Annie Ernaux à nouveau pionnière avec cette traduction en créole

Le roman « La Place » qui a valu à Annie Ernaux son prix Renaudot 1984 va paraître en créole ce mercredi.

LITTÉRATURE - Annie Ernaux, première Française prix Nobel de littérature, se retrouve pionnière une fois de plus. Jamais un auteur ou une autrice non antillaise n’avait déjà été publiée de son vivant en créole. Avec Plas-la qui paraît ce mercredi 19 avril 2023 chez Caraïbéditions, traduction de son livre prix Renaudot 1984, La Place, Annie Ernaux écrit une nouvelle page de l’histoire de la littérature.

Ainsi l’autrice décrit-elle ses parents tenanciers d’un café-épicerie : « Elle était patronne à part entière, en blouse blanche. Lui gardait son bleu pour servir ». En créole, cela donne : « Manman, abiyé èvè blouz blan a-y si-y, té toutafètman on patwòn. Papa, li té ka gadé blé a travay a-y asi-y pou sèvi moun ».

La traduction est signée Hector Poullet, écrivain guadeloupéen qui fête ses 85 ans le jour de la sortie de l’ouvrage. « Un beau cadeau d’anniversaire ! », dit-il à l’AFP.

« Elle a un style très spécial »

« Cela fait longtemps que je passe du créole au français et inversement. Traduire Annie Ernaux, c’était stimulant mais pas facile. Elle a un style très spécial. Quand on dit qu’elle écrit simplement, ce n’est pas vrai. Ce n’est pas plat », ajoute-t-il.

Il en veut pour preuve, dans  La Place, la variété des types de phrases, des plus longues aux plus courtes, nominales... un casse-tête.

« Une phrase sans verbe en créole, qui n’est pas du tout une langue passive mais une langue active, ça oblige à ajouter des mots ! », explique Hector Poullet.

L’un des regrets du traducteur est de ne pas avoir pu conserver ces « il » et « elle » qui désignent le plus souvent les parents, comme pour mettre de la distance entre la narratrice et eux. Car le créole a le même pronom personnel pour les deux genres.

Il a fallu forger des néologismes pour des termes français sans équivalent. Exemple : C’était l’été est devenu  Sa té sézon-lété.

L’initiative de cette traduction est revenue aux éditions Gallimard, qui avaient déjà cédé les droits d’écrivains phares de leur catalogue.

Après Tiprens-la - Le Petit Prince - d’Antoine de Saint-Exupéry,  Moun-andéwo - L’Étranger -d’Albert Camus, Caraïbéditions a réalisé en 2022 la première traduction mondiale, juste avant l’allemand, de Guerre de Louis-Ferdinand Céline - Ladjè-a - traduit par le Martiniquais Raphaël Confiant.

« Ça m’a fait plaisir que Gallimard propose parce que, d’habitude, c’est l’inverse », commente le directeur général de Caraïbéditions, Florent Charbonnier. « Et Annie Ernaux était d’accord, sachant qu’elle a un droit de regard sur tout ».

« J’ai dit oui tout de suite, sans avoir le traducteur. Mais je savais que je le trouverais », poursuit-il.

L’importance du traducteur

Le choix est crucial. Cet éditeur avait appris de celui d’Astérix, à une époque où il avait fait traduire en créole une aventure du Gaulois, que les lecteurs de langues régionales étaient d’abord attentifs au nom du traducteur.

Il doit faire l’unanimité, et en l’occurrence maîtriser aussi bien le créole de Guadeloupe que de Martinique, l’hybride choisi par Caraïbéditions.

Hector Poullet présentait un autre avantage : il a grandi en métropole à la même époque qu’Annie Ernaux, qui a deux ans de moins que lui.

Les acheteurs de ces traductions des classiques de la littérature française sont traditionnellement des étudiants et professeurs en créole, des créolophones curieux, et des Antillais qui, s’ils ne lisent pas d’habitude dans cette langue, aiment avoir ce type d’ouvrage dans leur bibliothèque.

Les statistiques officielles estimaient en 1999 que les créoles à base française comptaient plus de 10 millions de locuteurs natifs, dont 1,6 millions dans l’Outre-mer français.

Annie Ernaux était déjà publiée en 42 langues au moment de son prix Nobel il y a six mois. Le total devrait monter à une cinquantaine une fois qu’auront abouti tous les projets de traduction en cours.

Connexion utilisateur

Commentaires récents