De nombreux antivaccins assurent que les non-vaccinés ne saturent pas les services de réanimation du pays, en s’appuyant sur des données de la Drees mal interprétées.
L’objectif du projet de passe vaccinal actuellement en discussion au Parlement est clair : mettre encore davantage la pression sur les 5,1 millions d’adultes non vaccinés, tant cette catégorie de population est surreprésentée dans les unités de soins critiques des hôpitaux français, qui menacent de déborder.
En réaction aux déclarations du gouvernement, de nombreuses publications sur les réseaux sociaux tentent de relativiser la part des non-vaccinés dans ces services de réanimation. Ces messages s’appuient sur les chiffres de la Drees (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), qui mesure le statut vaccinal des patients admis à l’hôpital, en croisant tous les jours la base de données des vaccinés avec celle des hospitalisés (de manière anonymisée). Des chiffres authentiques, mais souvent mal interprétés par les opposants aux vaccins.
Examinons par exemple les admissions des patients en réanimation pour Covid-19 lors de la semaine du 13 au 19 décembre 2021 : en proportion, les non-vaccinés sont dix-sept fois plus nombreux que les personnes complètement vaccinées.
Ces chiffres confirment un très haut niveau de protection des vaccins (environ 94 %) face aux formes graves de la maladie – ils sont moins efficaces pour prévenir la contamination et la transmission du virus.
Pourtant, la proportion des non-vaccinés semble beaucoup moins écrasante si l’on regarde les chiffres bruts de la Drees sur les entrées à l’hôpital depuis le 31 mai 2021.
Cet écart avec les chiffres précédents s’explique toutefois facilement. En effet, la taille des deux populations n’est pas égale : on compte neuf fois plus de vaccinés que de non-vaccinés chez les 20 ans et plus. Cela explique pourquoi les chiffres sont biaisés lorsqu’on les regarde en valeur absolue, comme le font certaines publications sur les réseaux sociaux.
Ainsi, le groupe des vaccinés est si majoritaire que même une très faible proportion de ses membres qui se trouve à l’hôpital peut égaler la contribution du groupe des non-vaccinés, pourtant très minoritaire, surexposé et surreprésenté.
Dans le cas présent, où le groupe majoritaire est neuf fois plus nombreux que le groupe minoritaire, il suffit que la proportion touchée gravement par la maladie soit ainsi « seulement » neuf fois plus faible que celle des non-vaccinés pour avoir la même contribution. Il s’agit d’un phénomène bien connu des statisticiens : le paradoxe de Simpson.
Vaccinés et non-vaccinés en soins critiques : une vision biaisée entre les effectifs bruts et la perception globale
En regardant les admissions en soins critiques des populations vaccinées et non-vaccinées, les ordres de grandeur des effectifs restent comparables.
Reste une question : Jean Castex a-t-il exagéré en parlant le 27 décembre d’une « immense majorité » de non-vaccinés en réanimation ? Faute de données régulières sur l’état vaccinal des patients actuellement en réanimation à l’échelle nationale, il est impossible de le vérifier avec précision. Toutefois, le chiffre avancé par le premier ministre n’est pas improbable.
Plusieurs enquêtes récentes menées sur des échantillons d’hôpitaux ont abouti à des chiffres situés entre 70 % et 90 % dans les services de réanimation.
Comment, dès lors, expliquer la différence avec les chiffres de la Drees, précédemment cités ? Pour cela, il faut comprendre que la Drees ne regarde que les admissions dans les hôpitaux et les services de réanimation, sans tenir compte des sorties (c’est-à-dire les guérisons ou les décès des patients). Or, les patients complètement vaccinés séjournent moins longtemps à l’hôpital et guérissent souvent plus vite que les patients partiellement ou pas vaccinés. Il est donc logique que, même avec un flux égal de vaccinés et de non-vaccinés qui entrent à l’hôpital, les non-vaccinés finissent par y être plus nombreux à terme.
Ces mêmes chiffres de la Drees sont, en outre, entachés de deux limites, qui tendent à surestimer le poids des vaccinés dans la pression hospitalière.
Tout d’abord, une partie des « patients Covid » entrant à l’hôpital et comptabilisés par la Drees sont en réalité des patients « incidents » : le test Covid réalisé à leur arrivée est positif, mais ils ont été hospitalisés à l’origine pour un autre motif que le Covid-19, et n’ont pas forcément de symptômes graves. Ils peuvent donc être comptabilisés à tort comme des « patients Covid ».
Ce phénomène peut toucher aussi bien les non-vaccinés que les vaccinés, mais comme les seconds sont beaucoup plus nombreux, il contribue davantage à gonfler les chiffres de patients vaccinés.
Et le phénomène n’est pas négligeable : selon une estimation donnée récemment aux Echos par Martin Hirsch, le directeur de l’AP-HP, environ 10 % des patients en réanimation sont des « patients Covid incidents », traités pour autre chose.
Deuxième biais : les faux passes sanitaires, qui contribuent à surestimer la part des vaccinés dans les chiffres de la Drees. De faux passes sanitaires ont été détectés pour près de 5 % des patients Covid mis sous ventilation mécanique examinés par la SFAR, dans une récente enquête flash menée dans 165 services répartis sur toute la France. Ce sont autant de personnes considérées à tort comme vaccinées dans les bases de données officielles.
Enfin, la présence importante dans ces services de personnes immunodéprimées (vaccinées mais très peu protégées en raison de leur déficience immunitaire) participe à donner l’impression que les vaccinés saturent les services de réanimation. A l’AP-HP, ils représentent 40 % des vaccinés admis dans ces services, et même 70 % de ceux qui sont triple vaccinés, « les autres étant principalement des patients avec des comorbidités sévères », explique au Monde Matthieu Schmidt, réanimateur à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris).
Ces observations confirment le haut niveau de protection des vaccins pour limiter les effets du Covid-19 sur le système hospitalier français. Bien sûr, la protection vaccinale n’est pas parfaite : même une population vaccinée à 100 % ne suffirait pas seule à mettre fin à l’épidémie. Toutefois, une excellente couverture vaccinale diminuerait la tension sur les soignants et éviterait de multiplier les mesures privatives des libertés individuelles et collectives.
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