Seul le témoignage poignant et public de Mme Firmine RICHARD me conduit à écrire à nouveau sur ce que personne n’ose appeler par son nom, le « traumatisme du BUMIDOM ». En effet, ayant décidé de ne plus aborder ce sujet, qui semble n’intéresser que par ses traits négatifs, ce n’est qu’au hasard d’un clic d’insomnie que je me suis retrouvé à regarder le film des extraits de la rencontre organisée récemment à l’Assemblée nationale par Olivier SERVA. Sauf un abus de langage qui pourrait faire croire que l’institution existe encore, il ne s’est pas agi des 60 ans du BUMIDOM qui n’a vécu que 18 ans, mais du 60ème anniversaire de sa création. A moins de considérer qu’il se poursuit encore, en plus moderne, au travers de substituts nommés ANT puis LADOM.
Une expérience différenciée des Antillais et des Réunionnais
Les déclarations enregistrées dans la salle de l’Assemblée nationale m’ont paru sincères. Sauf l’apparition d’un nouveau chiffre, 10 000 départs annuels pour l’ensemble des DOM. Comment comprendre, dès lors, que la population de la seule Martinique ait augmenté de plus de 50 000 habitants pendant ces 18 ans ? De même, le reproche de la présence de plusieurs stagiaires par chambre peut paraître surréaliste à l’époque des chambrées du service militaire et des internats de lycée.
J’y trouvais en tout cas la confirmation d’une différence fondamentale entre la condition des originaires des Antilles et celle des ressortissants réunionnais. Le regroupement naturel des premiers en Île de France grâce à la présence de parents venus en métropole avant le BUMIDOM, fut un élément d’atténuation incontestable des difficultés rencontrées par les jeunes Antillais. Les Réunionnais n’avaient pas connu cette faveur. Répartis en divers lieux, surtout dans le sud de la France où ils avaient connu, par ailleurs, l’expérience malheureuse des Enfants de la Creuse », ils éprouvaient un sentiment aggravé d’isolement voire de déracinement. Dans le couple du film formé par une Réunionnaise et un Guadeloupéen, seule l’épouse paraissait vraiment déracinée. Son éventuelle venue en Guadeloupe avec son mari ne paraissait pas devoir porter remède à son mal du pays. Si l’expérience des Réunionnais a été plus difficile, les propos et manifestations d’hostilités n’émanaient curieusement que d’intellectuels antillais.
L’absence des jeteurs d’opprobre
Transition à la muette obsession qui hantait la salle de l’Assemblée nationale en cette soirée de décembre 2023, le silence de ceux qui, parfois présents, ont toujours gardé silence et celui des jeteurs d’opprobre, qui gardent lâchement le silence, loin de la salle.
Ainsi donc, ce silence était perceptible à travers l’intervention de celle qui, devenue infirmière avant d’être une actrice reconnue, fut la fille de l’une de ces femmes venues des Antilles et ayant exercé le métier d’aide-soignante. Le prototype de l’échec, donc, vu par les contempteurs du BUMIDOM. L’hommage touchante rendue à sa mère par Mme RICHARD pour les qualités humaines mises en œuvre dans son travail, vise également le silence que celle-ci a observé sur l’origine réelle de sa venue en France, en 1965. La mère aurait donc préféré que son voyage fût pris en charge par un fonctionnaire des Douanes pour qui elle avait travaillé en Martinique que d’avouer la réalité de son passage par le BUMIDOM. La fille n’est pas dupe. Pourquoi, se demande-t-elle, ce cadre métropolitain de la fonction publique, même plein d’humanité et fortuné, aurait payé de sa poche un titre de transport alors qu’il était possible de l’obtenir gratuitement par le BUMIDOM (D’autres exemples comparables me viennent à l’esprit). Mais, perplexe, elle doit encore s’interroger sur les ignominies endurées par toutes ces personnes et qui se sont délibérément tues, ainsi que sur leur origine. Quelles circonstances ont pu rapprocher dans un même malheur toutes ces personnes issues de la migration la plus protégée et la plus sécurisée de tous les temps ?
Un « bâton dans les roues » de la révolution qui n’a pas eu lieu
En réalité, le BUMIDOM avait constitué un frein aux mécontentements de la jeunesse et une satisfaction des parents. Il s’était agi d’un « bâton dans les roues » de la révolution. Une révolution qui, en fait, n’a jamais commencé. La réponse avait été foudroyante dans la presse, les livres, les chansons, et pendant les vacances au pays (les vacanciers). Elle retentit encore par-delà les générations jusqu’à les conduire à se reprocher d’avoir pris la décision de « quitter leur pays ». Nous savons combien le Martiniquais et le Guadeloupéen ont la peau sensible ; ils ne veulent plus utiliser les mots « métropole » et « outremer » qu’ils considèrent comme insupportables, jusqu’à porter cette aversion sur les travées de l’Assemblée nationale.
Or, dès les premiers départs en France, les Bumidomiens se sont retrouvés avec des pancartes sur le dos. Le Martiniquais, le Guadeloupéen et le Réunionnais savaient comme tous les immigrés de la terre qu’ils allaient affronter le racisme et les injustices (déjà connues dans nos pays), les insultes de « sale noir » ou de « sale bougnoule », parfois. Ils se savaient aidés par leur statut de Français ainsi que par les différents bureaux d’aide et de conseil répartis dans l’hexagone. Au soir de leur vie, ils n’y pensent plus. En revanche, ils n’ont pas su réagir aux accusations qui leur étaient faites, non par les Blancs qui ignoraient l’existence du BUMIDOM, dont ce député parisien qui accompagnait Olivier SERVA. Mais par leurs frères restés au pays à l’abri de leurs diplômes.
Seules les souffrances intimes sont indicibles
Ils ont ainsi été méprisés par leurs propres frères dans un vocabulaire de dénigrement et d’opprobre, de racisme presque qui les situait, vu des Antilles, à la lie de la société. Ils ont vécu sous les quolibets rapportés par les livres, la presse ou le cinéma : « négropolitain », « négzagonal », « déporté », « traitre », « prostituée », « serpillologue », et j’en passe. Et l’on conclut toujours les débats en feignant de s’étonner que les Bumidomiens ne s’expriment pas. On le sait, les souffrances dues à de telles accusations sont intimes et ne se dévoilent pas. D’ailleurs, seules les souffrances intimes sont indicibles. Elles se vivent, muettes et cachées dans un mal collectif qu’il convient de nommer « traumatisme ».
Fort-de-France, le 28 décembre 2023
Yves-Léopold MONTHIEUX
Il faut être un sacré farceur pour faire croire aux Martiniquais qu'un deuxième Cuba est possible Lire la suite
...toute la "classe politique" (qui n’est d’ailleurs pas une "classe sociale") sur le même plan ? Lire la suite
...ou ka trouvé tout diks-li, òben yo ka viré enprimé tou sa i fè-a vitman présé! Lire la suite
...À une époque pas si lointaine, l’adjectif qualificatif "national" était fréquemment utilisé po Lire la suite
ce sera très drôle! Lire la suite