Thaïlande : l'enfer du décor

Patrick Chesneau

   PHUKET, POUQUETTE pour les Farangset intimes de cette destination presque aussi extravagante que Pattaya dans l'éventail des provinces siamoises. 

   Phuket, ceinturée par les flots. Berceau d'une idylle née dans un cadre enchanteur entre ciel indigo et mer turquoise. La romance avait débuté comme une légende dorée il y a plusieurs dizaines d'années, avant l'essor du tourisme de masse. Elle semble aujour'hui très écornée. La faute, en partie, à l'afflux massif d'un public international. La mondialisation n'est pas toujours un scénario heureux. En cette période post-COVID marquée par une reprise exponentielle de la fréquentation, tous les  familiers impénitents de cette enclave extravertie continuent d'en parler sur un registre énamouré. Pour les autres, le célébrissime coin d'eden a adopté une  évolution trop délurée. Cédant à une forme d'emballement. Certains craignent un phénomène de dénaturation de la société locale. Lent mais inexorable.

   Kata beach, Patong beach ou plages succédanées... invariable rengaine. Ce sont de nouvelles colonies de peuplement dans le sud de la Thaïlande. Région durement frappée par le syndrome Palavas-les-Flots. Cette affliction pandémique capable de méfaits irréversibles à 11.000 kms de son biotope naturel, la France. Façade Méditerranée.

   Pouquette, nouvelle capitale des farang bidochons. Amateurs de steaks frites comme à la maison, de bars interlopes, de boîtes de nuit égrillardes. Et de maxi bronzettes pour Apollons fantasmés et bimbos siliconées. Ceux-là ignorent délibérément la vie traditionnelle des populations vernaculaires. Des Thaïs qui résistent vaille que vaille aux coups de boutoir de l'industrie des vacances. Et à l'invasion pacifique de leur île par les 9 millions de visiteurs allogènes à l'année. La seule présence de ces derniers met à mal les modes de vie ancestraux. Pourtant leur vitalité leur garantit une remarquable et salutaire pérennité. Le festival végétarien n'est-il pas la démonstration la plus éclatante de la survivance de la cuture et des traditions des communautés historiques? Authentiquement thaïes. 

   Il n'empêche...Que voit-on dans le cas des plages les plus fréquentées par les voyageurs venus tout exprès du bout du monde? Des milliers de pingouins en extrême sudation sur une bande de littoral exténué. S'y concentre la jet set version grand déclassement. Alignement effarant de chaises longues et de parasols à effigie publicitaire. Collage aggloméré d'épidermes dégoulinants de monoï et de crèmes solaires. Côte à côte et coude à coude en cohabitaton forcée lors des innombrables séances de bronzage barbecue. Des duplicatas en enfilade de corp repus. Tenue relâchée de rigueur: débardeurs bas de gamme, T-shirts à décalcomanies criardes, shorts ou pantalons vaporeux, floqués de  motifs éléphants. Et tongs pour parachever le tableau. En guise d'ustensiles, serviettes-éponge,  maillots de bain de collections dégriffées, lunettes à verres fumés pour jouer les maestros de la séduction bon marché et bouées canards. Avec bec verseur quand on veut frimer. Sacrée dégaine... les bourlingueurs de l'Orient mystérieux. Une armée de clones en villégiature prolongée, lèvres pendues à d'improbables cocktails bigarrés. A l'image des pailles tendance faussement biodégradables, on assiste à la boursouflure d'un monde happé par une sorte d'inesthétisme vaguement écoeurant.

Ici, la houle c'est la marée montante des corps qui jonchent le bord de mer. Avant de faire trempette, le bain de foule est inévitable.

   Pourtant, vu de loin, quelle souveraine jubilation. Il suffit de s'horrifier de ces arpents de farniente dévoyé.

   Pendant qu'ils sont là à s'agglutiner, ces vacanciers-ventouses ne sont pas ailleurs. Alors, qu'ils s'entassent encore plus. Toujours plus. En file indienne et si ça ne suffit pas...en pile indienne. Ça nous fait de l'espace, partout ailleurs dans ce somptueux Royaume. Déjà, Phuket ce n'était plus vraiment la Thaïlande. Depuis longtemps. Mais, ça dégénère. En accéléré. Les plages de cette île trop frelatée illustrent la caricature du paradis perdu. Sorte d'excroissance adipeuse et étouffante de ce qu'était l'île, coutumière à l'origine de tant de charmes capiteux. C'est désormais l'univers privilégié de la promiscuité. Vivre les uns sur les autres. Une réserve d'aliens. Propice aux cas de Katalepsie. 

 

Patrick Chesneau

 

Crédit photo: Phuket Times

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