Visionnant un film réalisé en 2000 par Chikh Djemaï sur Frantz Fanon, j’ai eu la bonne surprise de revoir Daniel Boukman. Un bail ! Tout un pan de l’histoire d’Alger des années Boumediene est revenu avec lui. Sacré Daniel Boukman ! Il partageait avec Frantz Fanon deux choses : l’origine martiniquaise et l’engagement pour l’Algérie. Après Fanon, il était un trait d’union entre deux univers, celui des colonisés d’Afrique du Nord et celui de leurs semblables des Antilles.
Le rapport est loin d’être évident, brouillé par la perfidie de l’idéologie coloniale. Comme Fanon l’incarnait, Boukman aussi s’identifiait à une universalité de la condition de colonisé et à l’universalité du combat anticolonial. Né Blerald Daniel en 1936 à Fort-de-France, Daniel Boukman étudie les lettres classiques à La Sorbonne, à Paris, de 1954 à 1960. En 1961, appelé sous les drapeaux pour aller poursuivre la guerre coloniale en Algérie, il oppose l’insoumission.
Il gagne le Maroc. Il s’explique sur le « pseudonyme que je me suis choisi à Oujda au Maroc en 1961. Cette année-là, comme défunt Sony Rupaire, Roland Thésauros, Aude Ferly tous Guadeloupéens, et aussi en compagnie de défunt Guy Cabort- Masson, j’ai choisi le refus (insoumission) de revêtir l’uniforme militaire français pour participer à la guerre coloniale exercée alors par la France à l’encontre du peuple algérien.
Les responsables du Front de libération nationale algérien qui nous ont accueillis m’ayant demandé de choisir un pseudonyme, j’ai choisi celui du leader haïtien Boukman lonnè ek respé anlè’y ! auquel j’ai adjoint mon prénom, Daniel ». (Mise au point de Daniel Boukman publiée par le site Banda Monjak Com).
En 1962, il entre en Algérie et participe à la construction du système éducatif du pays. Professeur de français au lycée Ibn Toumert de Boufarik jusqu’en 1981, date de son départ définitif d’Algérie, il aura pendant toutes ses années algériennes eu une vie intellectuelle et culturelle intense.
Activités journalistiques en publiant des articles dans “Alger Républicain”, “El Moudjahid”, “Révolution Africaine”, “Afrique Asie”. Activités littéraires par la publication de nombreux ouvrages de poésies et de théâtre en français “La véridique histoire de Hourya” (L’Harmattan, 2005) et en créole, sa langue maternelle.
Mais Daniel Boukman, c’était surtout en ces années-là un pivot de la vie culturelle algéroise. Il était de tous les débats et ces derniers se menaient très souvent à la “Cinémathèque d’Alger”, rue Larbi Ben M’hidi.
Les échanges y étaient vifs et féconds, redoutés par les plus grands réalisateurs du monde. Jeunes étudiants en apprentissage cinéphilique, nous assistions avec délectation aux échanges entre Boukman et Momo (Himoud Brahimi). De vraies joutes opposant le discours dialectique de Daniel Boukman à celui, plus sensible, passionnel, de Momo. Lorsque Daniel Boukman manquait à un débat à la Cinémathèque, ce devait être vraiment pour une raison de force majeure.
Il faisait partie de ce paysage- là, celui d’Alger effervescente des années Boumediene.
Ce qui me renvoie à évoquer une autre figure de ces années-là : Abdou B. Il vient de nous quitter, foudroyé par une crise cardiaque.
Je ne vais ajouter aux hommages postmortem qu’il mérite que quelques souvenirs de ces années-là.
Au début des années 1970, il était encore journaliste à “El Djeïch”, si je ne m’abuse, et il écrivait exclusivement sur le cinéma. Il n’était pas encore ce journaliste touche à tout, capable de signer de très bonnes chroniques sur divers sujets. Il fréquentait le milieu de la Cinémathèque.
À l’époque, on parlait du cinéma djedid et la star en était Mohamed Bouamari. Ce cinéma, fait avec de petits moyens, essayait d’inventer autre chose que des films de guerre comme représentation d’une société qui avait du mal à assumer son indépendance. Il fallait un constant retour à la guerre pour exalter un héroïsme introuvable et pourtant nécessaire dans la paix et sous un autre visage.
Dans le camp opposé aux cinéastes plus ou moins alternatifs du cinéma djedid, le courant comme l’appellation est loin d’avoir fait l’unanimité, il y avait les cinéastes bien en cour dont la figure la plus saillante était Mohamed-Lakhdar Hamina.
Lorsque ce dernier obtint en 1975 la Palme d’or au Festival de Cannes pour “Chronique des années de braise”, un vif débat s’empara des milieux culturels algérois. C’est à croire qu’en un film, le destin du pays était en jeu. Ce qui peut paraître complètement farfelu aujourd’hui !
Je revois Abdou B. à cette époque-là. Il portait déjà un intérêt pugnace au cinéma (à l’audiovisuel et à la communication de façon générale) et à la politique autant qu’il était possible de le faire en ces années de plomb.
Il avait surtout des idées bien forgées pour lesquelles il était disposé à se battre. Ce qu’il fit par la suite, au cours d’une carrière prestigieuse, largement connue comme elle méritait de l’être.
Personnellement, je lui sais gré d’une chose plus que de toutes les autres : d’avoir introduit dans la presse le débat sur la communication tel qu’il se pratiquait dans les pays avancés à cet égard.
Je suis reconnaissant à Abdou B. de m’avoir fait découvrir Mac Luhan.
A. M.
A quand la continuité territoriale entre Grand-Rivière et Ste Anne ?
Lire la suiteMalgré la rage qui me ronge de voir mon île dévastée par des étrangers venus d'ailleurs qui sont Lire la suite
...cette précision, cela n'a rien à voir avec le fond de l'article. Me semble-t-il...
Lire la suite"National" au sens "national Mquais". Ça va sans dire, mais ça va mieux en le disant...
Lire la suite...mè "dannsòl".
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