La Martinique doit accueillir les migrants haïtiens

Raphaël Confiant

   Au lieu de nous lamenter sur la baisse de notre natalité et le vieillissement de notre population, ne pourrions-nous pas accueillir des migrants haïtiens ?

   Déjà, c'est grâce à leur présence sur le sol martiniquais que nombre d'écoles maternelles et primaires ne ferment pas leurs portes. Ensuite, c'est encore grâce à eux que notre agriculture survit : pour preuve, la Préfecture a été contrainte de régulariser 400 travailleurs de la banane haïtiens dans le Nord-Atlantique en 2023 faute de travailleurs martiniquais. Enfin, leur implantation chez nous ne poserait aucun problème ni linguistique ni culturel ni ethnique. Chassés massivement de République Dominicaine pour certains, obligés d'essayer, pour d'autres, de franchir la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis au mitan de dizaines de milliers d'autres migrants centre et sud-américains, les fils et filles de Dessalines sont devenus les "damnés de la terre" de ce début du 21è siècle quasiment au même titre que les habitants de Gaza.

   L'argument selon lequel le taux de chômage en Martinique est beaucoup trop élevé pour pouvoir les accueillir ne tient pas la route. Les Haïtiens déjà installés chez nous travaillent, produisent et consomment. Il n'y a quasiment aucun à la prison de Ducos et jusqu'à preuve du contraire, ils ne font pas partie des réseaux de narcotrafiquants qui commencent à sévir dans notre île. Quel mouvement, parti, association etc... aura le courage de faire pression sur l'Etat français pour que des visas leur soient accordés sans délai ? D'autant qu'il est trop facile d'accuser la République Dominicaine et les Etats-Unis de racisme anti-haïtien quand on sait que la France a une dette de 21 milliards de dollars à l'égard d'Haïti. En effet, en 1825, pour accepter de reconnaitre l'indépendance de ce pays qui, à l'époque coloniale, s'appelait "Saint-Domingue", le Roi Charles X a exigé du nouvel état, désormais renommé "Ayiti" (terme taino signifiant "Terre de hautes montagnes" dans la langue de ses autochtones décimés par les conquistadors), le paiement d'une prétendue dette__en réalité d'une véritable rançon__d'un montant d'150 millions de franc-or du 19è siècle. Soit 21 milliards de dollars d'aujourd'hui ! Rançon que la Première République Noire du Monde Moderne a été contrainte de payer rubis sur l'ongle jusqu'en... 1939. Non seulement, elle a dû emprunter cette somme auprès de banques françaises, mais chaque année environ 40% de son budget national fut consacré au remboursement de cette "dette". De 1825 à 1939, rappelons-le ! Soit plus d'un siècle. Argent qui aurait pu permettre à Haïti de construire des écoles, des hôpitaux, des routes, des entreprises etc... Précisions : cette somme était censée servir à indemniser les anciens colons békés de la perte de leurs terres ; en cas de refus de paiement, une coalition militaire franco-hispano-étasunienne menaçait de recoloniser Haïti. 

   La France est donc directement responsable depuis 1825 du désastre haïtien et elle doit le réparer !

   Quand le président Aristide avait évoqué la restitution de cette somme auprès de la France (alors présidée par le socialiste François Mitterand), il fut kidnappé et expédié en... Afrique du Sud où il demeura exilé pendant des années. Malheureusement, la plupart des Martiniquais ne savent rien de ce qui vient d'être évoqué. Beaucoup développent une forme d'anti-haïtianisme écœurant au motif que les immigrés haïtiens viendraient "voler le travail des Martiniquais" !!! Or, ils ne font, quand ils s'installent chez nous, en réalité que de récupérer quelques miettes des 21 milliards de dollars que la France doit à leur pays. 

   Nous sommes Français, la Martinique c'est la France et les manifestations qui se déroulent chez nous depuis bientôt trois mois ne cessent de le proclamer, réclamant que notre niveau de vie devienne similaire, voire identique à celui nos compatriotes hexagonaux. Nous sommes donc comptables, comme tous les Français, de la dette énorme que la France a contractée envers Haïti. Nous devons donc commencer à la rembourser nous aussi, sauf évidemment si nous devenions un pays indépendant. Ce qui est peu probable...

   Accueillir des migrants haïtiens doit être par conséquent considéré comme notre participation, nous Martiniquais, au remboursement de la rançon que la France a infligée à Haïti pendant plus d'un siècle. 

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