"Le cahier d'un retour au pays natal" d'Aimé Césaire et de David Valère

Raphaël Confiant

   Faire corps avec un texte, non pas un simple poème mais un long texte poétique tel que "Cahier d'un retour au pays natal" d'Aimé Césaire, non pas seulement le réciter mais l'habiter de façon presque hallucinatoire, tel est l'exploit qu'a réussi (pour la énième fois !) David Valère, comédien suisse d'origine martiniquaise. 

    Cela s'est déroulé l'autre soir, chez l'habitant, dans la commune des Anses d'Arlets devant un public d'une vingtaine de parents et d'amis du comédien ainsi que de son metteur en scène suisse et les siens. Un garage à ciel ouvert grâce auquel nos yeux étaient par moments attirés par la splendeur de la voûte étoilée en cette période de carême a servi de salle de spectacle. Un fût métallique, miraculeusement récupéré chez un marin-pêcheur le matin même, a remplacé le tonneau sur lequel David Valère se huche parfois pour non pas déclamer mais proclamer le magnifique texte césairien. Car, oui, le "Cahier" est bien davantage une proclamation qu'une déclamation. 

     Accompagné de brefs extraits musicaux joyeusement disparates (James Brown, Francky Vincent etc.) qui conviennent bien au côté un peu déjanté du texte mais aussi d'extraits de discours comme le fameux I have a dream de Martin Luther King, notre comédien helvéto-martiniquais ou marticico-helvète comme l'on préfère, s'est livré à un étourdissant one-man-show. J'avais déjà entendu réciter magnifiquement le "Cahier" de la bouche d'un autre comédien antillais Jacques Martial, mais ce dernier s'en était tenu à l'aspect solennel et grave du texte. David Valère, lui, met l'accent sur le côté tragi-comique, burlesque, sans pour autant occulter la gravité césairienne. Spectacle total dans lequel le comédien se huche dangereusement sur un fût branlant, se roule par terre, se dénude le torse, s'envoie une gorgée de rhum, tout en déroulant sans une faille, sans une faute, sans le moindre lapsus la terrible litanie d'Au bout du petit matin.

   On comprend mieux pourquoi David Valère, cogérant d'un théâtre genevois, le Théâtricul, est considéré comme un grand comédien en Suisse, ce dont atteste les articles de presse qui suivent les représentations de ses différents spectacles, notamment le tout dernier Plantamour, dans lequel il évoque sa mère, jeune Martiniquaise partie de son île vers l'Autre Bord, cette Europe inconnue dans laquelle elle finira par se perdre. David Valère la ramène à la lumière dans cette pièce entre tendresse, désarroi, colère et amour sans bornes.

   Le spectacle qu'il a donné l'autre soir devant un modeste parterre, spectacle mêlant extraits du "Cahier d'un retour au pays natal" et "Moi, laminaire" mériterait d'être vu par un plus large public martiniquais...

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