3% des Martiniquais fréquentent bibliothèques et médiathèques

   Les chiffres sont tombés et sont tout à la fois affligeants et accablants : seuls 3% des Martiniquais fréquentent nos vieilles bibliothèques et ces ultra-modernes médiathèques que nos chers maires et mairesses construisent à grands frais depuis deux décennies.

   Et seuls 30% lisent des livres contre 52% dans l'Hexagone, chose qui prouve que, contrairement à ce qu'affirment certains, l'assimilation est loin d'être totale. A qui la faute ? se demandera-t-on. D'abord au fort taux d'illettrisme qui se monte à presque 90.000 personnes dans un pays de seulement 360.000 habitants. Pourtant, l'école laïque, gratuite et obligatoire a commencé à l'être vraiment chez nous à compter des années 70 du siècle dernier c'est-à-dire il y a un bon demi-siècle. Ici, il faut pointer du doigt un système scolaire qui ignore superbement notre langue et notre culture depuis toujours, ne faisant que de maigres concessions : un peu d'histoire de la Martinique ici, du créole facultatif là, des animations avant les rituelles vacances scolaires où le "bèlè" a droit de cité pendant une matinée etc... Cette école française est faite pour les enfants des riches et de la petite-bourgeoisie. Pas pour ceux du peuple même si, comme l'a montré José Hassam, le héros de La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel, il y a régulièrement quelques-uns qui réussissent à émerger et à faire de brillantes études. L'arbre qui cache la forêt en quelque sorte !

   S'agissant de la lecture proprement dite, la faute en revient encore au système scolaire français au sein duquel LIVRE = LITTERATURE. Il n'y a pas meilleure façon de détourner nos jeunes de la lecture d'autant qu'aucun morceau choisi dans un manuel scolaire n'a jamais, sauf exceptions évidemment, entraîné personne à aller à la rencontre de la totalité de l'ouvrage dont il a été extrait. Nous avons ainsi, pour la plupart, conservé de mauvais souvenirs de ces cours de français dans lesquels on nous faisait plancher sur tel extrait de Molière, Rousseau, Zola ou Sartre. En clair, on s'y ennuyait ferme et du coup, on en venait à détester cordialement la littérature et par conséquent le livre, persuadés que la lecture se résumait à celle-ci. 

   Pire, l'école nous a enseignés que LIVRE = GRANDE LITTERATURE. Elle nous a amenés à considérer comme inférieurs les BD, les romans policiers, les ouvrages de science-fiction, la littérature populaire etc. et à ignorer complètement l'abondante production d'ouvrages de vulgarisation scientifique. A ignorer aussi les livres d'histoire, d'anthropologie, se sociologie, de psychologie ou d'économie que nous en sommes venus à considérer comme réservés aux seuls spécialistes de ces différentes disciplines. "L'honnête homme", selon l'expression consacrée est celui qui sait que Victor Hugo a écrit Les Misérables mais qui ne sait pas qui a élaboré la physique quantique. Pourtant, dans notre quotidien, cette dernière nous est cent fois plus utile que le roman de Hugo quelles que soient par ailleurs les qualités de ce dernier. Sans la physique quantique, pas de puces électroniques, pas d'ordinateurs, pas de téléphones portables, pas d'Internet, pas de GPS et aucun de ces joujoux que nous affectionnons tant depuis l'avènement du nouveau millénaire : Whatsapp, Instagram, Snapchat, Tik Tok, Youtube ou Twitter.

   Ce n'est pas un problème martiniquais ni français mais mondial. L'illettrisme scientifique de l'immense majorité de la population, tous pays confondus, a été brutalement révélée à l'occasion de l'épidémie de covid-19. En effet, alors que personne, sauf les spécialistes, ne s'aviserait de donner une opinion autorisée ou contester une analyse de tel livre de Garcia Marquez, de Camus ou de Césaire, ni même, car l'école enseigne tout de même un peu d'histoire, ou de disserter doctement sur les raisons pour lesquelles la Deuxième Guerre Mondiale a éclaté ou encore, s'agissant de l'économie (elle aussi enseignée à la marge), surcelles de la crise financière de 1929, tout le monde s'imagine pouvoir le faire s'agissant du covid, des vaccins, de l'ARN-Messager ou de l'immunité collective. Tout le monde a "son" opinion bien tranchée sur ses sujets et les assène nuit et jour sur les réseaux sociaux aux quatre coins de la planète. Sauf que, par exemple, très peu de gens savent que l'ARN Messager a été découvert en... 1950 et que les trois Français qui l'ont mis à jour se sont vus attribuer le Prix Nobel de Médecine. Encore moins de gens savent que les essais thérapeutiques utilisant l'ARN Messager ont commencé à Tübingen, en Allemagne, en... 1989. Soit, dans le premier cas, 70 ans avant le covid-19 et dans le deuxième, 30 ans avant ce même covid ! 

   Même s'il existe des désaccords et des controverses (comme on l'a vu dans le cas du Pr Raoult) au sein du milieu scientifique, la science ne relève pas de l'opinion. Elle n'a rien à voir avec le "Je pense que..." ou "Il me semble que..." mais relève de recherches ardues menées par des personnes qui, dans l'anonymat la plupart du temps, ont permis que nombre de cancers soient devenues des maladies chroniques et pas forcément mortelles, que le Sida a été jugulé de même que l'Ebola, qu'une crise cardiaque n'est pas toujours irrémédiable ou qu'une tumeur maligne puisse être ôtée du cerveau sans que pour autant le malade se transforme en légume. Chercheurs, grâce auxquels notre espérance de vie a été considérablement allongée et qui, en guise de récompense, touchent des salaires ridicules, hormis quelques grands pontes liés au Big Pharma. N'importe quel chanteur, sportif, youtubeur ou instagrammeur gagne dix fois plus, si ce n'est cent, qu'un épidémiologiste ou un infectiologue qui passent des années dans leurs laboratoires à manipuler des microbes hyper-dangereux. Donc, c'est tout simplement les mépriser, mépriser leur travail, que de jouer sur les réseaux sociaux à l'infectiologue-Facebook, à l'épidémiologiste-Whatsap ou au micro-biologiste-Instagram. Que ces savants auto-proclamés se contentent de discuter à perte de vue pour savoir qui de Ronaldo ou de Messi est le plus grand footballeur de tous les temps et qu'ils laissent les scientifiques faire leur travail ! D'autant que le salaire annuel de Ronaldo ou de Messi équivaut au salaire de toute une vie de la grande majorité de ces moines des temps modernes que sont les chercheurs.

   Alors, bien sûr, la science n'est pas infaillible. Même le Pape de l'est pas, semble-t-il ! Elle peut faire des erreurs, se contredire et concernant la médecine revenir sur tel traitement ou tel médicament mais quand, on évalue avec un minimum d'honnêteté ce que nous ont apporté les vaccins contre la tuberculose, la fièvre jaune ou l'hépatite B, les transplantations cardiaques, les pontages coronariens etc., on ne peut dire qu'une chose et une seule : MERCI. On se doit d'avoir de la modestie face à ces énormes progrès et ne pas s'imaginer que nous, simples, quidams, nous pouvons donner notre avis ou notre opinion sur telle ou telle thérapeutique. Sans compter que la médecine n'est pas une science exacte comme les mathématiques, la physique ou la chimie et que chaque malade est un cas particulier. Nous n'avons pas le même capital génétique et c'est pourquoi le doyen des Français est décédé cette année à l'âge de 112 ans (un Martiniquais dénommé Jules Théobald) et pas du covid alors que des gens de 30, 40 ou 40 ans ont été foudroyés par ce virus. 

   Concernant la situation de la Martinique, plusieurs contrevérités ont été diffusées sur les réseaux sociaux et par les professionnels de la contestation. En voici deux exemples : le covid-19 serait un deuxième chlordécone et donc le colonialisme français en serait responsable. Sauf que ce virus est apparu en Chine, dans la ville de Wu-Han, pas à La Rochelle ou à Dijon. Le chlordécone est bel est bien un crime colonial, pas le covid ; 2) la Martinique est sous-dotée en hôpitaux, matériel médical moderne, soignants etc..., chose qui nous a empêché de faire face à l'épidémie et a causé l'effroyable nombre de morts (près d'un millier) que cette dernière a provoqué. Oui, nous sommes médicalement sous-dotés mais pas davantage que des régions de l'Hexagone éloignées de Paris, Lille, Bordeaux ou Marseille. Les déserts médicaux existent en Auvergne, dans le Limousin ou en Bretagne, pas seulement à Macouba ou à Ajoupa-Bouillon. Des milliers de lits d'hôpitaux y ont été fermés ces dernières années, voire carrément des hôpitaux, des postes de soignants tout autant, ce qu'a dénoncé durant des mois et des mois le mouvement des Gilets Jaunes. 

   Donc, une question aux protestataires insulaires : pourquoi la France traiterait-elle mieux une colonie ou néo-colonie comme la Martinique que certains de ses propres régions métropolitaines ? AU NOM DE QUOI ? D'autant que nous refusons le plus petit début de commencement d'autonomie et qu'un référendum sur l'indépendance donnerait à coup sûr 90% de "NON". Nous sommes traités comme l'Auvergne ou la Basse-Normandie, point à la ligne ! Nous n'avons qu'à assumer notre francité comme nous savons l'assumer lorsque nous voulons que Miss Martinique devienne Miss France ou qu'il y ait le maximum de joueurs antillais dans l'équipe de France de football. Vouloir tout et le contraire de tout est puéril. Si nous ne voulons plus de cette francité, eh bien, votons massivement, puisque la lutte armée est impossible, pour élire des maires, des conseillers territoriaux, des députés et des sénateurs indépendantistes. La Kanaky l'a fait qui s'est d'abord rebellée par les armes, puis s'est résolue à régler le problème par les urnes. Elle en est à son 3è référendum très bientôt sur l'accession à la souveraineté. Et les Martiniquais sont considérablement mieux placés que les Kanaks qui sont devenus minoritaires dans leur propre pays. Chez nous, par contre, ce ne sont quand même pas 20.000 "Métros", dont les trois-quarts ne sont même pas inscrits sur les listes électorales vu que beaucoup sont de passage, qui peuvent empêcher 360.000 Martiniquais de décider librement de leur destin. Il faut arrêter de toujours nous chercher de fausses excuses. Au plus profond de lui, tout Martiniquais sait fort bien que la seule solution à nos problèmes est l'accession à la pleine et entière souveraineté. Et que si le compère-lapinisme fut de quelque utilité durant la période esclavagiste face à l'omnipotence et à la cruauté des Békés, aujourd'hui, il est tout simplement une aberration. A ce propos ceux qui agitent la haine anti-Blanc au moindre prétexte devrait savoir que, cela ne fera que retarder notre prise de conscience nationale en nous focalisant sous un faux problème. La Barbade n'est pas l'ennemie de l'Angleterre. Ni la Tunisie celle de la France. Ni les îles du Cap-Vert celle du Portugal. Ni la Guinée Equatoriale celle de l'Espagne. Ni la Namibie celle de l'Allemagne (alors même que les Allemands y ont perpétré le tout premier génocide du 20è siècle bien avant celui des Juifs d'Europe). 

   Bref, nous nageons en plein confusionnisme depuis bientôt deux ans. Des Bac +5 ou Bac +7 manipulent sans vergogne une partie de notre jeunesse désorientée et cette moitié de notre population qui soit vit sous le seuil de pauvreté soit avec juste la tête hors de l'eau. Cette jeunesse sans perspective qui ne lit guère que des messages-WhatsApp ou des posts-Facebook et ces travailleurs exploités par le système capitaliste qui ne lisent pas du tout à cause de cette école qui nous est imposée et qui fabrique de l'illettrisme. C'est à nos intellectuels et nos politiques au premier chef de leur proposer une voie claire, sans ambigüité, au lieu de se cacher la tête dans le sable comme des autruches ou faire comme s'il s'agissait d'une fièvre sociétale passagère. C'est à eux de dénoncer les faux prophètes, les éclopés du révolutionnarisme des années 70, les bouffons déguisés en roitelets africains, les enragées incapables de traduire autrement leur colère que par des vociférations sur les réseaux sociaux en se parant du titre de "matriotes", néologisme pas très heureux et pour tout dire grotesque.

   Il y a nécessité que des voix s'élèvent pour mettre fin au n'importe quoi actuel.

   Or, imperturbablement, nos politiques continuent à nous vendre du vent. A Sainte-Marie, l'autre dimanche, Serge Letchimy, au cours du meeting organisé par son ami Bruno-Nestor Azérot, a promis la construction d'une "route à deux fois deux voies afin de mettre Sainte-Marie à vingt minutes du Lamentin". On se frotte les yeux et se demande si ce n'est pas une blague ! Car enfin, dans ce minuscule pays, à quoi bon multiplier ponts, routes, échangeurs et autres ronds-points ? Car non seulement la route en question coûtera des millions d'euros mais elle nécessitera forcément la bitumisation de terrains boisés et de terres agricoles, cela dans une île où nous perdons déjà 1.000 hectares de ces dernières chaque année. Et tout cela pour quoi faire ? Pour permettre aux Samaritains d'arriver vingt minutes plus tôt au Lamentin. Mais pour faire quoi au Lamentin au juste ? On se le demande. 

   Césaire, Fanon, Glissant, AU SECOURS !

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