«Le télescope James-Webb révolutionne tous les domaines de l’astrophysique»

Un an après sa mise sur orbite par une fusée Ariane 5 le 25 décembre 2021, le télescope spatial James-Webb a déjà livré de nombreuses photos qui ont fait le tour du monde. Présenté comme la « mission du siècle », l’engin à 10 milliards de dollars tient-il ses promesses ? Entretien avec Nancy Levenson, directrice de l’institut scientifique du télescope spatial (STScI) de Baltimore aux États-Unis, l’organisme qui coordonne et contrôle les activités avec le télescope.

RFI : Après un an passé dans l’espace, dans quel état est le James-Webb Space Telescope (JWST) ? Il a été frappé par une micrométéorite, un de ses instruments, MIRI, a eu quelques problèmes, est-ce que c’est résolu ?

Nancy Levenson : C’est en effet la chose la plus importante : il est en bon état. Ses performances sont encore meilleures que ce qu’on avait anticipé.

Cela fait 6 mois que JWST est opérationnel, il a déjà réalisé de nombreuses observations. Quelle est celle que vous retenez ?

C’est à la fois compliqué et injuste de choisir ! Mais je peux en retenir qui ont vraiment été impressionnantes. Tout d’abord, nous avons pu observer l’Univers très jeune. Nous pouvons non seulement observer les galaxies les plus lointaines, mais nous avons pu également estimer quand elles se sont formées. Nous avons maintenant des données vérifiées de galaxies apparues quelques centaines de millions d’années seulement après le début de l’Univers. C’est tout simplement incroyable de pouvoir les observer. Cela améliore notre compréhension sur la façon dont ces galaxies se forment et évoluent. C’est vraiment un domaine en pleine ébullition.

Dans un tout autre secteur, je pense que toutes les observations et découvertes sur les exoplanètes ont été merveilleuses. Nous avons pu analyser l’atmosphère de planètes qui orbitent autour d’autres étoiles que le Soleil. Nous avons pu comprendre leur composition, ce qui, en retour, nous renseigne sur la formation de ces planètes. Il y a eu des découvertes, comme l’observation de réactions photo-chimiques dans ces atmosphères. Il y a eu des confirmations également, comme la détection de vapeur d’eau dans certaines d’entre elles.

Est-ce que les observations faites par JWST nous amènent déjà à devoir retravailler les modèles expliquant la formation des premières galaxies ?

Tout à fait. Je pense que nous devrons ajuster nos modèles car nous avons observé que ces premières galaxies massives sont apparues très tôt dans la vie de l’Univers, plus qu’on ne le pensait. Il faudra bien qu’on l’explique.

Justement, on a observé lors de la publication des premières observations de ces galaxies une sorte de « course » à qui trouvera la plus ancienne, comme si la communauté avait encore du mal à appréhender le nouvel outil mis à sa disposition. Partagez-vous ce constat ?

Je ne suis pas sûre qu’on puisse convaincre les scientifiques d’aller moins vite. Je reconnais qu’il y a eu de ça. Mais il faut toujours compléter ces premières observations. Nous n’avons souvent que des distances estimées, des âges estimés pour ces premières galaxies. Mais nous arrivons au moment où nous enrichissons les premières observations de données spectroscopiques qui nous permettront de confirmer les premières mesures. Cela nous a déjà permis de compléter certaines observations. Bien sûr, il faudra du temps pour faire cela pour toutes les galaxies candidates au titre de plus ancienne. Mais c’est sur quoi nous travaillons.

Dans ce cadre, la première rencontre scientifique autour des données de JWST a été organisée à Baltimore la semaine dernière. Qu’en est-il ressorti ?

Personnellement, cela a été très plaisant et stimulant de voir tout ce qui se disait. Effectivement, c’était très bien d’avoir cette opportunité pour la communauté de partager et de présenter leurs nouvelles données. Il y a eu beaucoup de moments d’excitation durant la semaine, lors de la présentation de résultats. Les niveaux de détails, la qualité de certaines données, qu’on ne pouvait auparavant obtenir que pour les galaxies les plus proches, nous les avons désormais pour d’autres bien plus lointaines. Les données spectrographiques [l’analyse de la lumière reçue par le télescope permet de déterminer quels sont les composés chimiques qui l’ont émise ou qu’elle a traversé – Ndlr], sont parfaites… ce niveau de détail n’est vraiment possible qu’avec JWST.

Justement, une analyse spectrographique est très attendue : celle de l’observation des planètes du système TRAPPIST-1, qui comprend trois planètes rocheuses dans la zone habitable de leur étoile. Vous avez annoncé que les résultats de cette observation seront bientôt publiés. Sans divulgâcher, pouvez-vous nous en dire plus ?

La chose importante, c’est que les observations ont été faites et les analyses ont débuté. Mais il faudra attendre pour avoir plus de détails. On peut faire le lien avec votre remarque précédente sur la « course ». La communauté qui travaille sur les exoplanètes fait en général très attention à avoir bien tout analysé avant de rendre publiques leurs découvertes. Mais effectivement, ils ont pu observer plusieurs planètes de ce système, dont une qui se trouve dans la zone habitable, où la présence d’eau liquide est possible. Nous attendons tous !

Au-delà de ces résultats, qu’attendez-vous particulièrement en 2023 ?

C’est dur à dire, mais nous continuerons à obtenir des résultats dans les domaines que nous avons commencé à étudier. Nous allons également lancer le programme d’observation générale : ce sera plus facile pour les scientifiques d’obtenir leurs données et je pense que cela nous permettra d’en obtenir dans de nombreux différents domaines, en provenance de différents groupes de chercheurs. J’ai assez hâte de voir ça.

Et vous, en tant que directrice de l’Institut du télescope spatial, vous disposez de 10% du temps d’observation du JWST. À quoi allez-vous l’utiliser ?

En effet, c’est l’une des meilleures parties de mon travail ! Pour la première année, le premier cycle d’observation, la grande part de ce temps a été allouée au programme scientifique préliminaire. Nous avons fait un effort pour avoir des observations très tôt et partager ensuite toutes les données avec tout le monde. Il me reste encore un peu de temps d’observation, ce qui me permet de répondre favorablement aux scientifiques qui n’ont pas accès à du temps de JWST pour observer. Typiquement, c’est pour les phénomènes transitoires, les choses qui changent. Il y a eu récemment un sursaut de rayons gammas qui a été observé. On ne s’y attendait pas et ce temps dédié, souple, a permis d’utiliser JWST.  Enfin, il y a bien sûr les nouvelles découvertes au fil de l’eau et les scientifiques qui ont besoin d’avoir accès au télescope. J’accepte donc certaines de ces propositions durant l’année. Nous attendons également les propositions pour le deuxième cycle d’observations. La date limite est fin janvier, cela nous donnera ensuite le temps pour examiner tout cela, faire la sélection et commencer le cycle à partir de juillet.

Avec le recul, considérez-vous que JWST constitue la révolution annoncée ?

Absolument. D’ailleurs, le plus important, c’est que cela concerne tous les domaines de l’astrophysique. Il n’est pas excellent que dans un seul domaine. Nous avons parlé de l’Univers jeune et des galaxies, des exoplanètes… mais il y a aussi la formation des étoiles. Les nuages de poussières et de glaces qui forment des disques autour de ces étoiles et où apparaissent les planètes. Personnellement, ce sont les noyaux des galaxies actives qui m’intéressent, les trous noirs supermassifs en leur centre qui se nourrissent de toute cette matière. Nous obtenons des détails d’une précision exquise sur ce qui entre à l’intérieur, mais également ce qui est éjecté lors du processus. JWST touche tous les domaines de l’astrophysique. La communauté est en plus très créative dans sa façon de l’utiliser.

JWST arrive en complément d’un autre télescope spatial, Hubble. Comment s’articulent les liens entre les deux engins ?

Ils se complètent. Les deux sont uniques dans leurs domaines respectifs, et il y a plein d’études pour lesquelles nous avons absolument besoin des deux. Hubble est essentiel pour les observations dans le domaine de l’ultraviolet, cela nous apporte un autre éclairage. Pour obtenir l’image complète des objets astrophysiques, nous avons besoin de tout ça. Je suis d’ailleurs assez curieuse de voir comment nous continuerons à partager ces travaux venant à la fois de Hubble et du JWST.

La nébuleuse de l’anneau austral, observé par James-Webb.© NASA/ESA/ASC/STScl

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