Un accès des étrangers à la propriété foncière. Au moins sur le plan théorique et conceptuel, c'est une révolution copernicienne qui s'engage au pays de la " thainess " ( le coeur et le substrat de l'identité thaïe ) et de la priorité nationale. Ce serait une première... historique. Une coupure épistémologique dans un récit séculaire de protection nationale.
Une rupture avec des siècles de culture endogène particulièrement stricte quand il s'agit de repousser toute intrusion étrangère. La protection des Thaïs comme priorité indéfectible. Jusqu'alors, le seul fait d'être le récipiendaire d'un passeport international conférait l'exclusion automatique de la plupart des droits alloués aux sujets de Sa Majesté le Roi de Thaïlande. Dont, least but not last comme disent les anglophones, celui d'acheter des terres indigènes. Autochtones... condition sine qua non. A terme, si tous les obstacles juridiques sont levés, un "alien" ( dénomination administrative pour désigner les extraterrestres ayant jeté leur dévolu sur le plus beau des Royaumes pour y garer leur soucoupe volante ) pourra donc être l'acquéreur d'un terrain. Faudra t'il encore que le prétendant soit détenteur d'un visa onéreux dit LTR Long Term Resident. Qui toutefois ne confère aucunement la résidence permanente ( à vie ). Faudra-t'il surtout que le lopin de terre n'excède pas une superficie maximale d'un rai ( 40m × 40m, soit 1.600 m2 ). Le projet devra garantir exclusivement un usage d'habitation personnelle et ne devra en aucun cas porter atteinte à la morale, aux coutumes et au mode de vie local. Faudra t'il exciper d'une attestation de moralité et exhiber un certificat d'intégration? Les Farang devront-ils montrer patte blanche? Certains riront jaune en cas de refus.
Ce droit à emplette foncière serait limité, dans une première phrase ( expérimentale? ) à Bangkok, Pattaya et toute autre zone impérativement réservée à l'urbanisme individuel.
Attention: posséder un morceau de sol siamois sera à priori très encadré. C'est que les autorités avancent sur des oeufs. De nombreux contempteurs de cette mesure partielle et somme toute timide accusent d'ores et déjà le gouvernement de vouloir vendre le pays ancestral à la découpe. Pour ne pas dire sacrifier la patrie à l'encan. Le Pheu thaï, principal parti d'opposition vient de déclarer son hostilité à un tel projet. La formation politique liée à l'ancien Premier Ministre Thaksin Shinawatra chassé du pouvoir par un coup d'état militaire en 2006, craint une flambée des prix. Une spéculation foncière qui entraverait l'acquisition de terrains par les Thaïs eux-mêmes. En l'état La nouvelle directive gouvernementale s'appliquerait donc seulement aux expatriés et retraités respectables. Ce qui, en langage vernaculaire signifie...fortunés. Elle concernera également les nomades numériques qui souhaitent s'installer en Thaïlande, ainsi que les personnes possédant des compétences particulières (??? ). Lesquelles? Mystère et boule de gomme.
Condition théoriquement exigée: l'acheteur potentiel devra se présenter en véritable " donateur économique ". Il s'agira de fournir la preuve d’un investissement d’au moins 40 millions de bahts ( la devise thaïlandaise. 1€ oscillant actuellement entre 36 et 38 B ) dont le prix du terrain. Le solde pouvant comprendre l’immeuble et des bons du trésor thaï. Contrainte supplémentaire, cette injection en capital doit être maintenue pendant au moins trois ans.
Mais comment contester l'allégation selon laquelle le gouvernement d'orientation très nationaliste cède aux sirènes du capital mondialisé? Certes, l'habillage idéologique de circonstance puise dans la rhétorique économique, nécessité de developpement de la nation oblige, mais nul observateur ne se méprend. Ce qui est présenté comme des garde-fous protecteurs sont en fait des astuces facilitatrices pour attirer le ruissellement des pépètes. Style... nous aussi on veut toucher au grisbi. Doit-on comprendre que de nombreux verrous sont maintenus rien que pour la galerie? La proposition gouvernementale doit encore être approuvée par différents organes d’État et surtout ne pas être contraire aux Lois Fondamentales, ce qui est loin d'être dans la poche. Et autorisera des interprétations très sinusoïdales sinon arbitraires par une armada de fonctionnaires tatillons si ce n'est vétilleux.
Il n'en demeure pas moins que les nababs pleins aux as peuvent se réjouir de cette avancée relative. Eh oui, en cette matière, seul l'argent anoblit le visiteur venu d'ailleurs.
A ce stade, le recours à la sociologie et à la psychologie s'imposent. La Thaïlande officielle courtise depuis toujours les étrangers riches. Tellement riches que, d'un coup d'un seul, ils deviennent moins étrangers. Les fonds d'origine excentrée pourront opportunément garantir à l'impétrant qui gardera sa nationalité d'origine un statut de résidence durable ( sans toutefois que cela soit à aucun moment un droit de séjour définitif ). C'est l'admission par le compte en banque, le dialogue interculturel par l'investissement de proximité et l'acquisition d'une parcelle de sol patriotique par les flux monétaires de la financiarisation planétaire. Les " kiniao " et les " kinok " ( les étrangers radins et démunis ) peuvent toujours courir. Ils ne pourront pas concourir. Au plan de la loi, la propriété d'un condo ( appartement en copropriété ) leur restera accessible mais pas plus. Seuls les profils à portefeuille ventripotent, que l'on pourra considérer comme la tribu des " cotés en bourse " pourront accéder à ce statut de vrai possédant. Et uniquement eux. Nantis toujours gentils. Moralité pécuniaire: un ressortissant de citoyenneté exotique pourra désormais s'il se déguise en bathman avoir droit à un traitement d'accueil digne d'une superproduction internationale. Plus que jamais, expatrié sera la rime de marchés financiers. Fort potentiel et hauts revenus seront le sésame obligé. En Thaïlande où prime la préférence nationale, l' ASF ( Argent Sans Frontières ) peut réaliser de stupéfiantes prouesses consuméristes. Dans sa dernière acception, il semble bien être le code d'accès au bonheur foncier. La propriété allogène...si tu casques.
Patrick Chesneau
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