POUR LE 100EME ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DE MARCEL MANVILLE

Raphaël CONSTANT

Ce mois et cette année, Marcel MANVILLE aurait eu 100 ans.

Il faut espérer qu’outre cet article, il sera rendu un hommage à ce militant de la cause nationale martiniquaise, de la défense des humbles et des libertés publiques.

Il est toujours erroné de croire que tout le monde sait tout, surtout au sein des jeunes générations.

Rappelons donc.

(Je fais cet article à partir de ma seule mémoire. Sans aucun doute avec des défauts et des erreurs)

Marcel est donc né à Trinité le 18 juillet 1922. Son père est un secrétaire de mairie, militant socialiste de LAGROSILLIERE. Sa mère meurt alors qu’il est jeune. Seul garçon de sa fratrie, il sera élevé par ses sœurs avec qui il entretiendra des relations profondes et passionnée toute sa vie.

Scolarité normale et même brillante, il ira au grand lycée, le lycée Schoelcher.

La défaite française en 1940 sera un premier choc pour Marcel. D’une part, c’est le mythe de l’invincibilité de la mère-patrie qui s’effondre (et cela laissera des traces sur le long terme). D’autre part, ce sera la découverte d’un autre visage de la France, celle du régime raciste de l’Amiral Robert.

C’est au Lycée que Marcel rencontre les Fanon, Joby qui est de sa promotion et Frantz un peu plus jeune.

A la différence de Frantz, Marcel ne part pas en dissidence. Néanmoins, la chute de Robert amène Fanon à retourner à Fort de France. C’est donc ensemble que Marcel et Frantz, avec leur ami commun MOSOL, quittent la Martinique au sein des forces de la France Libre pour rejoindre l’Afrique du Nord. C’est le premier contact avec ce pays, l’Algérie, qui forgera une part de leur destin à tous les deux. Ils y découvriront le racisme colonial anti-arabe. Ils participeront au débarquement en Provence puis remonteront vers l’est de la France.

Dans cette guerre sans merci, tous seront courageux. Marcel finit caporal et obtint la croix de guerre au feu. Tous seront déçus. Comme l’a écrit FANON à ses parents, si les principes guident leur pas, l’égoïsme des « fermiers » les révoltera.

Après la guerre, Marcel rentre en Martinique pour quelques temps de retrouvailles puis part en France pour faire des études.

Il choisira le droit à Paris. Il deviendra avocat.

C’est le temps aussi de l’engagement politique.

Marcel adhère au PCF et opte pour le communisme. C’est une « église » qu’il ne quittera jamais même aux périodes critiques et lors de ses interrogations sur le « socialisme réel » de l’époque. Surtout, pour Marcel, le PCF est le seul parti anticolonialiste qui combat la guerre d’Indochine.

Marcel participe à la création du Mouvement contre le Racisme et l’Antisémitisme (MRAP).

Professionnellement, il acquiert une grande pratique et se déplace beaucoup. Il est un des avocats de la CGT et parcourt la France à défendre des militants syndicaux poursuivis. Il y acquiert une expérience importante dans les différentes branches du droit, pénal, administratif et social.

Surtout, Marcel devient ce qu’on appelle un « avocat-militant ». Il ne défend pas tout le monde. Il ne défend pas n’importe quoi.

C’est une éthique peu compréhensible pour beaucoup qui aiment aller à la soupe, même en catimini.

Communiste, noir, fort en gueule, Marcel devient une personnalité du Palais de Justice de Paris. Même l’extrême droite n’aime se frotter à lui car il est inattaquable avec son passé militaire.

 

Second choc, la lutte du peuple algérien.

Pour Marcel, ce combat libérateur et meurtrier qui dura 8 ans l’a marqué à tout jamais. Dans son panthéon, elle était au moins à l’égale de la révolution soviétique de 1917. C’est dire.

Devenu, très rapidement avocat du FLN se déplaçant sur le territoire algérien, Marcel y a joué de nombreuses fois sa vie et sa liberté. Il va y acquérir des liens étroites d’amitié avec des dirigeants algériens dont le premier président de l’Algérie indépendante, Ahmed BEN BELLA.

L’Algérie sera aussi sera le lieu de retrouvailles avec Frantz FANON. Quand ce dernier décide de quitter l’ALGERIE pour rejoindre le FNL et qu’il passe à Paris, c’est chez Marcel qu’il loge. Le lien fraternel entre les deux hommes sera d’autant plus fort.

Frantz en Tunisie avec la « Main Rouge » et Marcel à Paris avec l’OAS, seront des cibles vivantes des adeptes de l’Algérie française.

Paradoxalement, l’Algérie sera la cause de l’engagement patriotique de Marcel pour la cause nationale. Son statut de colonisé ne pouvait pas ne pas exploser quand son engagement fut tel et si intense pour le peuple algérien.

Ce n’est pas que Marcel a renié la Martinique. Il ne sera jamais aussi critique et radical sur ce point que FANON. Ainsi, il a joué un rôle important avec le Secours Populaire dans la défense des 16 de Basse Pointe.

Mais dans l’après-guerre et jusqu’au début des années soixante, la Martinique n’est pas son sujet principal de préoccupation.

Mais il reste difficile à s’engager aussi résolument pour la liberté du peuple algérien et ne pas s’interroger sur celle de son propre peuple.

Le phénomène déclencheur fut les évènements de décembre 1959.

En pleine guerre d’Algérie, Marcel se lance résolument dans le combat pour la décolonisation des Antilles. Il participe à la création du Front Antillo-guyanais (FAG) avec GLISSANT, CATAYEE, BEVILLE, MARIE JOSPEH. Il tente désespérément d’y rallier CESAIRE en rupture du PCF mais incapable de faire des choix clairs face au régime gaulliste. Ce sera une de ses grandes déceptions.

Le FAG est rapidement dissout.

 

Marcel s’engagera comme avocat et militant dans l’affaire de l’OJAM. On le retrouvera aussi pour les militants du GONG et ceux du MOGUYDE.

De fait, pendant ce début des années soixante, Marcel est quasiment interdit de séjour à la Martinique. Il acquiert aussi un rôle important dans la lutte anti-impérialiste. Son cabinet, son domicile à la rue Vernier devient un centre d’attention des services secrets français tant s’y côtoient des militants de toute la planète, y compris l’Amérique Latine. Il est impliqué dans le Réseau CURIEL qui aide au travers de formations à la subversion, de fabriques de faux papiers, d’aide matérielle différentes organisations anti impérialistes des tupamaros aux Black Panthers en passant par l’ANC et l’OLP.

A titre de simple illustration, un des rendez vous où devait se rendre BEN BARKA s’il n’avait été enlevé et assassiné par les sbires de HASSAN II, c’était au domicile de Marcel pour une réunion pour la préparation de la Tricontinentale.

Marcel a participé à Cuba à la Tricontinentale et y a rencontré le CHE.

 

Troisième choc : dans les années soixante-dix, Marcel décide d’abandonner son confort parisien, sa réussite éclatante à Paris, sa famille dont ses deux enfants pour entrer s’installer, travailler et militer en Martinique.

Marcel adhère au PCM par fidélité même s’il est très critique vis-à-vis du mot d’ordre d’autonomie et de l’électoralisme.

Il doit composer. Il est même contraint d’accepter d’être candidat aux élections législatives de 1978.

Pour Marcel, il faut affronter le colonialisme et cesser de vouloir le convaincre d’être « gentil ».

Marcel est pour la subversion et celle-ci implique un tant soit peu de violence.

Non la violence pour penser à une victoire militaire contre les français mais la violence rédemptrice, celle qui dignifie, fortifie et permet de regarder le maitre dans les yeux.

La subversion signifie occuper tous les terrains, tous les créneaux : mémorial Frantz Fanon, Colloque sur l’autodétermination, création du cercle Frantz Fanon, Scission du PCM pour créer le PKLS, démarches internationales tous azimuts, etc….

Marcel porte d es coups. Il en prend aussi. On tente de l’attaquer par son métier. Des magistrats aux petits pieds alliés avec des avocats indignes tentent de monter une procédure disciplinaire contre lui. Cela finit en déroute pour l’accusation face à une majorité du barreau qui dit non, à une clameur populaire et une mobilisation internationale.

Pendant une dizaine d’année, son choix est de mettre sur pied une organisation permettant d’occuper le créneau de la violence. Ce sera le sens de son engagement à l’Alliance Révolutionnaire Caraïbe (ARC).

Pendant une demie-décennie, des hommes, des femmes de Guadeloupe, Guyane et Martinique, dans une même organisation, vont se battre et porter des coups au pouvoir. C’est aussi l’œuvre de Marcel.

Si l’épopée de l’ARC n’est malheureusement pas allée jusqu’au bout, la libération des trois territoires, ce n’est pas faute d’engagements et de luttes. Elle a permis des avancées même si le basculement n’a pas eu lieu. Marcel en était conscient.

 

Après l’amnistie de 1989, il lui restait moins de 10 ans à vivre.

Malade, il continua à militer ou au Cercle Frantz Fanon ou au PKLS.

Jusqu’au bout, il combattit le colonialisme français et n’eut de cesse de dénoncer les autres « batraciens » et autres « larves » au service de l’asservissement.

Il ne cessait de dire que le plus terrible de l’idéologie coloniale est qu’elle est basée sur l’assentiment et la complicité du colonisé. Pour rompre ce cercle vicieux, seule la rupture valait.

On ne peut que mesurer l’actualité de ces propos quand on voit le récent « micmac » de leur congrès de pacotille.

La pensée et l’action de Marcel sont plus que jamais d’actualité.

 

Sa mort fut à elle seule un monument.

Marcel MANVILLE est mort au Palais de justice de Paris alors qu’il s’apprêtait à plaider pour les familles algériennes des massacrés du 17 octobre 1961 à Paris.

Jusqu’au bout il aura été fidèle et se sera battu.

Que notre présent et avenir fassent que son exemple soit rappelé et imit2 !

 

18 juillet 2022

 

Raphaël CONSTANT

Avocat et Militant

Commentaires

Pour Marcel

Kalan

19/07/2022 - 14:55

L’ineffable Marcel Manville...
Merci pour ce rappel

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