La table ronde sur la « vie chère » : l’aboutissement d’une farce et le début d’une tragédie ?

Mireille Pierre-Louis

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Après la révolte sociale de 2009, au terme de deux mois de palabres (Les Etats-Généraux de l’Outre-mer), l’Etat a financé des projets (!) tous azimuts. Mais le cœur du problème n’avait pas été abordé, il avait même été aggravé, c’est-à-dire la crise des finances locales résultant d’un désengagement budgétaire de l’Etat disproportionné dans les DOM.
 

Sommaire

Quelques enseignements de la révolte de 2009

Baisse des taux de l’Octroi de mer aux Antilles après 2009 & Flambée des prix. 2

La « descente aux Enfers » de la Martinique après 2009 2

Table ronde sur la « vie chère » : vers un remake de 2009 encore plus ravageur? 6

Annexes 9

Autres mesures fiscales pour lutter contre la « vie chère »…coûteuses ou inflationnistes 10

Le schéma de la refonte de l’Octroi de mer dans la TVA nationale pour lutter contre « la vie chère » conduira  à une déflagration économique et à une flambée des prix … 11

Et à une ruine des finances locales … 13

Baisse des taux de l’Octroi de mer aux Antilles après 2009 & Flambée des prix.

Après la révolte sociale de 2009, au terme de deux mois de palabres (Les Etats-Généraux de l’Outre-mer), l’Etat a financé des projets (!)1 tous azimuts. Mais le cœur du problème n’avait pas été abordé, il avait même été aggravé, c’est-à-dire la crise des finances locales résultant d’un désengagement budgétaire de l’Etat disproportionné dans les DOM2.

Les Régions Martinique et Guadeloupe3 avaient par ailleurs abaissé les taux de l’Octroi de mer des communes4 pour lutter contre la vie chère et paradoxalement les prix avaient grimpé deux fois plus vite aux Antilles que dans les autres DOM (!).

Télécharger l’étude en pdf

 

https://www.madinin-art.net/wp-content/uploads/2024/09/vie_chere_606bcfb8.jpg

Source : Insee

D’où le ressenti pour les populations antillaises d’une situation pire qu’avant 2009.

Cette flambée des prix est aussi à mettre sur le compte de l’harmonisation des taux dans le cadre du marché unique antillais, car toute manipulation des taux peut vite devenir inflationniste. Or c’est dans le même travers que l’on semble s’orienter aujourd’hui en Martinique.

La « descente aux Enfers » de la Martinique après 2009

En se greffant sur un essoufflement structurel de l’octroi de mer5, la baisse des taux d’Octroi de mer a ébranlé les budgets des communes antillaises. Il a fallu attendre 2018 pour que les communes martiniquaises retrouvent leur niveau d’octroi de mer de 2008 !

Et après 2009, au moment où les recettes d’octroi de mer baissaient, les communes martiniquaises6 avaient dû supporter seules la hausse de salaire de leur personnel, à travers notamment la titularisation massive des agents de catégorie C, revendiquée par le mouvement social.

Depuis les grandes grèves des employés municipaux à la fin des années 90, la Guadeloupe, quant à elle, détient un record en matière de titularisation.

Les communes martiniquaises ont été plus affectées que leurs homologues guadeloupéennes par la baisse des taux car ces dernières récupéraient la même année une manne de 10 Millions d’euros  d’Octroi de mer que Saint-Martin perdait en optant pour l’article 74.

Les régions de Guadeloupe et Martinique, s’étaient aussi fragilisées financièrement pour venir en aide à l’Etat (!) en cofinançant la hausse de salaire de 200 euros net des employés du privé, réclamés par les manifestants.

Par ailleurs, l’Etat a, à partir de 2009, privé les entreprises antillaises et réunionnaises de 100 M€ de subvention qu’elles percevaient au titre de la TVA NPR7, tout en continuant ses rabots dans la défiscalisation du secteur productif. Ces mesures économiques, s’ajoutant à l’ébranlement des budgets locaux, ont précipité la faillite des entreprises antillaises que celles-ci ont préféré mettre uniquement sur le compte des « 44 jours du LKP ».

Le graphique ci-dessous montre également que la crise de 2009 était pour une large part le contrecoup d’une crise systémique mondiale qui avait aussi fortement affecté les recettes de la TVA nationale en France.

Source: Données Douanes & DGFIP, calculs MPL

Mais dès qu’il existe un dysfonctionnement dans les DOM, cela se traduit sous le vocable de « vie chère » et l’Octroi de mer devient le coupable idéal8, comme aujourd’hui .

En 2009, il n’y avait donc eu aucune attention de l’Etat portée au budget des collectivités malgré une chute de l’Octroi de mer de 130 millions d’euros qui avait affecté particulièrement la Martinique.

Source: Données Douanes

Au contraire, l’Octroi de mer étant présenté comme responsable de la « vie chère »9, les communes, comme aujourd’hui, étaient sur la sellette : pas question d’encourager la « mauvaise gestion» en abondant leur budget! Et, en ne soutenant pas les finances communales, comme à l’inverse il vient de le faire avec un plan d’urgence pour la ville de Marseille de 5 Md€, l’Etat a laissé se dégrader la situation générale des DOM.

La Crise de 2009, a donc ouvert un cycle de crises récurrentes. Seules les révoltes de 2017 et 2018 en Guyane et Mayotte (et dans une moindre mesure à la Réunion) ont donné lieu à des réponses financières de l’Etat10.

A partir de 2014, la baisse des dotations de l’Etat aux communes (120 M€ par an à l’échelle des DOM, soit l’équivalent du krach de l’Octroi de mer en 2009 qui se produirait dorénavant chaque année !) 11 a accentué le déclin des Antilles. Et pour finir, en 2020 les communes antillaises ont été privées du rattrapage de leurs dotations12 ce qui les place dans une impasse totale13.

Et aujourd’hui seul le rebond de l’Octroi de mer permet aux communes martiniquaises de refaire surface. Mais pour la Chambre régionale des comptes des Antilles-Guyane, l’Octroi de mer en raison de son dynamisme excessif (!) produit des « effets pervers » sur les budgets des communes et sur le pouvoir d’achat des ménages « les plus fragiles » auxquels il est urgent de mettre un terme par une réforme « en profondeur » de cette taxe..

Table ronde sur la « vie chère » : vers un remake de 2009 encore plus ravageur?

En 2024, l’on s’achemine vers le même scénario, mais plus ravageur cette fois-ci avec le ministère des finances en embuscade qui agite l’épouvantail de la « vie chère » pour supprimer l’Octroi de mer au profit de la TVA nationale et renflouer son budget.  D’où  cette mission « flash » de l’Etat, composée de deux fiscalistes venus en 24 heures expertiser les solutions de sortie de crise et …inspirer à la Collectivité Territoriale unique de Martinique (CTM) sa feuille de route ?

En effet, alors que les premières tables rondes  sur la « vie chère » ne faisaient guère (ou que peu) mention de l’Octroi de mer mais ciblaient plutôt la TVA nationale selon les médias, voilà que d’un seul coup la CTM propose de supprimer l’Octroi de mer sur des produits de grande consommation afin de lutter contre la  « vie chère[i][i] » (!).

Ce véritable coup de semonce remet  l’Octroi de mer au cœur des débats et laisse accroire  que cette taxe qui représente 4% du prix final d’un bien importé[ii][ii] contre 8.5% pour la TVA nationale14, laquelle taxe tous les biens (importés ou non) et tous les services (ces derniers représentant 65% des dépenses du budget des ménages ne sont pas taxés par l’Octroi de mer), serait le principal responsable de la « vie chère ».

Un tel schéma est  repris en boucle par les grands médias français pour préparer l’opinion publique, y compris dans les DOM,  au démantèlement de l’Octroi de mer dans la loi de finances pour 2025.

Par conséquent, s’il est une réforme urgente à réaliser s’agissant de l’Octroi de mer, ce serait d’associer les maires aux  décisions des régions ou collectivités uniques  concernant les taux ( et les exonérations) de l’octroi de mer communal.

A cet égard, il importe de souligner que les Antilles sont les seuls DOM à accorder systématiquement à l’Etat une exonération d’octroi de mer pour l’importation  de matériels destinés à ses missions régaliennes (en particulier ses chars et armes de guerre, fortement taxés normalement, afin de réprimer la violence sociale qui explose), une exonération qui représente une perte budgétaire sèche pour les communes antillaises [iii][iii] et que la Cour des Comptes voudrait étendre obligatoirement à tous les DOM. Or, cette mesure qui revient à subventionner la politique répressive de l’Etat face à une misère sociale allant croissant devrait plutôt être urgemment abrogée.

Mais tout se passe comme si aux Antilles  l’intérêt supérieur de l’Etat  devait primer sur ceux des  populations « quoi qu’il en coute ».

La CTM  reprenant à son compte les griefs de Bercy à l’encontre de l’Octroi de mer, envisage, pour rendre plus acceptable sa proposition de suppression des taux de l’octroi de mer sur 54 familles de produits de compenser les pertes fiscales des collectivités par une hausse des taux de l’Octroi de mer sur les produits de luxe. Or, si la baisse des taux entraîne une perte budgétaire certaine, la compensation intégrale des pertes fiscales des collectivités par une hausse des taux sur les produits de luxe demeure hypothétique. 

Dans ces conditions, les collectivités martiniquaises aux finances exsangues, en raison de facteurs exogènes vus plus avant, peuvent-elles se permettre le luxe d’intervenir dans cette crise sociale dont la cause première est l’étau, notamment fiscal, exercé par la France sur la Martinique avec sa TVA nationale non appliquée en Guyane ou Mayotte

Données : Douanes (octroi de mer des communes) & DRFIP (TVA nationale)

Le graphique ci-dessus montre que si l’Octroi de mer, supposé premier responsable de la « vie chère » se stabilise après un rebond en 2022,  la TVA nationale après un rebond deux fois plus fort que celui  de l’Octroi de mer en 2022 poursuit sa montée en flèche en 2023. La TVA nationale est l’alpha et l’oméga de la crise structurelle et actuelle aux Antilles, et c’est bien le moment de poser le problème de cette taxe, plutôt que de faire diversion avec l’Octroi de mer.

La suppression de l’Octroi de mer sur certains produits ouvrirait à coup sûr la voie à la suppression pure et simple de l’Octroi de mer, et précipiterait la débâcle de la Martinique qui a besoin d’un plan d’urgence où l’Etat lui restitue des ressources publiques après des décennies de pwofitasyon notamment fiscale, comme nous l’avons montré par ailleurs.

Si l’Etat par ses actions a clairement signifié que son seul devoir à l’égard de la Martinique (contrairement à son intervention à Marseille, par exemple) est d’y affirmer son autorité et sa mainmise, comment sortir de cette impasse ?

Le graphique ci-après montre que le taux d’épargne brute des collectivités martiniquaises est deux fois plus faible que celui de leurs homologues des autres DOM.

Et à l’inverse l’ endettement des collectivités martiniquaises est près de deux fois plus élevé.

Avec la remise en cause de l’Octroi de mer les collectivités martiniquaises, confrontées à un sous financement structurel, ne pourront plus trouver de nouvelles marges de manœuvre financières.

Mais pour l’heure, avec la table ronde sur « la vie chère » et ce qui s’y annonce, nous avons l’impression d’assister à une farce, qui aurait été écrite à l’avance (par qui ?), une farce s’apprêtant à tourner en tragédie où nous risquons d’être promus acteurs de notre propre perte15.

ANNEXES

Autres mesures fiscales pour lutter contre la « vie chère »…coûteuses ou inflationnistes

Abaisser les taux d’octroi de mer, comme le propose la Cour des comptes, sur les produits non concurrents à la production locale, soit l’essentiel des produits importés (!), représenterait au total de fortes pertes budgétaires pour les communes avec à la clé un nouvel effondrement démographique.

Abaisser l’Octroi de mer sur les produits alimentaires de base (jusqu’à zéro cette fois -ci) et l’ augmenter sur les produits de luxe, c’est ce que font déjà les régions et collectivités uniques, et que l’on fait mine de redécouvrir à chaque crise sociale, chacun y allant de sa petite musique16 pour apporter une solution miracle à la « vie chère », sans en mesurer les effets potentiellement ravageurs pour les budgets locaux et in fine les populations les plus fragiles.

Avec l’existence de nombreux taux, les régions et collectivités uniques disposent d’un levier efficace pour taxer les produits selon leur degré de « nécessité » . Or, diminuer le nombre de taux d’octroi de mer (augmenter certains et abaisser d’autres), tel que le recommande aujourd’hui la Cour des comptes, va à l’encontre de cette souplesse de gestion et permettra à l’Etat de préparer la transformation de l’Octroi de mer en TVA pour renflouer son budget, sa priorité absolue.

De plus réduire le nombre de taux entraînera une nouvelle flambée des prix. Car quand les taux baissent, les entreprises ne répercutent pas la baisse, mais quand ils augmentent non seulement ils répercutent la hausse, mais souvent ils la sur-répercutent (voir plus loin).

Abaisser ou supprimer la TVA, n’est pas non plus la solution, cela va augmenter les marges des entreprises qui ne vont pas répercuter la baisse. Il serait plus pertinent que les recettes de la TVA demeurent dans les territoires pour améliorer les conditions de vie de la population, soutenir la commande publique, soutenir la jeunesse, assister les personnes âgées, ….

En réalité la TVA nationale, qui bride l’octroi de mer, et explique en grande part le déclin structurel des Antilles, devrait être transformée en une TVA locale. Après la crise de 2017, il y eut un afflux de ressources publiques, et aussitôt, l’économie guyanaise s’est redressée et l’étau a été desserré autour des populations… Il n’y a pas de solution autre pour les Antilles  (!).

 

Le schéma de la refonte de l’Octroi de mer dans la TVA nationale pour lutter contre « la vie chère » conduira  à une déflagration économique et à une flambée des prix …

Le schéma de refonte de l’Octroi de mer dans la TVA nationale que privilégie Bercy est le suivant : abaisser progressivement les taux de l’Octroi de mer, sur plusieurs années (5 ou 10 ans), jusqu’à sa disparition, et parallèlement augmenter d’autant la TVA, jusqu’à ne plus avoir que de la TVA. Selon le rapport FERDI17, sur lequel se basent Bercy et la Cour des comptes pour cette refonte, les prix vont baisser, la consommation va exploser (!), et de nombreux emplois seront créés.18

Mais FERDI l’avoue lui-même, son modèle économique fonctionne si et seulement si les entreprises répercutent entièrement la baisse des taux d’Octroi de mer sur leurs prix.

Or, les entreprises n’ont pas vocation ni obligation à répercuter la baisse des taux sur leurs prix. En effet, différentes études empiriques en France ou à l’étranger montrent que :

  • Quand on diminue une taxe (l’Octroi de mer en l’occurrence), les entreprises ne répercutent pas ou peu la baisse des taux mais en profitent pour augmenter leurs marges .

C’est la raison pour laquelle, l’Etat n’a jamais abaissé les taux de TVA19 dans les DOM, se contentant de pousser les collectivités, aux budgets fragiles, à le faire pour l’Octroi de mer afin de soutenir le pouvoir d’achat des ménages les plus fragiles, tout en sachant que cela représente un coût budgétaire important pour ces dernières sans impact sur les prix. Les communes de Martinique l’ont durement éprouvé après 2009 ( !).

  • Quand on augmente une taxe (la TVA en l’occurrence), les entreprises, non seulement répercutent entièrement la hausse des taux, mais en plus, il peut y avoir un phénomène de sur-répercussion pour profiter du contexte pour augmenter leurs marges : la hausse des prix ne sera alors attribuée qu’à la taxe20.

Résultat : Avec la refonte de l’Octroi de mer, le consommateur va se retrouver à payer une bonne partie de l’Octroi de mer qui est censé avoir été supprimé, en plus d’une TVA, prélevée pour l’Etat, qui aura plus que doublé.

Pression fiscale avant et après la refonte de l’Octroi de mer en TVA

Ironie du sort, cette réforme fera comme gagnants garantis : les importateurs qui justement sont accusés de « marges abusives ». (A moins que justement l’enjeu ne soit d’augmenter la marge des nouveaux importateurs pour faciliter leur implantation outremer ?).

Si les fiscalistes de FERDI semblaient méconnaître ( ?) cette règle empirique21, il n’en est pas de même pour le commanditaire du rapport FERDI (Bercy) et la Cour des Comptes, extraits :

  • A propos de la baisse des taux de la TVA :

La baisse de la TVA «  n’est pas le meilleur moyen pour relancer l’économie, lutter contre l’inflation, ou conduire des politiques sectorielles ». Président de la Cour des comptes, 2023

«Dans le contexte de la crise sanitaire, les études empiriques sur ces expériences démontrent des effets limités pour un coût budgétaire élevé». Cour des Comptes 2022

«La seule chose qui compte pour moi, c’est le consommateur. Qu’est-ce qui me garantit que si je supprime la TVA, ça n’ira pas dans la poche des distributeurs ?» Bruno Lemaire, 2021

  • A propos de l’Octroi de mer :

« J’attire l’attention de la Cour sur le fait qu’à l’instar des taux de TVA, il n’existe aucun mécanisme pour imposer que la baisse de ces taux [de l’Octroi de mer] se traduise par une baisse corrélative du niveau des prix sur ces produits ». Réponse du ministre des finances, Bruno Lemaire au rapport de la Cour des comptes sur l’Octroi de mer, 2024)

Par conséquent, tant le ministère des finances, commanditaire du rapport FERDI, que la Cour des comptes qui s’en inspire, savent parfaitement que les simulations de FERDI démontrant une baisse du coût de la vie et une création d’emplois par la seule suppression de l’Octroi de mer sont irréalistes. Ce sera exactement l’inverse avec l’augmentation généralisée de la TVA ( !). Ils devraient par conséquent renoncer à cette refonte qui provoquera une déflagration du tissu économique local et une flambée des prix.

Il conviendrait également de renoncer à l’ensemble des recommandations22 de la Cour des Comptes qui visant in fine à préparer cette refonte, dans la lignée du rapport FERDI, ne feront que déstabiliser un système fiscal qui a fait ses preuves, malgré des inconvénients inhérents à toute taxe à la consommation.

En tout état de cause, il apparaît que le pouvoir d’achat des ménages « les plus fragiles » n’est qu’un habillage de la réforme, qui en définitive va la disqualifier en mettant en évidence un nouveau péril pour ces ménages. Pour rappel, bien avant le problème prégnant des prix, la principale cause de la « vie chère », ce sont les bas revenus, avec notamment des prestations sociales, ramenées au nombre d’habitants, deux fois plus faibles que dans l’Hexagone.

 

 

Prestations sociales en €/hab

Ecart DOM- Hexagone en €/hab

HEXAGONE

7 509

3 590

DOM

3 919

 

 

…Et à une ruine des finances locales …

Remplacer l’Octroi de mer par une dotation ? Non seulement les DOM vont perdre le dynamisme de la taxe mais l’Etat de plus aura la mainmise sur ces crédits qu’il reprend déjà progressivement aux collectivités en France. En effet, à chaque loi de finances il rogne sur les dotations de compensation versées aux collectivités pour leurs pertes fiscales afin de financer la hausse de la péréquation nationale, ciblée sur les communes pauvres de l’Hexagone.

 

Source : Douanes/CC, calcul Mpl

Lecture : Si l’Etat avait par exemple, supprimé l’octroi de mer en 2008, les DOM auraient perdu, en 2022, 490 millions d’euros car la compensation de l’Etat est figée au montant que rapportait la taxe en 2008, c’est-à-dire à 1022 M€.23

 

En réalité, les dotations des communes des DOM doivent augmenter à côté de l’Octroi de mer et non pas à la place de l’Octroi de mer, à l’image des communes de la banlieue pauvre d’île de France qui perçoivent 400 millions d’euros de la Ville de Paris (et de sa riche couronne), en plus des dotations de solidarité urbaine de l’Etat qui peuvent dépasser 1000 euros par habitant . Et bien que leurs frais de personnel soient excessivement élevés (du niveau de ceux des DOM, prime de vie chère comprise !), l’Etat ne les confie pas aux bons soins de l’AFD pour leur apprendre à gérer la pénurie, mais recherche ( du moins il y a quelques années encore), toutes sortes de solutions de financement pour faire face à leurs « contraintes structurelles »24..

Source : Données DGCL & Cour des Comptes, calculs MPl

Pourtant malgré une solidarité nationale et régionale soutenues et bien qu’elles se situent au cœur d’un des plus grands bassin d’emplois d’Europe, les difficultés des communes de banlieue sont patentes. Alors quel pourrait donc être le sort des communes des DOM sans solidarité nationale ni locale, sans alternative d’emplois pour leurs salariés dans un rayon de 8000 km, et dorénavant privées de la dynamique d’une fiscalité locale indirecte, considérée par la Cour des comptes comme leur principal handicap structurel ?

Les populations ultramarines fuiront la misère en masse, pendant qu’un mouvement migratoire inverse de Métropolitains est encouragé par l’Etat. Est-ce le but ?

 

 

1 D’une façon générale, au lieu de régler les problèmes structurels des DOM, l’on se contente d’aligner des projets d’investissement. Ainsi, les subventions d’investissement ne manquent pas pour les « projets », mais tant que les recettes de fonctionnement des collectivités ne seront pas à niveau, les investissements, notamment par le recours à l’emprunt qu’ils nécessitent, rigidifient leur budget et aggravent leurs difficultés, (voir la débâcle des villes capitales après la mise en œuvre de programmes de rénovation urbaine dans les années 2010 et mise sur le compte de leurs charges de personnel !). A cet égard, orienter davantage l’octroi de mer des communes vers l’investissement, comme le proposent certains élus, dans le droit fil des recettes de la Cour des comptes, ne peut qu’aggraver les difficultés financières des communes.

2 Ce désengagement budgétaire de l’Etat s’est opéré au travers des diverses décentralisations et des lourds transferts de compétences successifs supportés in fine par les contribuables des DOM. De sorte que depuis des décennies, les populations ultramarines en finançant leur propre rattrapage ont largement contribué au redressement des finances de l’Etat, jusqu’à l’asphyxie aujourd’hui pour les Antilles. Et malgré cela, c’est encore sur ces populations que l’Etat compte en priorité pour réduire son déficit, avec le PLF 2025 ravageur concocté par ses soins.

3 Abaisser les taux d’Octroi de mer pour lutter contre la vie chère revient à faire en sorte que les populations paient elles-mêmes le prix de cette mesure (soit par une baisse des services publics, soit par une hausse des impôts directs).

4 Les régions ont le pouvoir de taux et d’exonération de l’octroi de mer des communes et de l’octroi de mer régional. Elles ont donc la fâcheuse habitude d’abaisser (ou d’ exonérer) uniquement l’octroi de mer des communes, comme ce fut le cas en 2009 aux Antilles.

5 L’Octroi de mer aux Antilles est bridé par l’existence d’une TVA nationale, n’existant ni à Mayotte, ni en Guyane. A la Réunion les taux d’octroi de mer sont plus faibles qu’aux Antilles, d’au moins deux points, ce qui donne en théorie à ce territoire plus de marges de manœuvre fiscales, bien que les revenus des ménages y soient plus faibles.

6 Depuis les grandes grèves des employés municipaux à la fin des années 90, la Guadeloupe détient un record en matière de taux de titularisation.

7 En 2018, l’Etat supprimera les 100 M€ restants de la TVA NPR.

8

9 Contrairement aux affirmations du rapport FERDI, les taux de l’Octroi de mer ne changent pas souvent pour augmenter les recettes des collectivités. En effet, aux Antilles par exemple, l’Octroi de mer régional est plafonné à 2.5%, et l’Octroi de mer des communes est quant à lui pratiquement gelé autour de 7% en moyenne, les régions ne voulant pas assumer la responsabilité politique d’augmenter les taux pour les communes à des fins budgétaire. Les mouvements concernant les taux d’octroi de mer ont lieu surtout au moment du renouvellement du dispositif d’exonération de la production locale par Bruxelles, tous les 6 ans.

10 A l’issue des révoltes sociales en 2017 et 2018, l’Etat a accordé à la Guyane et à Mayotte plus d’un milliard d’euros chacune, dont des recettes de fonctionnement pour les communes et les collectivités de rang supérieur, il a aussi repris en charge le rSa dans tous les DOM sauf aux Antilles. Pour rappel, sans révolte, la Ville de Marseille a obtenu 5 M€ de la « Nation » pour endiguer la délinquance.

11 La baisse des dotations a été compensée à hauteur de 35% pour les 112 communes des 4 DOM historiques contre 100% pour les 10280 communes défavorisées de l’Hexagone (18 millions d’habitants).

12 Les 66 millions d’euros de rattrapage destinés aux DOM à partir de 2020 ont été ciblés sur la Réunion la Guyane et Mayotte, plus pauvres que les Antilles.

13 Plus la Martinique sombre et plus les indicateurs de richesse sont au beau fixe : la population diminuant, le PIB par habitant et la richesse fiscale par habitant (laquelle sert à calculer les dotations de péréquation) augmentent très vite ; les pauvres partant en masse, les revenus paraissent plus élevés et les chiffres du chômage s’effondrent… Autrement dit, pour une sphère politico-administrative (voire médiatique) qui ne « raisonne » que par des indicateurs, « tout va pour le mieux en Martinique »…alors qu' »il y a péril en la demeure ». Par ailleurs, la population diminuant très vite, les frais de personnel par habitant augmentent mécaniquement, d’où la conclusion d’une absence de maîtrise des dépenses de personnel, le « mal » absolu. Également, les communes antillaises sont sommées de s’acquitter en priorité de leurs dettes sociales vis-à-vis de l’Etat (pour avoir intégré les contrats aidés de l’Etat !), d’où une explosion des dépenses de personnel des communes martiniquaises, mise en exergue dans une tribune de l’AFD en janvier 2024 dans le journal France Antilles sans en expliciter la cause au grand public.

[i][i] Mettre en avant le rôle supposé de l’Octroi de mer dans le renchérissement des prix, comme le fait la CTM, c’est précisément le prétexte  qu’attend Bercy pour refondre cette taxe dans la TVA nationale.

[ii][ii] L’Octroi de mer taxe très peu les produits locaux.

14 Pour faire bonne mesure, la CTM propose une baisse de la TVA, mais cette décision appartient à l’Etat, et peut être remise en cause à chaque loi de finances .

[iii][iii] A combien s’élèvent les pertes des communes antillaises avec l’exonération des matériels de l’Etat pour ses missions régaliennes?

15 Cette perte concernera aussi les autres DOM.

16 Dernier exemple en date, un communiqué d’élus antillais demandant à l’Etat de garantir une péréquation entre produits de luxe et produits « nécessaires » (comme s’il s’agissait d’une compétence de l’Etat et comme si c’était une nouveauté), et aussi de mettre en œuvre les mesures du CIOM : lequel CIOM était destiné à lancer l’assaut final contre l’Octroi de mer (!).

17 Le rapport FERDI, un rapport assassin sur l’Octroi de mer qui dévoile la feuille de route de l’Etat pour le devenir de cette taxe refondue dans la TVA nationale, avec à la clé la fin de la production locale .

18 Le rapport Ferdi de 2020 garantit, sur des bases fausses, une création d’emplois dans les DOM avec la refonte de l’Octroi de mer, sauf en Martinique, ce qui signifie que cette refonte y serait une véritable catastrophe que les élus martiniquais ne semblent pas appréhender à sa juste mesure.

19 Les DOM ne faisant pas partie de la Directive TVA de l’Union européenne, l’Etat a toute latitude pour y modifier ses taux.

20 Toutes choses étant égales par ailleurs, c’est ce que l’on observe aujourd’hui avec l’inflation.

21 L’on peut citer l’exemple de la baisse de la TVA dans la restauration de 19.5 à 5.5%, sans répercussion sur les prix ni sur l’emploi. Mais quand par la suite les taux de la TVA ont été rehaussés à 10%, toute la hausse a été répercutée sur les prix. Les prix sont plus élevés qu’au départ, malgré le passage des taux de 19.5% à 10% !. C’est exactement ce qu’il adviendra avec la propositions de la CTM d’abaisser les taux d’octroi de mer pendant 3 ans, quand l’on reviendra aux taux normaux, les prix vont flamber. Cette mesure de baisse des taux ne peut donc être transitoire !, mais cela risque bien d’être une perte de ressources définitive pour les communes, qui sera croissante avec le dynamisme de cette taxe.

22 Près de 50% de la population ultramarine vit en dessous du seuil de pauvreté, et ne consomme pas que des produits de première nécessité, ce que les plus fragiles vont gagner d’un côté, ils risquent fort de le payer beaucoup plus cher de l’autre, comme après 2009 aux Antilles.

23 En réalité si l’Etat avait transformé l’Octroi de mer en 2008 en TVA, il n’aurait pas gagné que la dynamique de l’Octroi de mer (490 Md€), il aurait aussi augmenté les taux. Car tant que la TVA ne sera pas à 20%, Bercy considère que l’Etat perd de l’argent dans les DOM. Et c’est tout l’enjeu de la réforme : « récupérer ses billes ».

24 « Les communes défavorisées d’Ile de France : des difficultés structurelles appelant des réformes d’ampleur», la Cour des comptes en 2018 reconnaît des difficultés structurelles pour les communes de la banlieue parisienne, quand pour les DOM elle ne cible que l’Octroi de mer comme handicap … La Cour n’appelle plus à refondre l’Octroi de mer dans la TVA nationale, mais plus subtilement demande une réforme en profondeur pour préparer in fine cette refonte .

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