Le film de Abdenour Zahzah (2024), consacré au psychiatre et héros de la Révolution algérienne, Frantz Fanon, projeté jeudi soir à la cinémathèque de Béjaïa, au 3ème jour des rencontres cinématographiques de la ville, a manifestement ému et captivé, tant la chronique, bien que sobre dans son déroulement, a été riche en émotion.
M. Zahzah, qui y livre un portrait dépouillé, s’est attaché à montrer l’engagement de ce praticien de l’âme, focalisant essentiellement sur son passage à l’hôpital de Joinville à Blida où il s’était investi à corps perdu pour soigner et traiter ses patients musulmans, améliorer et humaniser les pratiques psychiques courantes alors et battre en brèche le racisme ambiant dans l’établissement. L’hôpital, en effet, s’apparentait beaucoup plus à un centre d’internement qu’a une structure de santé, où les malades ou supposés tels (ce n’était pas toujours le cas) n’y étaient admis que pour mieux être isolés surtout du «monde civilisé», débarrassés ainsi de leurs prétendues nuisances. Celui-ci, du reste, était organisé selon une stricte séparation des patients, selon leur origine européenne ou musulmane, et qui déterminait, par ailleurs, la nature des traitements médicaux à appliquer aux uns et aux autres. Aussi à sa prise de poste, en tant que chef de service, il a scrupuleusement veillé à y changer, voire bouleverser les méthodes, s’appuyant médicalement sur de nouvelles approches académiques, reposant sur la notion de «l’ethnopsychiatrie», et qui visiblement donnait de palpables résultats. La démarche s’était accompagnée, en effet, par la mise en place d’une multitude de structures et d’activités sociales et socialisantes (création d’un café arabe, célébration des fêtes traditionnelles, excursions, conte et poésie), toutes participantes des traitements en rapport avec la sociothérapie. Mais ce n’est pas tout, Fanon était un chef de service attentif très proche de ses patients et de son personnel, et qui, intellectuellement et politiquement, s’était engagé dans un combat plus large, celui de la lutte contre le colonialisme, l’assimilation et le racisme. Il en a fait son cheval de bataille jusqu’à sa mort en 1961, emporté par une leucémie. Il était révolté au plus haut point. A l’évidence, le film a choisi délibérément de ne s’attacher qu’à l’expérience de Fanon à Blida, mise du reste, en évidence, avec éclat, mais il s’est assuré de faire quelques digressions, en soulignant à l’occasion, la fulgurance de son talent d’écrivain, dont Les damnés de la terre, qui constitue un texte d’anthologie, le penseur et le militant anticoloniale qu’il était, et les rapports quasi-romantiques qu’il a entretenus avec la Révolution algérienne, qu’il a soutenue sans faille. Car pour lui, c’était une révolution juste. «Le colonialisme n’est pas une machine à penser, n’est pas un corps doué de raison. Il est la violence à l’état de nature et ne peut s’incliner que devant une plus grande violence», écrivait-t-il dans Les damnés de la terre en 1961, juste quelques jours avant sa mort, à 36 ans. Le film, au-delà du portrait, lui rend un hommage particulier, dont l’expression a mordu sur le public, qui, a contrario de la démarche cinématographique, a revisité, et sa vie, et son parcours, sous toutes leurs coutures.
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