Voici un livre qui suscitera à n'en pas douter moult débats, sans doute agités, tant la tension entre le groupe dit "Béké" et le reste des populations martiniquaise et guadeloupéenne est à son maximum depuis un peu plus d'une décennie. Son éditeur, Florent Charbonnier (directeur de Caraibéditions), et ses deux auteurs, Steeve Gadet et Emmanuel de Reynal, font donc là preuve d'un indéniable courage et donc avant de vouer l'ouvrage aux gémonies, il serait bon de le lire.
De le lire attentivement s'entend...
Si "Dialogue improbable" constitue une première au plan éditorial, il faut se garder d'oublier qu'au plan politique, diverses tentatives de dialogue, d'alliance ou de compromis ont eu lieu entre la majorité des Martiniquais et le groupe béké. Groupe démographiquement minuscule puisqu'il ne compte qu'environ 3.500 personnes soit 1% de notre population (contre 3% en Jamaïque et 5% à Barbade) mais qui détient, à la date d'aujourd'hui près de 50% de l'économie martiniquaise et s'agissant des bonnes terres agricoles plus de 70% de celles-ci. Groupe pratiquant comme chacun sait l'endogamie (mariage entre soi) et vivant dans une sorte d'auto-apartheid (symbolisé par le quartier Cap-Est dans la commune du François).
Au 20è siècle, il y a eu au moins deux tentatives de dialogue : le fameux "Pacte avec l'Usine" du député mulâtre Joseph Lagrosillière, cela au début dudit siècle et à sa fin, la plantation du non moins fameux "Courbaril de la Réconciliation" par Aimé Césaire et Camille Darsières à l'Habitation Clément, au François, propriété du plus riche Béké de la Martinique. On notera d'abord que le premier pas a été fait dans ces deux cas par le groupe dit "de couleur" et non pas le groupe béké. On remarquera ensuite que tout cela n'a abouti à rien puisque rien n'a changé quant à l'omnipotence de ce dernier au plan économique. Plus tard, il y eut une tentative grossière d'accaparement du discours de la Créolité par une association prônant "la réconciliation" sur le modèle sud-africain de Mandela, mais sans passer par l'étape dite de "Vérité", tentative fort heureusement avortée.
Et puis vint février 2009 et sa grève d'un mois entier, ses manifestations monstres et ses "Bétjé déwò !" (Dehors les Békés !) qui enterrèrent presque définitivement tout tentative de conciliation. Sans pour autant changer quoi que ce soit non plus puisque les mêmes qui dénonçaient les Békés votèrent à 80% contre ce petit début de commencement d'autonomie qu'aurait pu être l'Article 74. Au jour d'aujourd'hui, une sorte de statuquo fragile s'est instauré mais chacun sait fort bien qu'il pourrait voler en éclats à tout moment tant la situation de la Martinique, sur tous les plans, est grave.
L'ouvrage de Steeve Gadet et Emmanuel de Reynal vient donc ranimer le débat et c'est déjà ce en quoi il est important. Car, au départ, leur dialogue, avait commencé par une bisbille suite à un commentaire radiophonique assez mordant du premier à propos d'un ouvrage publié par le second. Il aurait pu se terminer là sauf que les deux hommes en sont finalement venus à se rencontrer et à dialoguer. A tenter de dialoguer plutôt car le démarrage fut rude, rugueux même, comme on le découvrira à la lecture de l'ouvrage, avant de prendre une tournure moins rigide de part et d'autre. Il a fallu de multiples rencontres avant d'en arriver là, comme le lecteur le verra.
L'intérêt de "Dialogue improbable" est qu'il s'agit d'un ouvrage sans concession, dans lequel chacun exprime ce qu'il croit être sa vérité tout en essayant d'entrevoir des passerelles en direction d'un possible modus vivendi à terme. On n'est donc pas du tout dans le bisounours ! Car il faudra bien qu'à moyen ou long terme un modus vivendi s'instaure une fois que l'étape "Vérité" aura été atteinte bien évidemment, ce qui est loin, très loin d'être le cas aujourd'hui. Il n'est, en effet, pas pensable que grassement dédommagés par l'Etat français après l'abolition de l'esclavage, le minuscule groupe béké continue à détenir la moitié de l'économie martiniquaise. Il n'est pas pensable non plus qu'il nous impose, depuis la loi de départementalisation/assimilation de 1946, une économie de comptoir mortifère pour la Martinique. Il n'est pas pensable enfin que les Békés continuent dans cette voie suicidaire (cf. les Pieds-noirs d'Algérie) alors que leurs cousins de la Caraïbe, eux, ne se sont pas opposés à l'accession à l'indépendance de leurs pays et qu'on ne voit jamais sur les murs de Bridgetown (Barbade), Castries (St-Lucie) ou Kingston (Jamaïque) de graffitis exigeant l'expulsion des Whites.
Puisse, ce dialogue improbable donner enfin aux Békés matière à y réfléchir sérieusement ! Pour une fois...
"National" au sens "national Mquais". Ça va sans dire, mais ça va mieux en le disant...
Lire la suite...mè "dannsòl".
Lire la suiteSi on vous comprend bien, MoiGhislaine, le charbon de Lorraine devrait, pour reprendre votre expr Lire la suite
Je crains que vous n'ayez mal compris cet article. A moins que ce ne soit moi qui me trompe. Lire la suite
Il faut être un sacré farceur pour faire croire aux Martiniquais qu'un deuxième Cuba est possible Lire la suite
Commentaires
Vivre ensemble côte à côte.
Oui
10/05/2022 - 20:53
Les Békés, qui ne comptent que 1% de la population, ne devraient plus exister en tant que tels, sans une stratégie délibérée d'apartheid. L'objectif vise à ne pas trop disperser la richesse, et préserver ainsi un style de vie.
On peut penser que le dialogue, l'ouverture et tutti quanti, s'ils sont sincères, devraient conduire au métissage et à la disparition du groupe. Sinon, ce ne sera qu'un réaménagement de l'apartheid, pour tenter de mieux vivre ensemble, mais toujours côte à côte.