Qu’est-ce qu’un écrivain québécois?

Qu’est-ce qu’un écrivain québécois ? Est-ce un Victor-Lévy Beaulieu pur et dur, une Marie-Claire Blais qui a passé une grande partie de sa vie aux États-Unis, une Caroline Dawson qui arrive comme une bombe dans le milieu avec un premier livre, ou un écrivain japonais Académicien français qui donne dans le dessin tel Dany Laferrière ? Les changements à la Loi sur le statut de l’artiste, ainsi que le virage de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) vers un syndicat, obligent à se (re)poser la question.

Qu’est-ce donc qu’un auteur québécois ? « C’est celui qui détient l’autorité intellectuelle sur un ouvrage », affirme Julien Lefort-Favreau, professeur à l’Université Queen’s et spécialiste de la littérature québécoise. « La Loi [nouvelle sur le statut de l’artiste] implique tout le spectre de ceux qui écrivent des livres, qui ne sont pas nécessairement des auteurs littéraires, mais qui sont désormais reconnus comme des créateurs de copyright. »

Les auteurs de guides de jardinage, de livres de recettes, de livres de patrons de tricot seront donc prochainement considérés comme des artistes aux yeux de la Loi, là où le Conseil des arts et des lettres du Québec, par exemple, qui soutient financièrement la création et les créateurs, les exclut, puisqu’ils ne produisent pas d’oeuvres.

Il faut voir comment s’appliquera cette nouvelle loi 35, comment les arbitrages trancheront les litiges, et comment l’UNEQ et les éditeurs définiront à chaque convention collective négociée les auteurs protégés, pour savoir enfin la forme que ces usages donneront à la définition de l’auteur québécois.

L’imaginaire légal de l’artiste

Pour M. Lefort-Favreau, l’auteur est aussi celui qui signe « des livres qui ne sont pas considérés comme de l’art. Il faut désacraliser la notion d’artiste, et penser plutôt en termes de producteur d’objets culturels. Quand on lit “Loi pour les artistes”, on pense spontanément à un danseur ou une peintre, et pour les auteurs, aux auteurs de littérature. Mais ces catégories historiques, quand on est dans un cadre législatif, n’ont aucune importance. »

Selon Véronyque Roy, chercheuse en droit à l’Université de Sherbrooke, les auteurs soumis à l’application des futures ententes collectives de l’UNEQ seront ceux dont les contrats tombent sous l’égide de la Loi sur le statut des artistes, et qui auront aussi la reconnaissance de l’UNEQ.

« La reconnaissance publiée sur le site du Tribunal administratif du travail prévoit que l’UNEQ protège “tous les artistes professionnels oeuvrant dans le domaine de la littérature au Québec”. On pense donc à tous les créateurs, en toute langue, qui contractent des ententes contre rémunération liées à leur travail dans le milieu du livre québécois. Pensons au contrat d’édition signé au Québec. »

Un auteur, c’est autant celui qui écrit un manuel que le poète, l’essayiste, ou celui qui fait un livre de recettes - Josée Vincent

Que faire alors du cas d’une Perrine Leblanc, qui habite en Gaspésie et publie chez Gallimard en France, ou d’un Christophe Bernard, qui habite au Vermont et publie au Québec au Quartanier ? « Si la Loi définit l’auteur sur le rapport avec un diffuseur québécois, ça exclut tous ceux qui sont dans les marges », répond Julien Lefort-Favreau, lui-même auteur de Le luxe de l’indépendance (Lux).

Pour Véronyque Roy, l’applicabilité de la Loi est aussi régie par les règles de droit international privé prévues au Code civil du Québec. Elle n’est ainsi « pas strictement liée à la résidence. Cela dépend, entre autres, des termes du contrat, du lieu de la prestation… Des dispositions prévoient que les lois québécoises d’ordre public (qui visent, entre autres, la protection de l’une des parties au contrat) sont prioritaires sur les contrats. »

Ricardo, cet artiste

« L’artiste comme on le perçoit dans l’imaginaire n’a rien à faire dans la loi, il n’existe pas », continue Julien Lefort-Favreau. « Si tu veux défendre les artistes, tu ne peux pas considérer les hiérarchies culturelles. Il faut s’appuyer à la réalité matérielle du livre, détenteur du copyright et d’un ISBN », ce numéro qui identifie de manière unique chaque édition de chaque livre publié. « C’est la commercialisation, légalement, qui fait l’autorité culturelle », résume le professeur.

Pour Josée Vincent, sociologue de la littérature à l’Université de Sherbrooke, cette redéfinition en cours du statut de l’écrivain, et la redéfinition de l’UNEQ elle-même, vont s’inscrire dans une transformation de tout le champ littéraire.

« Un auteur, c’est autant celui qui écrit un manuel que le poète, l’essayiste, ou celui qui fait un livre de recettes. Ce sont des pratiques d’écriture tellement différentes… je ne sais pas comment ils vont pouvoir toutes les circonscrire », se demande la codirectrice du Dictionnaire historique des gens du livre au Québec (PUM). Posons donc la question : aujourd’hui, comment l’UNEQ envisage-t-elle de définir les auteurs québécois professionnels ?

Inclura-t-elle les auteurs anglophones, autoédités, les traducteurs ? Que se passera-t-il avec les Élise Gravel et Marianne Dubuc, qui sont à fois autrices et illustratrices ? Ces questions « font partie des échanges en cours avec les associations concernées », a répondu Laurent Dubois, directeur général de l’UNEQ.

Toutes ces questions ont du bon, assure Julien Lefort-Favreau. « On va vers une meilleure reconnaissance de tous les producteurs du contenu d’un livre, qu’ils soient auteurs, traducteurs, illustrateurs. On va protéger le maillon qui était le plus faible, celui qui était le moins protégé par la chaîne du livre, celui qui a économiquement le moins de poids. »

Définir l’écrivain québécois

Au Conseil des arts et des lettres du Québec, c’est l’auteur qui réside au Québec ; qui se déclare artiste professionnel ; qui crée des oeuvres à son propre compte ou offre ses services, moyennant rémunération ; qui a une reconnaissance de ses pairs ; qui diffuse ou interprète publiquement des oeuvres dans des lieux ou un contexte reconnu par les pairs.

Au Prix des libraires, l’auteur doit être citoyen canadien ou résident permanent et doit résider habituellement au Québec ou y avoir résidé au cours des 12 derniers mois.

À la SODEC, c’est l’auteur qui réside au Québec « au sens de la Loi sur les impôts, au 31 décembre de l’année précédant celle au cours de laquelle une entente d’édition a été signée ».

Le Prix des collégiens et Copibec n’avaient pas répondu au Devoir à l’heure de tombée de ce texte.

Photo: Jacques Nadeau archives Le Devoir Les changements à l’UNEQ et à la Loi sur le statut de l’artiste obligent à redéfinir ce qu’est un écrivain québécois.

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