« L’art est un besoin, on ne peut s’en passer », écrit Dominique Berthet pour introduire sa réflexion sur la dimension critique de l’art, ses différentes fonctions et ses pouvoirs. C’est donc en termes de nécessité, précise-t-il, que sera envisagé l’art dans ce nouvel essai au titre doublement évocateur : L’art change-t-il la vie ? (paru aux Presses Universitaires de Provence en janvier 2022).
L’intitulé n’est pas sans rappeler la célèbre formule « changer la vie » d’Arthur Rimbaud et fait écho à l’image de la « figure emblématique du poète-rebelle-errant » choisie par l’auteur pour illustrer la première de couverture. Notons que Rimbaud (Paris et Charleville Mézières,1978-1979) est l’œuvre d’Ernest Pignon-Ernest, un artiste qui « fait un art destiné à éveiller, à secouer les consciences ; un art qui dénonce des faits, des situations, des tragédies ». Sa pratique atteste de l’importance du rôle que l’art peut jouer dans la société « en sensibilisant, en dénonçant, en se positionnant » (p. 48).
Puissance du titre et force de l’image renvoient le lecteur à des questions centrales, plus que jamais d’actualité : Que peut l’art ? Peut-il intervenir sur le réel ? quel est le rôle de l’artiste et quelle est sa responsabilité au sein de la société ? Comment des œuvres innovantes, audacieuses, sont-elles reçues par le public ? Pour explorer ces diverses problématiques, l’auteur développe son propos autour de quatre axes thématiques dont les mots clé : utopie, surprise, transgression, engagement, donnent le ton à cet ouvrage.
A l’image de l’art, l’utopie est de l’ordre de la nécessité, selon Dominique Berthet. Il entend montrer cependant, qu’il faut repenser l’utopie en relation avec notre temps, « débarrassée des pensées d’excellence et de norme, de perfection et d’harmonie » qui caractérisaient les utopies du passé. C’est donc une autre approche de l’utopie que propose l’auteur, celle d’une alternative de vie, d’un autre réel possible, l’utopie comme pensée féconde tournée vers le présent, « une pensée de l’autrement » (p. 9). Partant de cette conception, l’artiste aux prises avec le réel est le premier des utopistes car, nous dit l’auteur, « dans sa pratique, l’artiste peut tout imaginer, tenter, explorer, expérimenter, inventer ». Au risque de surprendre, de troubler, de perturber, de provoquer, il peut aussi se donner le droit « d’ironiser, de transgresser, de condamner, de détruire, de toucher les extrêmes ». Ainsi, « l’art est tout autant un espace de création qu’un espace d’insoumission, de résistance » (p. 38). Participant d’une utopie concrète (Ernst Bloch), d’une utopie pragmatique (Dominique Berthet), un des enjeux principaux de l’art serait-il alors de changer la vie ?
Une des caractéristiques de l’art est d’être insolite, rappelle l’auteur. L’insolite apporte une note de fantaisie, provoque de la surprise, du trouble, il est ce qui évite de tomber dans la routine, dans le banal, dans la platitude. L’insolite, ajoute-t-il, est le propre de la création. La deuxième section de l’ouvrage s’intéresse « au risque de la surprise » et à l’expérience du trouble que peut générer la rencontre avec une œuvre, aux réactions d’hostilité que l’audace artistique, par « son double caractère d’initiative novatrice et de défi », peut parfois susciter (p. 65). De nombreux exemples attestent que certaines œuvres non seulement déconcertent, décontenancent, voire bouleversent, mais que les artistes ou les institutions muséales et leurs représentants font parfois l’objet de violentes attaques ou de procédures judiciaires. Pourtant, rappelle l’auteur, le pire ennemi de l’art étant l’indifférence, « quel serait l’intérêt d’un art qui ne trouble pas ? » ou encore « quel serait l’intérêt d’une œuvre qui ne provoquerait aucune sensation ? » (p. 85). Dominique Berthet aborde cette interrogation qu’il juge comme fondamentale dans la création en centrant sa réflexion sur la question du corps, « le corps troublant ». Il nous livre quelques descriptions captivantes d’œuvres qui dérangent et inquiètent, à l’image de l’œuvre « complexe, protéiforme, hybride » de Matthew Barney. A travers d’étonnantes métamorphoses corporelles et une série de films (Cremaster cycle 1994-2002), l’artiste élabore des mondes où se mêlent « le morbide et l’érotique, le désir et le malaise, l’aseptisé et le baroque, le macabre et le merveilleux, le monstrueux et le sublime » (p. 87).
Au rang des œuvres qui condensent « trouble politique et trouble artistique, l’évocation de l’installation intitulée Crystal of resistance, présentée par Thomas Hirschorn à la 54e Biennale de Venise (juin-novembre 2011) retient l’attention en tant qu’expérience esthétique particulière. Cette installation « capharnaüm » intégrait « des images de corps violentés, des fragments de corps dissociés, de corps ensanglantés, mutilés, de cadavres baignant dans leur sang, autant d’images prises sur le vif lors des manifestations dans les pays arabes, publiées dans la presse internationale » (p. 91). Au-delà de la surprise qui bouscule et ébranle, la rencontre avec ces œuvres relève « d’une expérience extrême de sidération et de choc » (p. 81).
« La notion de transgression est indissociable de l’art contemporain », elle en est le moteur et c’est ce que l’auteur entend montrer dans la troisième section de l’ouvrage (p. 99). Si la caractéristique principale de la modernité était de créer du nouveau en dérogeant aux règles de l’esthétique classique, dans l’art contemporain, l’hybridation des domaines artistiques et des pratiques associant les domaines artistiques et non artistiques (bio art), renforce encore la transgression des limites, repoussant un peu plus les frontières de l’art.
Dans l’art actuel, le fait de produire des œuvres choquantes, parfois scandaleuses, est une stratégie assumée par de nombreux artistes dans le but de questionner, de résister, de critiquer. La réception de ces œuvres, en revanche, peut aller de l’acceptation à la réprobation, « de l’étonnement au geste extrême » et atteste qu’il existe toujours un décalage entre la production de l’artiste et l’attente du grand public. Ce que veut montrer l’auteur, c’est qu’en dépit de l’existence de réactions parfois excessives et disproportionnées, ces œuvres « insolentes » sont nécessaires car « il faut que l’art étonne, questionne, déstabilise » (p. 92). Le véritable danger, précise-t-il, réside dans les mécanismes de récupération qui visent à banaliser ces transgressions, menaçant de les vider leur force critique.
La dernière partie du volume traite plus particulièrement des questions liées à l’art dans sa relation au social et au politique, de l’engagement de l’artiste, de l’émergence de nouvelles formes de contestations et d’actions artistiques transformatrices. Dans ce cadre, l’artivisme, avec sa constellation de pratiques diverses, s’appuie sur un héritage artistique et idéologique, « une tradition révolutionnaire, libertaire, transgressive, ayant recours au jeu, à l’humour, à la dérision, à la provocation, à la fête, à l’inattendu, à l’insolite » (p.145). La référence à certaines avant-gardes du passé est bien présente : Dadaïsme, Surréalisme, mais également Fluxus, Actionnistes viennois, Situationnistes, happenings et performances, contre-culture pour ne citer qu’eux. En évoquant de nombreux exemples d’actions et de pratiques en situation, sans oublier les actions anonymes ou encore individuelles (street artistes), l’auteur entend montrer que « ces formes contemporaines d’art engagé continuent d’explorer la fonction critique de l’art en inventant d’autres modalités de surgissement dans l’espace social et d’interpellation des citoyens » (p. 155).
La lecture de cet ouvrage passionnant et consistant occasionne de nombreuses rencontres avec des artistes aux personnalités audacieuses, aux postures critiques, qui à toutes les époques ont osé défier les normes et les règles artistiques, transgresser les codes en réalisant des œuvres inconvenantes, fondatrices, ouvrant des horizons nouveaux, participant ainsi à changer radicalement le regard porté sur l’art.
En étayant ses analyses de références artistiques, littéraires, sociologiques, philosophiques, Dominique Berthet nous offre un livre incontournable sur la nécessité de l’art. « L’audace, l’insolence, les transgressions des artistes, dit-il, sont l’oxygène d’une société » et l’art actuel, producteur de surprises, d’insolite, de trouble, « n’a rien perdu de son potentiel critique ». Si l’art n’a pas le pouvoir de changer concrètement et radicalement les choses, il éveille les consciences, change les mentalités et demeure un espace de liberté et de résistance, « un espace salutaire dans lequel il est possible d’ironiser, de détourner, de critiquer, de perturber, de rêver, de fantasmer, de réagir » (p. 8).
"National" au sens "national Mquais". Ça va sans dire, mais ça va mieux en le disant...
Lire la suite...mè "dannsòl".
Lire la suiteSi on vous comprend bien, MoiGhislaine, le charbon de Lorraine devrait, pour reprendre votre expr Lire la suite
Je crains que vous n'ayez mal compris cet article. A moins que ce ne soit moi qui me trompe. Lire la suite
Il faut être un sacré farceur pour faire croire aux Martiniquais qu'un deuxième Cuba est possible Lire la suite