Chlordécone : "Le combat n'est pas perdu mais il n'est pas gagné non plus !"

  C'est Génya JOS, présidente de l'association "Pour une Ecologie Urbaine" qui a ouvert la conférence de presse organisée ce jour par son association, en déclarant qu'il était important que l'on fasse le point sur l'état d'avancement du dossier-Chlordécone "un an jour pour jour" après que le juge d'instruction qui en a la charge ait auditionné les trois avocats de l'association à savoir Me R. CONSTANT, Me C. BOULOGNE-YANG-TING et Me Louis BOUTRIN, cela par visioconférence. En effet, "Pour une Ecologie Urbaine" est l'une des associations écologistes martiniquaises qui, comme l'ASSAUPAMAR, a porté plainte contre l'Etat pour "mise en danger de la vie d'autrui et empoisonnement", en... 2008.

   Puis, Me L. BOUTRIN, co-auteur avec Raphaël CONFIANT, en 2007, de deux ouvrages sur le chlordécone, notamment "Chronique d'un empoisonnement annoncé", a fait un bref rappel historique de l'affaire. Il a souligné le fait que la Cour Européenne de Justice prévoit qu'un "délai raisonnable" soit respecté entre le dépôt d'une plainte et le traitement de cette dernière par la justice. Or, depuis 2008, rien n'a bougé ! L. BOUTRIN a ensuite rappelé que dès 1968, divers rapports sur les produits phytosanitaires utilisés dans l'agriculture avait pointé du doigt la dangerosité du chlordécone. En 1972, Jacques CHIRAC, alors ministre de l'agriculture, l'avait autorisé, ce qu'ont réitéré les autres ministres qui l'ont succédé. En 1979, l'usage et la fabrication du chlordécone avait été définitivement interdit aux Etats-Unis, pays qui avait créé ce pesticide ! En dépit de tout cela, des latifundistes martiniquais ont continué à importer imperturbablement le chlordécone avec la complicité objective de l'Etat français et d'élus martiniquais. Cela grâce à des dérogations à répétition ! Et allant jusqu'à utiliser 7kgs de chlordécone par hectare contre seulement 3 dans les bananeraies d'Amérique du Sud. Ce qui a eu pour résultat d'empoisonner nos terres, nos rivières, nos nappes phréatiques et nos rivages puisque 33% du littoral martiniquais sont interdits à la pêche. D'empoisonner surtout les ouvriers agricoles par milliers ainsi que la quasi-totalité de notre population puisque 90% de celle-ci a du chlordécone dans le sang. Conséquence directe du fait qu'on lui a servi durant plus d'une trentaine d'années une eau du robinet censée être potable mais gorgée de chlordécone. Cependant, la justice a déclaré que l'affaire était prescrite ! Et pourquoi ? Parce qu'elle fait dater celle-ci de 1993 alors que des preuves ont été fournies que le chlordécone fut utilisé jusqu'en... 2002. Ce qui fait qu'il ne peut y avoir de prescription du tout ! L. BOUTRIN conclut son intervention de la sorte :  

 

   "Des milliers d'ouvriers agricoles sont morts et continuent de mourir dans l'indifférence générale ! "

 

   Et d'attirer l'attention sur le fait que l'inscription du cancer de la prostate dans la liste des maladies professionnelles n'est qu'une demi-victoire car on demande aux ouvriers qui en sont atteints de prouver qu'ils ont travaillé sur les "habitations" pendant plusieurs décennies, chose difficile, voire impossible, quand on sait que les planteurs békés ne les déclaraient pas toujours. L. BOUTRIN s'est alors référé aux victimes des essais nucléaires français dans le Pacifique qui pour la plupart ont eu toutes les peines du monde à prouver que la bombe atomique était responsable de leur état de santé et qui n'ont donc pas été indemnisés.

   Puis, Me C. BOULOGNE-YANG-TING est intervenue pour indiquer qu'en effet, le principal problème est de prouver que l'empoisonnement a bel et bien eut lieu mais qu'on se retrouve confrontés à deux gros problèmes : 1) "Nous utilisons un droit qui n'est pas approprié" ; 2) il s'agit là d'une affaire principalement politique qui ne peut être traité sur le seul terrain juridique. Il faut donc que les politiciens martiniquais bougent car les avocats de la partie civile pourront travailler deux ans, cinq ans ou dix ans sur le dossier du chlordécone, rien ne bougera.

   Enfin, Me R. CONSTANT a commencé par souligner que l'on mesure mal l'hécatombe qui s'est produite dans les bananeraies martiniquaises, notamment dans le Nord-Atlantique, où certains quartiers ruraux ont été presque décimés. "L'ARS a tout à fait les moyens de mesurer cette hécatombe mais nous faisons face à un état qui refuse la vérité". Pour l'ancien bâtonnier, la procédure pénale est essentielle car il convient d'établir les responsabilités dans l'importation et l'usage inconsidéré du chlordécone, cela en toute connaissance de cause. Il y a donc du cynisme dans l'attitude de la justice qui considère qu'il y a prescription et si elle n'a pas encore refermé le dossier, c'est à cause de l'émoi et des manifestations récentes contre le chlordécone qui se sont produites dernièrement en Martinique. Me CONSTANT revient sur la question de la prescription pour indiquer que les planteurs ont utilisé ce pesticide au vu et au su de tout le monde jusqu'en 2002. Autorisés par dérogation à épuiser les stocks existants, ils en ont profité pour en importer massivement de France ! Dès lors, il ne saurait y avoir prescription comme l'assure la justice. Or, après, l'audition des avocats de "Pour une Ecologie Urbaine" en 2021, le parquet n'a toujours pas été saisi de l'affaire ! "Il faut rester vigilants de façon à empêcher que l'affaire soit enterrée. Le combat n'est pas perdu mais il n'est pas gagné non plus !", conclue Me R. CONSTANT.

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