Dessaler l’eau de mer : fausse solution, vraie catastrophe écologique

Des communes françaises se sont récemment mises au dessalement de l’eau de mer pour faire face à la sécheresse. Ce procédé a cependant des répercussions écologiques néfastes.

Faute de pluie, boirons-nous bientôt de l’eau dessalée ? L’idée peut sembler tentante, alors que le pays se dirige, lentement mais sûrement, vers une nouvelle sécheresse estivale, et que le changement climatique promet de raréfier nos ressources en eau.

Déjà adopté depuis une cinquantaine d’années sur l’île de Sein, en Bretagne, le dessalement de l’eau de mer a récemment été testé par deux autres communes françaises : le village de Rogliano, en Corse, et l’île morbihannaise de Groix, qui a mis en place l’été dernier une unité temporaire de dessalement afin de répondre à l’explosion de la demande durant la saison touristique. Transformer un bouillon de plancton, de chlorure et de sulfate en eau potable se fait cependant à un prix écologique élevé.

Dessaler avec... les énergies fossiles

Premier problème : la consommation d’énergie requise par l’opération. Plusieurs techniques de dessalement existent. On peut les diviser en deux grto : les procédés thermiques, qui rendent l’eau salée potable en la distillant, et l’osmose inverse (aujourd’hui majoritaire), qui récupère l’eau douce contenue dans l’eau de mer en la faisant passer à travers une membrane.

Les premiers consomment entre 7 et 27,3 kilowatt-heure (kWh) pour 1 m3 d’eau dessalée, relèvent les chercheurs Marc-Antoine Eyl-Mazzega et Élise Cassignol dans un rapport réalisé pour l’Institut français des relations internationales (Ifri) en septembre 2022. L’osmose inversée requiert quant à elle entre 2,5 et 3 kWh pour produire la même quantité d’eau douce. De nombreux projets de recherche ont été lancés, ces dernières années, afin d’augmenter la résistance des membranes au sel, et ainsi améliorer l’efficacité énergétique de ce procédé. Il n’en demeure pas moins, comme ses compères thermiques, « très énergivore », note le rapport.

Le village de Rogliano, en Corse, a décidé de dessaler l’eau de mer en raison de la sécheresse de l’été 2022. Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0/Pierre Bona

La facture est d’autant plus salée que les usines de dessalement fonctionnent, dans leur immense majorité, grâce aux énergies fossiles. C’est notamment le cas aux Émirats arabes unis, en Arabie saoudite, au Koweït et à Oman, qui font partie des plus gros producteurs d’eau dessalée de la planète. En 2017, les énergies renouvelables ne fournissaient que 1 % de la demande d’énergie nécessaire aux quelque 20 000 stations opérationnelles à travers le monde, selon une étude publiée dans la revue Desalination. Chaque année, selon les estimations de Marc-Antoine Eyl-Mazzega et Élise Cassignol, le dessalement est responsable de l’émission d’au moins 120 millions de tonnes de dioxyde de carbone. D’après une étude de la Banque mondiale, si rien n’est fait pour rendre le secteur plus durable, il pourrait d’ici 2050 en émettre 280 millions supplémentaires — soit l’équivalent du volume des émissions françaises en 2021.

« Un cercle qui amplifie le dérèglement climatique »

Autre péril : les rejets toxiques. Selon une étude publiée sous l’égide des Nations unies en 2019, les usines de dessalement déversent chaque jour dans l’océan 141,5 millions de mètres cubes de saumure, un concentré d’eau de mer plus chaude, plus salée, et surtout bourrée de produits chimiques (anti-tartre, antichlore, anti-mousse…). Ce sous-produit représente un risque écologique majeur.

L’augmentation de la salinité de l’eau peut en effet amplifier, localement, le phénomène de désoxygénation de l’océan. « Si l’eau est moins oxygénée, elle peut capter moins de CO2, explique à Reporterre Christophe Mori, hydrobiologiste et maître de conférences à l’université de Corse. Avec le dessalement, on entre dans un cercle de résistance non vertueux, qui amplifie le dérèglement climatique. »

« Le dessalement devrait être la dernière chose à faire »

Les conséquences peuvent également être catastrophiques pour les organismes marins, notamment les coraux, les algues et certains mollusques. Christophe Mori se dit particulièrement inquiet pour l’avenir des herbiers de posidonies, des plantes à fleurs marines emblématiques de la Méditerranée, déjà très endommagées par les ancres des bateaux de plaisance. « À Chypre, une étude a montré que ce milieu était très détérioré, en partie à cause de la saumure. »

Ces résultats devraient selon lui nous inciter à juger le dessalement avec plus de circonspection. Les herbiers ne sont pas là « que pour faire des jolies couleurs sur la mer », insiste-t-il : « Ils augmentent la biodiversité, oxygènent la mer, stockent le carbone, freinent la houle, ce qui nous protège des tempêtes et ralentit l’érosion... » Si cette espèce venait à disparaître, « tout l’édifice de l’écosystème pourrait être déstabilisé ».

Plutôt que de miser sur le dessalement à grande échelle, l’universitaire recommande de réduire au maximum les fuites du réseau — responsables, en France, de la perte de 1 milliard de mètres cubes d’eau potable par an, soit 20 % de la production —, de réutiliser les eaux usées, et de remettre en question certains de nos usages, notamment les piscines. « Il faut voir au cas par cas : certains pays ne peuvent pas faire autrement, et cela peut également être compliqué pour certaines îles détachées du continent qui n’ont pas de ressources en eau sur place, précise-t-il. Mais globalement, sous nos latitudes, le dessalement devrait être la dernière chose à faire. »

photo : Sur l'île de Sein, en Bretagne, les habitants boivent depuis les années 1970 de l'eau de mer traitée par un dessalinisateur. - © Jerome Houyvet / Only France / Only France via AFP

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