Le plateau des Guyanes est en effervescence depuis la découverte d’importantes réserves pétrolières. Dans cette région à la biosphère inestimable, les espoirs de rattrapage économique éclipsent les risques environnementaux.
Le 20 octobre, la nouvelle a fait le tour du monde, donnant lieu à de virulentes critiques dans la presse internationale comme dans les milieux écologistes et autochtones brésiliens sur « l’hypocrisie du gouvernement Lula » en matière de politique énergétique.
A quelques semaines de l’inauguration de la COP 30, qui s’est ouverte à Belém le 10 novembre, le Brésil donnait son feu vert à un vaste projet d’exploration pétrolière offshore dont l’exploitation pourrait larguer l’équivalent de 13,5 milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère.
Le « Bloc 59 », aux réserves estimées à 10 milliards de barils1se situe au large de l’Amapa, à l’extrême nord du Brésil, à 175 kilomètres d’Oiapoque, la ville marquant la frontière avec la Guyane française.
Dans cet Etat d’à peine un million d’habitant, isolé du reste du Brésil par le gigantesque fleuve Amazone et comptant parmi les plus pauvres du pays, l’annonce a été presque unanimement saluée. L’arrivée de Petrobras marque « une nouvelle étape dans l’histoire économique et sociale » de l’Etat, selon les termes de son gouverneur Clécio Luis, apparenté au centre gauche.
Les prospections du Bloc 59 par Petrobras, le géant pétrolier local, s’inscrivent dans une entreprise beaucoup plus large d’exploration de la « marge équatoriale » du Brésil. Cette vaste zone sous-marine, située au large de la côte septentrionale de l’Amérique du Sud, abrite plusieurs bassins sédimentaires prometteurs en hydrocarbures sur lesquels mise l’actuel huitième producteur mondial de pétrole.
Mais cette « nouvelle frontière énergétique mondiale », comme la décrit Petrobras, ne s’arrête pas aux eaux territoriales brésiliennes. Ce qui se joue aujourd’hui dans l’Amapa s’inscrit en réalité dans une dynamique commune à l’ensemble du plateau des Guyanes – un espace auquel est d’ailleurs géographiquement et historiquement rattaché cet Etat brésilien autrefois appelé « Guyane portugaise ».
Sur l’autre versant du « plateau », le Guyana, ex-colonie britannique d’à peine 800 000 habitants, a été la première des Guyanes à voir son destin percuté par l’or noir de sa propre « marge équatoriale ». En 2015, la multinationale américaine Exxon Mobil y a découvert un immense gisement offshore dont les ressources récupérables sont estimées à 8 milliards de barils.
Cette zone baptisée « Stabroek Bloc », qu’Exxon se partage avec Chevron (30 %) et la China National Offshore Oil Corporation (25 %), a été exploitée dès 2019. La production, tournant autour de 900 000 barils par jour, devrait continuer de croître tant les investissements se multiplient. En septembre, Exxon a notamment reçu les autorisations pour son septième projet pétrolier dans le pays, qui devrait voir le jour en 2029.
« On parle d’un pays qui était le deuxième plus pauvre de toute l’Amérique latine derrière Haïti et qui, du jour au lendemain, a bénéficié d’une manne pétrolière dont le nombre de barils rapporté aux habitants équivaut à celui du Koweït. Le Guyana est en train de changer de visage », confirme Sylvain Domergue, géographe à Sciences Po Bordeaux.
De fait, le pétrole a dopé la croissance guyanienne, qui oscille entre 40 et 60 % depuis 2020, soit la progression la plus rapide du monde. Cette transformation, surveillée de près par les Etats-Unis, s’opère au grand dam du Venezuela, autre puissance pétrolière du plateau des Guyanes, qui revendique la région transfrontalière de l’Essequibo, administrée par le Guyana et au large de laquelle se trouve une grande partie du Stabroek Bloc.
Enfin, quoique le changement y soit pour l’instant moins spectaculaire, le Suriname, actuellement englué dans une crise économique sévère, se rêve aussi en puissance pétrolière. Total Energies, qui explorait depuis 2019 les eaux territoriales de ce petit pays néerlandophone voisin du Guyana, a annoncé en octobre 2024 y investir 10,5 milliards de dollars pour des premiers barils en 2028. En juin dernier, le pétrolier français a confirmé le potentiel de l’ancienne « Guyane hollandaise » en déclarant acquérir des parts dans un second gisement, déjà exploré par des firmes américaines et malaisiennes.
Finalement, seule la Guyane française échappe à la ruée pétrolière, la loi Hulot proscrivant depuis 2017 toute nouvelle exploration et exploitation d’hydrocarbures sur le sol français2. Shell et Total avaient fait des découvertes prometteuses en 2011, mais jugées par la suite peu rentables.
Ce renoncement a cependant de quoi alimenter les griefs d’une population qui vit pour moitié sous le seuil de pauvreté et qui se sait à la marge des préoccupations nationales. A droite comme à gauche, la loi Hulot est régulièrement dénoncée comme un énième « verrou colonial » entravant le développement « endogène » du territoire, le privant d’une garantie d’autonomie, si ce n’est d’indépendance.
De l’Amapa au Guyana, en passant par Cayenne et Paramaribo, la rhétorique développementiste ambiante étouffe les quelques voix dissidentes alertant sur les conséquences écologiques de l’exploitation des hydrocarbures, dont les populations locales les plus précaires seront les premières victimes.
« Les côtes du Guyana et du Suriname, faites de mangroves et de marécages, sont très basses et concentrent la quasi-totalité de la population, ce qui met ces Etats en première ligne face à la hausse du niveau de la mer. Ils se retrouvent donc dans une contradiction existentielle en devenant partie prenante de la fuite en avant pétrolière qui contribue au dérèglement climatique. Pour autant, les mouvements écologistes y sont marginaux », confirme Luis Alejandro Ávila Gómez, géographe à l’Institut français de géopolitique.
Au contraire, le gouvernement guyanien assume pleinement sa position, en rappelant régulièrement aux pays « développés » que le Guyana a toujours un bilan carbone positif, grâce à l’Amazonie.
Le risque de marée noire est lui aussi, loin d’être négligeable dans cette région aux courants marins aussi puissants qu’imprévisibles. Les conséquences seraient dévastatrices pour les mangroves, véritables nurseries pour toute la faune sous-marine, et pour la pêche, une activité vivrière et commerciale très importante dans toute la région.
Des chercheurs brésiliens ont estimé, dans une étude parue le 1er octobre, qu’en cas d’accident au large d’Oiapoque, une marée noire pourrait s’étendre sur plus d’une centaine de kilomètres en trois jours, et que la profondeur du forage rendrait toute opération de confinement plus périlleuse que lors de la catastrophe du golfe du Mexique de 2010. Au passage, en pareille situation, les côtes françaises seraient en première ligne.
Au-delà des risques environnementaux, cette énième aventure extractiviste sud-américaine questionne quant à sa durabilité économique. Certes, le Guyana entend éviter le fameux « syndrome hollandais » grâce à un fonds souverain créé sur le modèle norvégien, et à de grands projets d’aménagement (route transamazonienne, barrages hydroélectriques…). Pour autant, les exemples du Suriname ou du Venezuela, dont la vie économique a été une succession de booms et de crises liés au cours des matières premières, invitent à la prudence.
De même, les risques de corruption et d’accaparement de la manne pétrolière inquiètent la plupart des observateurs. Le Guyana comme le Suriname restent des pays où la politique se calque sur les clivages ethniques, et sont situés en fin de tableau dans les classements mondiaux sur la transparence.
Quant à la Guyane, un rapport parlementaire concluait en 2023 que l’industrie pétrolière permettrait certainement d’obtenir des fonds pour améliorer les infrastructures dont manque cruellement la population, mais ne créerait pas d’emplois qualifiés localement, faute de formations et de compétences sur place. L’ampleur des retombées économiques dépendrait aussi des négociations avec l’Etat, propriétaire du sous-sol, et avec l’opérateur disposant de la technologie capable de forer en eaux profondes.
A ce sujet, faut-il rappeler que le contrat passé entre Exxon Mobil et le Guyana ne laisse au pays qu’une part dérisoire de la manne pétrolière, et que Georgetown peine aujourd’hui à le renégocier ? Le Fonds monétaire international (FMI) lui-même s’était ému, dans un rapport de 2018, de la faible redevance (2 %), consentie par la major pétrolière sur les ventes du brut.
Si les Guyanes deviennent assurément un eldorado pour multinationales, en revanche rien n’est moins sûr pour la population.
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