Distillerie Neisson : le chemin de la discorde

La vie n’est plus un long fleuve tranquille à Neisson au Carbet. Les machines tournent, la canne est broyée, les cheminées crachent leur fumée. Tout semble rouler à la distillerie. Seulement voilà. Une route en cours de réfection par la mairie menacerait les précieux labels bio et AOC de la distillerie Neisson.

Dans un coin paisible du Carbet, s’élève la distillerie Neisson. 90 ans que ce fleuron du rhum martiniquais est niché dans un coin de verdure. Un coin de verdure nécessaire à la production de rhum. La distillerie est encerclée par les champs de cannes à sucre à perte de vue. Seulement, il y a un hic. Le point noir est une route qui traverse les terres de la distillerie. Selon Claudine Neisson-Vernant, la gérante de Neisson, cette route était autrefois une trace d’exploitation qui est devenue un chemin vicinal puis s’est transformée en chemin communal. Son entretien est donc assigné à la commune du Carbet. L’ancienne trace d’exploitation dessert des résidences situées au-delà des terrains de Neisson.

Des travaux à 1,4 millions d’euros

Un panneau près du gué qui marque le début du chemin, renseigne d’ailleurs sur la nature des travaux. Il s’agit de travaux de remise en état des voiries de la route de Belfond pour un montant de près de 1,4 millions d’euros. Claudine Neisson-Vernant affirme que les travaux vont bien au-delà de la simple remise en état. ” Ils comptent faire une deux voies avec trottoir”, clame la gérante. Or, cela rime avec un élargissement de la chaussée avec des ajouts de béton. Là où le bât blesse, la réfection du chemin est incompatible avec la pousse des cannes à sucre. Les parcelles qui entourent la distillerie sont par conséquent bordées par la future route. Ces parcelles sont bio et labellisées AOC Martinique (appellation d’origine contrôlée). La proximité d’un tel chantier nuit à ces certificats de garanties production de la canne à sucre. « Il y a certaines obligations qui font qu’on ne peut pas faire n’importe quoi au détriment de ces terres », raconte Claudine Neisson-Vernant. Elle poursuit : « Le béton qui est plus haut sur la route est en très mauvais état. Je comprends que les rares riverains qui habitent au-dessus souhaitent une réfection. J’y suis tout à fait favorable », concède Claudine Neisson-Vernant. C’est le seul point de concorde entre la mairie et la gérante : la route mérite d’être remise en état. Quelle ampleur pour la réfection ? C’est là un point de crispation entre les deux parties.

« La commune se développe et tout particulièrement le quartier de Belfond »

Le maire, Jean-Claude Ecanvil

Le maire, Jean-Claude Ecanvil ne cache pas les ambitions du Carbet. « La commune est en train de se développer tout particulièrement le quartier de Belfond », assure l’édile. La gérante de la rhumerie ne l’entend pas de cette oreille. « Une réfection pour moi, c’est refaire à l’identique. Ça ne veut pas dire qu’on passe d’une voie de deux mètres à une voie de 4,5 mètres en prévoyant qu’il puisse y avoir un croisement de deux véhicules. » La gérante soulève des problèmes de sécurité autour de la faisabilité de cette route. Elle affirme que le trajet passe au ras des chais de 16 cuves de 20 000 litres de rhum blanc soit la totalité de la production de l’année.

« Nous avons des obligations anti-incendie, anti-explosion. Nous avons toutes sortes d’obligations qui font qu’on ne peut pas avoir une route qui fait deux voies à proximité. »

Claudine Neisson-Vernant affirme que les travaux ont une incidence sur ses cultures.

Autre point noir, Claudine Neisson-Vernant explique ne pas avoir été avertie en amont de ces travaux. Elle raconte l’avoir appris en novembre 2023 par un des riverains qui se réjouissait de l’imminence d’une route plus praticable. À la suite de cette nouvelle, la gérante sollicite la mairie pour des réunions, ce qu’elle obtiendra. Ces rencontres n’ont manifestement pas été fructueuses au goût de Claudine Neisson-Vernant puisqu’elle fait mandater un expert « pour avoir connaissance de la réalité des travaux ». Une expertise qui arrive assez tard selon Claudine Neisson-Vernant. En effet, les travaux pour la remise en état de la route ont déjà commencé depuis le mois de juin.

La gérante de Neisson estime qu’il y a déjà une pollution des parcelles plantées. Elle a saisi le syndicat de défense d’AOC Martinique qui en a référé à l’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité).

Pour ce projet, l’INAO dans son rôle national de protection des aires AOC a posé des questions actuellement sans réponse.

Un des gros problèmes est celui de la protection des terres contre la pollution et l’érosion. Un  autre est celui de l’écoulement des eaux dans les champs…

Tous ces problèmes qui auraient impérativement dû être étudiés et résolus AVANT les travaux.

« Moi, j’esperais qu’ils fassent des travaux tout en haut, là où il y a vraiment des maisons »,

se désole Claudine Neisson-Vernant.

Laurianne Nomel

NDLR : Dans le mensuel de semaine prochaine, nous publierons l’interview de Madame Neisson-Vernant

NEISSON : L’histoire d’une saga familiale

La distillerie naît en 1933 de l’esprit de deux frères. Loin de la distillation de la canne à sucre, les deux frères Neisson sont avant tout des commerçants mulâtres de Saint-Pierre. « A cette époque, il y avait énormément de petites distilleries. Dans les années 1950, il y en avait 150 », raconte Claudine Neisson-Vernant. Aujourd’hui, il ne reste plus que sept distilleries AOC dont Neisson évidemment. L’oncle de Claudine Neisson-Vernant a acquis le terrain et construit de ses mains les bâtiments encore visibles aujourd’hui. La distillerie est restée indépendante et familiale. « Mon père a toujours voulu que ce soit mon fils qui la reprenne. » C’est chose faite. La famille Neisson-Vernant rentre en Martinique en 1974. Bien plus tard, le père de Claudine Neisson-Vernant décède brutalement. Mais la fille a le temps de faire une promesse à son père. Une promesse qu’elle tient, celle de permettre à son fils de reprendre le flambeau. Elle abandonne donc sa carrière de médecin pour se consacrer à la distillerie carbétienne. Sans aucune notion de commerce ni de finance, elle retrousse ses manches et fait tourner la distillerie. « C’est une très grande aventure. J’ai toujours aimé la biologie végétale et les plantes. C’est un bonheur. »

Commentaires

Désastre!

Popotte

31/08/2024 - 08:48

Quoi dire d'autre?
Le "progrès" justifie t-il tout et d'ailleurs, qu'est-ce que le progrès?
Les sachets en plastique, qui aujourd'hui polluent tout sur cette terre en se dégradant, étant dans l'air dans l'eau et même dans nos entrailles, n'étaient-ils pas la quintessence de la vente au détail?,
Quand arrêterons-nous de dire "si j'avais su! " ?
La cerise sur le gâteau, c'est que les travaux commencent seulement mais les ouvriers du chantier lâchent DEJA leurs déchets sur le lieu de travail!!!

SACCAGER DES...

Albè

31/08/2024 - 11:30

...terres disposant des Labels BIO et AOC témoigne de l'incurie de la plupart de nos politiques. Car enfin pour les obtenir, il a fallu mener un difficile combat, les autorités délivrant ces labels n'étant guère complaisantes. De plus, cette distillerie est LA SEULE qui n'appartienne pas aux Békés ou à quelque groupement international. On marche sur la tête là !

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