Faubert Bolivar, invité d'honneur de la 4e édition de Festithéâtrecréole à Montréal

Claude Bernard Sérant ("Le Nouvelliste")

Les habitués des Vendredis littéraires de l’Université Caraïbe, les amis de l’Institut français, de la FOKAL ou autres cercles de rendez-vous culturels à Port-au-Prince, ont déjà assisté à une prestation artistique de Faubert Bolivar.

En 2015, sa pièce « La Flambeau », a obtenu une mention spéciale du Prix Henri Deschamps. Philosophe, enseignant, dramaturge, comédien, poète, ce promoteur de la culture, a pris son ancrage à la Martinique. Depuis ce territoire français d’outre-mer, dans son costume de directeur artistique de l’association dénommée BALISAILLE, il avait lancé, en février 2022, le prix international de l’invention poétique et de la traduction en langues créole. C’est cet artiste polyvalent que la Compagnie Théâtre Créole a choisi comme invité d’honneur de la 4e édition de Festithéâtrecréole articulé autour du thème « Teyat, poto mitan nan divèsite a / Le théâtre au centre de la diversité ».

Le Nouvelliste : Avec quel sentiment, Faubert Bolivar, accueillez-vous cette invitation : vous êtes l’invité d’honneur de la 4e édition de Festithéâtrecréole.

Faubert Bolivar : Un sentiment de fierté certainement. Je ne m’attendais pas du tout à cela ; si la proposition m’avait été faite, je l’aurais sans doute déclinée car j’ai une faiblesse pour la discrétion, mais cela m’a été comme imposé : je ne m’en plains pas, au contraire je mesure l’honneur qui m’est fait par l’équipe de la Compagnie Théâtre Créole, et je les en remercie très sincèrement.

Le Nouvelliste : Qu’est-ce qu’il y aura à consommer au menu de vos activités à Montréal ?

Faubert Bolivar : Outre les prises de parole, je présenterai pour la première fois au public ma pièce « Jesika », écrite entre 2008 et 2009. Un extrait de ce texte a été publié dans l’ouvrage collectif paru chez Actes Sud, « Haïti parmi les vivants », à juste titre parce que s’y lisait comme une sorte de prémonition de Goudou-goudou. Le relisant, David Bontemps, qui m’accompagnera au piano, y a vu une sorte d’annonce prophétique de la situation qui prévaut actuellement au pays : le règne sans partage de la mort souveraine. Je ne suis ni devin ni prophète, je reste simplement attentif au réel. En 2009, il était clair pour moi que 2022 se pointait déjà à l’horizon, c’est-à-dire ce qui caractérise Haïti aujourd’hui, l’état de nature dans toute sa splendeur, pas celui de Rousseau, mais celui de Hobbes, l’état de guerre de tous contre tous. Je peux vous dire que les voies de l’avenir seront sombres durant des décennies encore, pour la simple et bonne raison que la relève n’est pas assurée. Ce sont les hommes et les femmes qui font les nations, Claude, or, force est de constater que les enfants d’aujourd’hui sont très peu préparés pour prendre en main leur destin. Ils sont peu éduqués, mal scolarisés, mal nourris, traumatisés à un point que nous ne pouvons même pas imaginer, ils vivent dans la peur et l’angoisse, et savent qu’ils sont des jouets entre les mains assassines des maîtres du pays, qui n’est qu’un terrain de jeu où s’exercent les forces macabres et mafieuses … Ka nou grav pase aksan grav ! Pour parodier le sage Amadou Hampâté Bâ, disons qu’en Haïti, quand un marché brûle, quand une cervelle explose, quand une fille est violée, quand une mère se retrouve séquestrée après avoir été kidnappée, quand un policier est décapité, c’est toute une génération qui est sacrifiée. Qu’adviendra-t-il du fils de notre amie poétesse Farah-Martine ? Ses parents ont quand même été exécutés sous ses yeux une nuit ordinaire dans la maison familiale !!! La pièce parle aussi de ça, de ces gens, ô combien nombreux, que les forces obscures ont grillés, et avec eux, le pays, qui est, in fine, comme il était préparé à être. J’invite nos amis créolophones à y assister, ne serait-ce que pour les besoins de la catharsis. Nous avons besoin d’exploser, Claude. Il nous faut expulser le mal-être déposé en nous par l’impitoyable violence du quotidien.

Le Nouvelliste : Quel regard portez-vous sur cet événement ?

Faubert Bolivar : Un regard plein d’admiration et de respect. Des activités de ce type nous invitent à ne pas, en dépit de tout, désespérer de l’avenir. Ce qui nous donne des raisons d’espérer aujourd’hui c’est le fait de nous rendre compte qu’il existe une belle âme haïtienne,  qui nous laisse entrevoir la lumière au bout de ce tunnel. Cette âme, éparpillée avec nous, blessée avec nous, dont nous prenons soin ici et là, elle saura retrouver sa vitalité et contribuer à notre résurrection le moment venu. Je crois que le moment viendra, nous ne serons certainement plus de ce monde, toi et moi, où Haïti triomphera des vagues de la mort qui l’emportent… 

Le Nouvelliste : Quoi de neuf ?

Faubert Bolivar : Si tu veux, tout est neuf (rires). En août, nous avons fait la rentrée de BALISAILLE avec « Rouler l’écho de mon grand rire sur les flots de mon abîme », une adaptation de mon texte Lettre à tu et à toi (Anibwe, 2013) avec David Bontemps, Daniel Ajoup et Nicolas Pierrel. Nous nous apprêtons à lancer l’appel à participation du Prix international de l’invention poétique et savons déjà que la deuxième édition de « Mai Poésie » aura lieu du 17 au 20 mai 2023. Je passerai la fin de l’année à l’île de la Réunion où je compte m’enfermer pour écrire.=

Le Nouvelliste : Vous êtes professeur. Combien de jours passerez-vous à Montréal?

Faubert Bolivar : Une semaine, le temps du festival. Je reviendrai l’année prochaine pour le mois de l’histoire des Noirs afin d’assister à la première mondiale de l’opéra « La Flambeau » adapté de ma pièce éponyme par David Bontemps, ce sera à la Salle Pierre Mercure, le 7 février, tout un symbole, non ? En tout cas l’invitation est lancée à tous ceux et toutes celles qui lisent ce papier et qui pourront se retrouver à Montréal pour l’occasion.  

Propos recueillis par Claude Bernard Sérant

 

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