant une simple nouvelle. Enfin, il y a le problème du système scolaire dans lequel le créole et donc les auteurs créolophones sont étudiés de manière marginale puisque l'enseignement du premier est facultatif.

   Cette relative indifférence à l'égard de Térez Léotin ne l'a jamais empêché d'écrire, approfondissant livre après livre, à la fois sa langue, son style et ses thématiques. Sa langue d'abord car elle a conscience du fait qu'écrire en créole ne consiste pas à transcrire le créole oral mais bien à construire une langue littéraire créole. Il s'agit là d'une tâche ardue dont n'ont, hélas, pas conscience certains auteurs créolophones qui écrivent comme ils parlent. Chez T. Léotin tout au contraire, on peut lire, par exemple, ceci dans Sé dlozié anmè a :

   "Erezdibonnè, sèvo-nou kapab pòté lanmou, men élas i kapab pozé tout kalté model zatrap. Ka sanm pèsonn pa lé konpwann sé tan-an ki lavi, sé nou ki ka pasé, ek tout bagay pé fet toupatou asou ti planet-nou an. Jik jou, toujou, lafraternité ka rété an zonbi nou pies la poko pé rivé trapé pou sivilizé'y."

   Ensuite, tout lecteur averti reconnait le style inimitable fait de précision lexicale, d'humour discret et de travail sur la langue comme dans cet extrait de Anjélo défen (2021) :

   "Met-lékol la té bénikonmes épi Edmé, an jennfi ki té débriya é ki té ni an bel ganm adan an zié ki té loli, é té ka vréyé lot-la pwonmnen, dépi jou i né."

   Enfin, T. Léotin a su ne pas s'enfermer dans une seule et unique thématique comme certains auteurs créolophones puisque sa littérature va du conte (Lespri lanmè, 1986) à l'évocation de l'enfance (Sé dlozié anmè a, 2020) en passant par la nouvelle (Tan twa woz la, 2007) sans oublier ses traductions de Lewis Carroll et de Jean Giono (Nonm-lan ki té ka planté sé piébwa-a, 2021). Mieux : depuis quelques années, alors qu'elle publiait des ouvrages bilingues, créole et français se faisant face, T. Léotin a choisi de nous donner à lire d'abord la traduction (l'auto-traduction) en français de ses textes, plaçant l'original en créole dans la deuxième partie de l'ouvrage. Est-ce que pareil choix lui a apporté davantage de lecteurs ? Il est trop tôt pour le savoir. 

   En tout cas, Térez Léotin est incontestablement la grande dame de la littérature créolophone avec près d'une trentaine d'ouvrages à son actif et en ce "Mois du Créole", il aurait été judicieux que les instances culturelles et politiques de la Martinique acceptent enfin de lui rendre l'hommage qu'elle mérite. Qu'à cela ne tienne : dans sa commune natale du François, à l'instigation d'un certain nombre d'enseignants, T. Léotin et son oeuvre seront mis à l'honneur le 27 octobre.

   La postérité, de toute façon, comme c'est le cas pour la grande majorité des auteurs créolophones, lui rendra justice.

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