« “Dégage au bled”, “pourriture d’Arabe” : depuis le 9 juin, les racistes n’ont même plus peur de la honte »

Ça a commencé comme ça, très simplement. Je publie un commentaire sur la page de ma ville – Clichy-la-Garenne – et un autre Clichois m’apostrophe : « Si tu n’es pas content, tu quittes Clichy. » Les Arabes en France n’ont pas droit à la critique. On ne leur laisse que deux choix : obéir aux injonctions ou dégager.

Comme je ne me laisse pas faire, le même internaute m’invite maintenant à quitter la France. S’il y avait un doute sur l’intention raciste du propos initial, il est désormais levé.

En enquêtant sur cet individu, j’apprends que mon « chasseur » est connu de toute la ville. On me renseigne sur son activité et je décide de laisser un avis Google sur la page de son entreprise afin de dénoncer l’injonction raciste.« Je vois monter les regards mauvais » : binationaux et Français d’origine étrangère face au racisme décomplexé

Non content de ce premier forfait et en guise de représailles, probablement galvanisé par le score du Rassemblement national, il m’envoie, le soir des élections européennes, un message privé sur Messenger comprenant : une photo de Jordan Bardella heureux du résultat que son parti vient de réaliser ;un mot : « 𝑝𝑜𝑢𝑟𝑟𝑖𝑡𝑢𝑟𝑒 𝑑 𝑎𝑟𝑎𝑏𝑒 𝑑𝑒́𝑔𝑎𝑔𝑒 𝑎𝑢 𝑏𝑙𝑒𝑑 𝑠𝑎𝑙𝑒 𝑚𝑒𝑟𝑑𝑒 ».

L’appel du 9 juin

J’habite en France depuis fin 2000, mais contrairement à de très nombreuses autres personnes racisées, c’est la première fois que je reçois une injure raciste aussi caractérisée et aussi directe. Sans aucun ambage. D’autres en reçoivent par centaines depuis très longtemps.

Ce jour-là, ce « message » m’a révélé mon propre déni. De la puissance de l’intériorisation.

Ce jour-là, j’ai complètement pris conscience de la force de la présence des racistes, à la fois visible et pernicieuse : une présence qui jusque-là choisissait surtout ses cibles avec soin, les cibles exposées – chair à canon facile pour les trolls.

Jusqu’alors j’avais été la cible indirecte de leur haine, pas encore leur cible directe. Depuis ce jour-là, je suis désormais officiellement sur la liste, comme tant d’autres.

« Ils m’ont dit qu’ils nous foutraient dehors dès que le RN prendrait le pouvoir », rencontre avec Divine Kinkela

A posteriori, je me rends compte que je n’avais que l’impression d’y figurer officieusement. Aveugle à ces processus de recrutement brutalement interrompus… pour de vagues motifs administratifs. Aveugle à ces opportunités de logements étrangement envolées… pour des raisons obscures.

Ce qui se passe depuis le 9 juin, c’est que les racistes ne font plus aucun effort pour chercher des procédures, des arguments ou même encore une banale excuse. Ils ne se cachent plus, ils n’ont même plus peur de la honte.

Ma plainte a été classée sans suite, en deux semaines.

Si vous voulez tenir ce genre de propos, allez-y, vous ne risquez rien !

L’antiracisme est une affaire publique

J’ai beaucoup d’ami·e·s engagé·e·s politiquement, de gauche, qui participent à différentes manifestations contre toute forme d’injustices sociales et de violences de tout genre. Quand j’ai publié cette histoire sur les réseaux sociaux, très peu ont réagi. Pourquoi la violence de ces mots leur était-elle étrangère ? indifférente ?

On décrit l’extrême droite comme un péril auquel il faut se préparer et contre lequel il faudrait réagir : mais si elle était déjà là ? Et si l’extrême droite était déjà le mur qui empêche d’entendre les mots « 𝑝𝑜𝑢𝑟𝑟𝑖𝑡𝑢𝑟𝑒 𝑑 𝑎𝑟𝑎𝑏𝑒 𝑑𝑒́𝑔𝑎𝑔𝑒 𝑎𝑢 𝑏𝑙𝑒𝑑 𝑠𝑎𝑙𝑒 𝑚𝑒𝑟𝑑𝑒 ».

Pour lutter contre l’extrême droite, il ne faudrait pas tant se dresser contre, mais plutôt briser le mur qui empêche d’entendre ces mots. Il faut réadapter son oreille pour entendre de nouveau la phrase « 𝑝𝑜𝑢𝑟𝑟𝑖𝑡𝑢𝑟𝑒 𝑑 𝑎𝑟𝑎𝑏𝑒 𝑑𝑒́𝑔𝑎𝑔𝑒 𝑎𝑢 𝑏𝑙𝑒𝑑 𝑠𝑎𝑙𝑒 𝑚𝑒𝑟𝑑𝑒 ». Pour de nouveau s’indigner.

Le racisme est une affaire publique ! Tout comme l’homophobie, l’antisémitisme, le sexisme, la transphobie et le validisme, c’est l’ensemble de la société qui doit être concerné. Une société qui ne fait pas de l’antiracisme sa priorité est une société malade.

Bio Express

Brahim Metiba, auteur de « Ma mère et moi », Editions du Mauconduit (2015) et « Tu reviendras », éditions Elyzad (2019).

Une manifestante arbore une pancarte « Non au r-haine », le 3 juillet à Paris. (RAPHAEL KESSLER / HANS LUCAS VIA AFP)

« “Dégage au bled”, “pourriture d’Arabe” : depuis le 9 juin, les racistes n’ont même plus peur de la honte »© Copyright 2024, Le Nouvel Obs

Commentaires

A bas le racisme anti-blancs!!!!!

abdou thiam

10/07/2024 - 14:15

La lutte contre ce racisme doit etre indissociable du pernicieux racisme anti-blancs qui se propage insidieusement dans la société française et qui fait des victimes de plus en plus nombreuses. Ce racisme anti-blanc allant souvent jusqu'au meurtre est lui aussi clairement revendiqué.L'assassin du jeune Thomas à Crépol n'était -il pas parti "planter du Blanc? " Outre cet atroce meurtre revendiqué , il est impossible de ne pas considérer les spectaculaires assassinats commis dernièrement par des ressortissants maghrébins ou subsahariens et PRESQUE TOUJOURS vis à vis de Français de souche comme racistes....Lutter contre les racismes oui ,...mais contre TOUS les racismes.

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