Sur la piste de Catherine Gucher (un entretien non poussiéreux)

Dans son nouveau roman, Poussières noires, Catherine Gucher nous entraine une fois de plus en Amérique sur la piste d’une tribu navajo. Mais c’est pourtant dans les Alpes françaises qu’elle vit depuis sa naissance. Après une quinzaine d’années consacrées au travail social, elle est enseignante chercheuse en sociologie à l’université de Grenoble.

Avec son premier roman, Transcolorado (Gaïa, 2017), elle rafle plusieurs prix. Lauréate du Festival du premier roman de Chambéry en 2018, Prix du premier roman de la Journée du livre de Sablet en 2017, Prix du premier roman Baz’Art des Mots en 2017, Prix des lecteurs de Mouans-Sartoux en 2017, Prix Jakin en 2017 et le Prix Marie-Claire Blais au Québec en 2019.

transcolorado catherine gucher

Et qu’importe la révolution ? ( Le mot et le reste, 2019) prend sa source dans un village des Alpes mais nous ouvre les portes de la révolution cubaine. Jeanne et Ruben revisitent leur passé militant et s’interrogent sur ce qu’il en reste et ce qu’ils ont transmis à leur descendance. Après une longue séparation le goût du voyage les réunit en gare de Marseille d’où ils s’élanceront vers ce qui leur reste d’avenir.

catherine gucher révolution

Poussières noires (Le mot et le reste, 17 février 2022) est l’histoire de Hokee, fille d’une indienne navajo violée par le général du bureau des affaires indiennes. A cause de ce sang impur, l’enfant doit vivre dans une grotte à l’écart du clan de L’homme qui marche. Elle n’y reviendra que le jour où le BIA expulse les indiens récalcitrants afin de construire une route pour le transport du charbon extrait des montagnes de Black Mesa, territoire des tribus indiennes. C’est le début d’une transplantation pour un lieu qui ne les accepte pas davantage. Partout les Blancs fouillent la terre, appauvrissant les territoires pour leur propre profit, spoliant et déshumanisant les tribus natives. Hokee rêve de vengeance.

poussieres noires Catherine Gucher

Catherine ucher nous plonge au coeur des légendes indiennes. Elle maîtrise parfaitement la langue imagée des tribus navajos. Une langue portée par la force de la terre qui les nourrit, une langue qui tente d’exprimer naïvement les agissements incompréhensibles de ces Blancs venus exploiter leurs terres. De ses personnages fracassés par un lourd passé, l’auteur cherche une lueur d’espoir au milieu de paysages grandioses et de peuples natifs.

Qu’est-ce qui pousse Catherine Gucher sur les routes de l’Amérique ?

Unidivers – Catherine Gucher, auteure profondément ancrée dans le territoire alpin, vos romans sont des portes ouvertes sur le monde. Qu’est-ce qui vous pousse vers les grandes plaines de l’Ouest américain ?

Catherine Gucher – Les livres comme portes ouvertes sur le monde m’ont accompagnée tout au long de mon adolescence et m’ont permis de respirer un air de liberté alors que mon univers familial était assez clos, replié, étouffant. Avec London, avec Kerouac, je me suis envolée vers des mondes où il semblait que l’immensité des espaces, permettait à chacun de se révéler et d’accéder à la liberté. Ces grands espaces américains ont été le domaine de mes rêves et de mes espoirs, et c’est là que s’est construit mon imaginaire.

Unidivers – Quelles sont vos inspirations littéraires ? Quels auteurs vous accompagnent, vous ont donné envie d’écrire?

Catherine Gucher – Les littératures russes, d’Amérique me soutiennent et me nourrissent. Toutes ces littératures où l’Homme tente d’écrire son histoire singulière sur la trame des paysages et de la grande Histoire. Le courant du Nature writing m’est essentiel car il questionne encore et toujours le rapport de l’Homme avec la nature et cette question est aujourd’hui primordiale. Ce que je cherche dans la littérature, c’est la force des écritures. Je suis très tournée vers l’écriture poétique. Giono est pour moi un maître. Sa capacité à susciter des images, à détourner le sens des mots ordinaires me fascine. Son talent de conteur aussi. Parmi les écrivains russes, les grandes sagas de Dostoïevsky aujourd’hui peut-être un peu « dépassées » me paraissent inégalables. Cette capacité à mettre au cœur du roman de grandes questions morales, tout en donnant au lecteur des clefs de lecture du contexte social, politique d’une époque. J’aime aussi beaucoup les talents de conteur des auteurs sud-américains qui renouvellent la langue : Alvaro Mutis (1923-2013), Leonardo Padura, Francisco Coloane ( 1910-2002)… Sans oublier les auteurs créoles, Raphaël Confiant, Patrick Chamoiseau, Aimé Césaire (1913-2008) bien sûr car là aussi il s’agit d’une langue inventive, imagée, poétique dans laquelle les mots s’émancipent complètement.

Unidivers – Vos romans sont toujours parfaitement documentés. Vous décrivez à merveille les grands espaces, la beauté de la nature. Amish, tribus indiennes, révolution cubaine, l’univers est précis jusqu’à manier parfaitement la langue et les légendes. Comment vous imprégniez-vous de ces environnements, de ces cultures avant de commencer la rédaction de vos romans?

Catherine Gucher – Je m’imprègne de différentes manières jusqu’à ce que je commence à ressentir les odeurs, la sécheresse, le souffle d’un vent, de la tornade…Je lis beaucoup d’autres écrivains qui ont situé leurs romans dans les mêmes espaces mais je fais aussi des recherches documentaires, je puise dans des travaux universitaires, je cherche des photos. J’écris avec des cartes topographiques, des photos des lieux au-dessus de mon bureau pour y être le plus possible. Je cherche à générer des sensations, des impressions…chez le lecteur.

Unidivers – Vos personnages principaux sont des femmes qui portent un lourd passé. Est-ce votre parcours professionnel qui vous pousse à chercher le courage, la force chez des personnages marqués par le passé ?

Catherine Gucher – Mon histoire personnelle m’a enseignée la force des femmes, qui s’opposent à des destins déjà écrits par d’autres pour elles. Mes travaux sociologiques m’ont amenée à m’intéresser également à la façon dont les êtres cherchent à devenir sujets d’une histoire écrite avant eux, qui les dépasse et pourrait les dominer. Ce travail continu d’affranchissement m’intéresse et la question de la liberté des femmes dans des mondes où s’exerce la domination masculine, est cruciale. La question de la résilience est aussi pour moi une énigme : comment réussit-on à renouer avec une force première qui était là avant la blessure, avant la brisure ? C’est aussi cela que je cherche à explorer.

Unidivers – Vos personnages sont des gens fragiles et lumineux, vous aimez les grands espaces, vos récits s’inscrivent dans l’histoire. Comment définiriez-vous votre univers littéraire ?

Catherine Gucher – Je ne sais pas bien répondre à cette question. Peut-être serai-je tentée de dire que mon univers littéraire est un univers qui mêle la cruauté du monde aux possibilités de son réenchantement. Il me semble aussi que la fragilité des êtres est centrale dans mon travail d’écriture et que les grands espaces portent une sorte de consolation face aux tragédies de l’existence. C’est un univers réaliste et poétique.

Unidivers – Dans vos romans, on vous sent très inspiré par la nature. L’écologie pourrait-elle avoir une place plus grande dans un de vos romans?

Catherine Gucher – Il me semble que mon dernier roman Poussières noires comporte une forte dimension écologique et politique. Pour moi la question écologique ne peut se distinguer d’une question sociale. Les gens de peu, les minorités sont les personnages centraux de mes romans et il se trouve qu’ils sont et seront les premiers à être concernés, tragiquement, par les désordres climatiques et écologiques qui s’annoncent. Cependant, c’est avant tout de ce point de vue des personnes que je déroulerai une approche « écologique ».

Unidivers – Avez-vous déjà un nouveau projet de roman ?

Catherine Gucher – Oui, mon prochain roman est en germe. Certains personnages sont en train de prendre vie. Les décors également. Là encore je m’intéresserai à des femmes, et c’est plus particulièrement l’expérience de mères dépossédées de leurs enfants que je chercherai à saisir. Au fond pour moi, écrire est une manière de raconter une histoire, de travailler les mots mais aussi de résoudre des énigmes face auxquelles je n’ai pas de réponse. Et c’est avec les lecteurs que je cherche à partager ces énigmes de la vie. C’est pour cela que chaque rencontre avec des lecteurs est un cadeau qui me permet d’avancer dans la résolution de questions qui sont à la fois existentielles et universelles.

Catherine Gucher, Unidivers vous remercie de ces instants partagés. Nous serons au rendez-vous lors de la parution de votre prochain roman. Et en attendant, nous invitons les lecteurs à découvrir Poussières noires

Catherine Gucher est écrivaine et enseigne la sociologie à l’Université de Grenoble. Pour son premier roman, Transcolorado (2017), elle a, entre autres, obtenu le prix du Festival du Premier Roman de Chambéry et le prix Québec-France Marie-Claire-Blais.

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Commentaires récents

  • "Local", "Traditionnel", "Typique", "D'Antan" "Territoire" et autres euphémismes

    Albè, je voulais dire...

    Frédéric C.

    25/11/2024 - 14:16

    "National" au sens "national Mquais". Ça va sans dire, mais ça va mieux en le disant...

    Lire la suite
  • Kréyolad 1052: Polo chanté

    Sa pa "Daniel" mwen té lé matjé...

    Frédéric C.

    25/11/2024 - 14:13

    ...mè "dannsòl".

    Lire la suite
  • Du gaz dans l'eau au large de la Martinique

    LE CHARBON DE LORRAINE

    Albè

    25/11/2024 - 07:47

    Si on vous comprend bien, MoiGhislaine, le charbon de Lorraine devrait, pour reprendre votre expr Lire la suite

  • "Local", "Traditionnel", "Typique", "D'Antan" "Territoire" et autres euphémismes

    MECOMPRENSION

    Albè

    25/11/2024 - 07:27

    Je crains que vous n'ayez mal compris cet article. A moins que ce ne soit moi qui me trompe. Lire la suite

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    Il faut être un sacré farceur pour faire croire aux Martiniquais qu'un deuxième Cuba est possible Lire la suite