QUELQUES COMMENTAIRES SUR LES DERNIERES LEGISLATIVES FRANCAISES EN MARTINIQUE

Raphaël CONSTANT

Rubrique

De quoi se réjouir ? Peu de raisons. Mais quand même. L’élection d’un (seul) élu qui se prononce clairement contre la xénophobie anti-haïtienne et celle issue de la communauté syro-libanaise sont des consolation dans cette société racialisé et discriminatoire.

Des raison d’espérer ?

On a surtout des interrogations et des éléments de confusion politique.

 

Déjà, commençons par les constats.

Premièrement, l’abstention a augmenté. Moins d’un électeur sur 4 a estimé devoir aller voter. Ce taux est sans commune mesure avec ce que connait la France. Sans répéter ce que j’ai déjà écrit, cette abstention montre qu’une grande partie de la population est marginalisée et ne croit pas résoudre leur question avec un bulletin de vote mais en tout état de cause, elle est, au moins, en partie consciente.

Cette abstention est d’autant plus méritoire ou notoire que, d’une part, dans les médias, le battage et la propagande pour aller voter atteint des sommets et d’autre part aucun de ces grands médias ne donnent la parole aux forces appelant à ne pas voter.

On ne peut être que confondus par les discours et explications emberlificotés des Justin Daniel ou Jean-Marc PARTY pour expliquer l’abstention en refusant de prendre en compte ou en l’escamotant la réalité politique.

L’augmentation de l’abstention montre bien que consciemment ou consciemment la majorité des martiniquais rejettent ce système et ne s’y retrouve pas.

Deuxièmement, aucune force politique française ne joue un rôle majeur dans la vie (même factice) politique martiniquaise. La droite (LR) a disparu. Les centristes (MODEM, UDI) sont toujours aussi marginalisés. Le RN/FN qui avait présenté 4 candidats n’a aucunement confirmé le score de Le Pen au second tour (ce qui nous différencie de la Guadeloupe où un RN s’est même retrouvé au second tour et ne perd que de justesse ! Certes LFI a vu ses 3 candidats engranger plus de voix qu’en 2017 mais on est très loin des scores de Mélenchon. Le seul candidat macronien était dans le nord et a été ratiboisé dès le premier tour.

Cette césure entre la situation politique de la Martinique et celle de France est bien la démonstration que nous sommes face à des alternatives totalement différentes.

 

Troisième constat, les défaites des deux grandes coalitions.

En 2017, le PPM et ses alliés avaient obtenu 3 députés (Letchimy, Azérot et Manin) sur 4. Certes, ils ont perdu un poste puisque la suppléante d’Azérot a rallié PEYI A. Il reste qu’à l’issue de ce scrutin, le PPM et alliés ne détiennent plus qu’un siège, celui d’Hajjar. On voit qu’au premier tour, mis à part à Fort de France, les scores du PPM et alliés ont été très faibles. De même, jamais un candidat PPM n’avait fait aussi peu à un premier tour et jamais un candidat n’a été élu avec une marge aussi faible à Fort de France. On avait déjà été étonné du peu d’écho dans les urnes foyalaises de l’appel à voter Hidalgo puis Macron. Là, il se confirme bien que la machine électorale est pour le moins grippée. Ce n’est pas cette victoire étriquée qui va légitimer le président du Conseil Exécutif et ses 37%, même si, in fine et par un opportunisme bien compris, son parti appelé à voter au nord et au centre pour les candidats qui ont été élus.

Gran Sanblé (GS) n’avait pas de député sortant. Eh bien, il n’en a pas d’entrant. C’est la seconde défaite en deux ans du MIM et de ses alliés et ceci en dépit de ses tentatives d’élargir sa base vers la droite. Si le GS a placé quatre candidats présents au second tour, ils sont tous battus à plate couture (des scores allant de 29 à 42%), Carole mis à part. C’est en effet celui contre lequel on ne misait guère qui a fait au second tour le meilleur score. Le MIM et ses alliés pourront dire que c’est la grande union contre eux qui a amené ce désastre. Reste que même dans ce cadre, rappelons que la stratégie du rejet et du refus de l’autre, surtout quand il s’agit de dissidents, est le fondement de la démarche de GS depuis 2020. Mais cette explication est insuffisante. Comment expliquer que Marie Jeanne qui avait été en tête en 2021 dans tout le sud est talonné à Rivière Pilote par Nilor. Comment expliquer que Edmond Mariette n’arrive pas devant Williams dans la seule ville MIM de Martinique, le Gros Morne. Mis à part l’invisibilité du MIM (mais ce n’est pas le seul) dans toutes les luttes récentes, on peut aussi penser que même le noyau dur de l’électorat du MIM n’a pas compris la raison pour laquelle Marie Jeanne souhaitait à nouveau devenir député, sinon un trivial désir de vengeance personnelle.

Le MIM perd surtout sa locomotive électorale et GS son seul ciment politique, celui du « visionnaire » qui n’avait pas vu sa défaite !

 

La surprise du scrutin vient de PEYI A : deux députés sortant, deux députés entrants et même un troisième qui aurait été soutenu sans parler d’un score (certes modeste mais correct) à Fort de France. Le bilan est quasiment impressionnant quand on se rappelle la déroute que ce mouvement a connu aux dernières territoriales.

Il faut quand même relativiser ce succès.

D’une part, le soutien de PEYI A à William interpelle sur les principes de lutte et d’unité de ce parti. Voici donc un fringant jeune homme qui en moins de dix années a été le bras droit de Chantal Maignan (droite) puis le suppléant de Manin (Bâtir le pays Martinique) pour rejoindre par la suite la majorité municipale de Monthieu au Robert et enfin s’être présenté « sans étiquette » !!! Sur le plan de l’opportunisme et du débrouillardise, on ne peut être qu’en admiration devant un tel parcours et de telles circonvolutions. En créole, c’est l’adage de « soulon van la tché poul ka penché ». William a toujours dit qu’il se sentait français et européen. Demain, William peut opter pour le patriotisme (grand doute) ou le macronisme tout en restant williamiste !

D’autre part, si le succès (+ de 70% !) de Nilor est d’évidence la conséquence de son ancrage et de sa présence sur le terrain, celui de Nadeau est surtout la conséquence d’une part de l’échec du candidat d’Azérot et d’autre part du soutien du PPM et alliés.

C’est une ambiguïté de PEYI A depuis sa naissance. Pas de mot d’ordre clair, pas de programme défini, une volonté de combattre avant tout le MIM et une tendance à être disponible pour composer avec les forces politiques profrançaises et anti-indépendantistes au nom d’une « unité » à géométrie variable.

Dans le même temps, il faut aussi reconnaitre que sur des sujets comme le chlordécone, la répression, Nilor et Nadeau (avec Francis Carole) ont été les seuls élus à s’engager clairement sur une base anticolonialiste.

Mais que va faire PEYI A de cette victoire ?

 

Notons aussi que la politique de Macron amplifie le combat dans les colonies françaises :  la Polynésie a trois députés indépendantistes, la Corse a trois députés nationalistes et en Guyane, pour la première fois, le MDES a un député.

Nous sommes donc bien dans une phase de la montée de la contestation de la domination française dans les possessions françaises.

 

Depuis 1998, la Martinique a eu des députés de tendance indépendantiste sans que cela n’ait radicalement changé le rapport de force entre la France et notre pays. Il reste à s’interroger sur ce qui est nécessaire et possible pour amplifier le combat pour la fin de la domination coloniale.

 

Cela fera l’objet d’un prochain article

 

R. CONSTANT

Avocat et Militant

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