Ahmet Altan: écrire en prison plutôt que l’exil

À 71 ans, Ahmet Altan ne compte plus en mois ou années mais en livres qu’il lui reste à écrire: sorti de prison au printemps, le journaliste et écrivain turc dit vouloir profiter de «chaque minute» pour noircir des pages et s’épargner des regrets.

«Les écrivains sont très anxieux car chaque minute passée est une minute où ils auraient pu écrire, donc quand ils n’écrivent pas, ils nourrissent des regrets (...) Je ressens cela bien davantage qu’avant la prison», confie à l’AFP l’intellectuel, lunettes ovales et épaisse barbe blanche, qui dit «ne pas craindre» de retourner un jour derrière les barreaux.

Poursuivi pour son implication présumée dans le coup d’État manqué de juillet 2016, ce qu’il a toujours nié, Ahmet Altan a été détenu près de cinq ans à la prison de Silivri, en lisière d’Istanbul, entre septembre 2016 et avril 2021.

Sur la petite table de sa cellule, il a rédigé trois livres: Je ne reverrai plus le monde (2019), non publié en Turquie mais traduit dans 28 langues; Madame Hayat, roman sorti en 2021 et adapté dans 12 langues, et un troisième qu’il achève actuellement.

Le succès rencontré par Madame Hayat, en France notamment où il a été récompensé par le prix Femina étranger, «est une forme de revanche» sur la détention.

«C’est un peu comme dire: “Vous ne pouviez pas me voler ces cinq années”», lâche-t-il entre deux cigarettes, assis dans son fauteuil en cuir noir à la droite duquel se dresse une pile de livres surmontée du roman posthume de John Le Carré, Silverview.

Le fondateur du quotidien turc d’opposition Taraf (2007-2016), devenu l’un des symboles des atteintes à la liberté d’expression en Turquie, raconte ses journées en cellule, à écrire «huit à neuf heures par jour», cigarette sur cigarette, avec pour seules distractions deux codétenus incommodés par la fumée du tabac, dix livres et un poste de télévision.

«En exil, tu n’es presque personne»

Il tombe un jour sur FlashTV, une chaîne de télévision «bas de gamme» où des femmes aux «corps lourds» chantent et dansent en «minijupes»: «C’étaient les seules femmes que je pouvais voir en prison... J’aimais beaucoup regarder cette chaîne, mais mes codétenus étaient très religieux», s’amuse celui qui se dit athée mais se passionne pour la religion.

Madame Hayat — l’histoire d’un étudiant en littérature figurant dans une émission de télévision populaire qui s’éprend de deux femmes, dont l’une d’âge mûr aux «plantureuses rondeurs» à la robe «couleur de miel» — est né dans cette atmosphère.

«Je dois cela à la prison et aux gens qui m’ont jeté en prison», ironise-t-il.

Par crainte que ses écrits soient confisqués, le journaliste a, pour chacun de ses livres, rédigé à la main deux manuscrits. «Je travaillais deux fois plus (...) mais l’écriture m’a rendu heureux. Je vivais dans un autre monde.»

«Quand on peut écrire, on ne peut se plaindre de rien», assène Ahmet Altan, dont la vingtaine de livres publiés depuis les années 1980 se sont vendus à «6-7 millions» d’exemplaires.

Libéré en avril suite à une décision de la Cour de cassation turque, l’intellectuel se sait en sursis — des charges pesant encore contre lui — et préfère éviter certaines questions trop politiques.

Ses prochains livres «seront d’abord publiés en France» mais, assure-t-il, sa vie est en Turquie, dont il ne peut pour l’heure franchir les frontières en raison des poursuites dont il fait l’objet.

«Je ne quitterai jamais ce pays. Ce n’est pas une question de courage. Je vois l’exil comme quelque chose de plus difficile que la détention», dit-il.

«En prison, je peux parler ma langue natale, c’est mon pays, je suis quelqu’un. En exil, tu ne peux pas parler ta langue, tu n’es presque personne, tu n’as pas de racines. Tu te sens peut-être en sécurité, mais tu ne peux pas te sentir à la maison. Je préfère encore être en prison.»

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