Rien de nouveau pour un locuteur du créole guadeloupéen. Du moins ceux qui évitent la facilité du mot enpasib lequel n'a absolument rien de bizarre puisque tout mot français peut être intégré au créole. Si possible en le créolisant, ce qui est le cas d'enpasib qui résulte d'une apocope (suppression de la terminaison du mot français impassible).
Comme nous l'avons déjà indiqué dans nos précédentes chroniques, tout locuteur du créole dispose d'un double lexique : celui qui provient de la créolisation des mots français ; l'autre de mots "purement" créoles. Il a, par exemple, tòti (tortue) à sa disposition mais aussi mòlòkoy et dans le cas qui nous occupe dans le présent article, enpasib (impassible) et nofwap. Evidemment, étant donné la francisation massive de nos société, tòti et enpasib ont tendance à prendre le pas, dans les nouvelles générations, sur mòlòkoy et nofwap. On assiste donc à un appauvrissement du réservoir lexical des locuteurs et non à "la pauvreté lexicale du créole" comme le ressassent les personnes hostiles au créole. Cet appauvrissement résulte de l'effacement progressif des termes créoles natifs-natals au profit de leurs équivalents qui proviennent du français. Au lieu d'avoir donc un double réservoir lexical (tòti/mòlòkoy ; jandam/manblo etc...) !
Il est assez hallucinant de constater que presque personne ne se soit jamais extasié sur le fait que nous détenons un double lexique. Voire un triple lexique puisque nous sommes également francophones : tortue-tòti-mòlòkoy. Ou encore gendarme-jandam-manblo. C'est que la détestation du créole ou créolophobie est telle qu'elle nous a rendus aveugles ou plus exactement sourds.
S'agissant du mot examiné dans la présente chronique, nofwap, il fait, en effet, partie du lexique du créole guadeloupéen et est inconnu de la majorité des locuteurs du créole martiniquais. C'est ici qu'il faut faire intervenir la notion de pan-créole qui désigne la tentative de dépassement des frontières dialectales entre les différents créoles. "Dialecte" est entendu ici au sens de la linguistique et signifie "variété d'une langue" et n'a donc absolument rien à voir avec la signification qu'à ce mot dans le grand public à savoir "sous-langue". Le pan-créole est le désir ou la volonté de créer d'abord une langue écrite créole qui soit utilisée dans tous les pays créolophones avec, dans un second temps, l'espoir qu'à long terme, il finira par influer sur les créoles oraux desdits pays. Cela n'a rien de chimérique ni d'extraordinaire : le même phénomène s'est déroulé dans la Grèce Antique, plus tard dans le Monde Arabe et plus près de nous en chinois. Sans oublier bien sûr l'italien ! Les différents dialectes parlés dans ces pays se sont progressivement enrichis lexicalement et même syntaxiquement jusqu'à forger une langue écrite qui sera aussi utilisée dans les situations de communication formelle (cours à l'école et à l'université, religions, discours politiques, radio et télévision etc.).
Le créole martiniquais ne disposant que du mot acrolectal (/inspiré de la langue dominante qu'est le français) à savoir enpasib, rien ne s'oppose à ce qu'il adopte le mot guadeloupéen nofwap, lui basilectal (/natif-natal). Adoption dans un premier temps à l'écrit avec l'espoir qu'à long terme il finisse par s'implanter dans le dialecte martiniquais. Certes, d'aucuns feront remarquer que grâce aux chansons, des mots guadeloupéens, saint-luciens, haïtiens et autres se sont intégrés au créole martiniquais et que par conséquent on n'a nul besoin pour cela de l'écrit et des linguistes-créolistes. Sauf que verba volent, scripta manent comme disaient les Latins autrement dit "les paroles s'envolent, l'écrit demeure". Ces emprunts spontanés à d'autres dialectes n'ont jamais une durée de vie très longue. Deux exemples :
. dans les années 80-90, le mot saint-lucien kouchal a connu un grand succès en Martinique. Ce mot est une créolisation du mot anglais crucial (prononcé, en anglais, crouchol) et signifie "détestable", "critique", "épouvantable" etc... Or, au tournant du Nouveau Millénaire, il a complètement disparu.
. à peu près à la même époque, le créole martiniquais avait adopté le mot haïtien kolokent qui signifie "femme de mauvaise vie" grâce à au tube d'un célèbre groupe musical de la patrie de Toussaint-Louverture. Aujourd'hui, il est inconnu des nouvelles générations.
Ces exemples, pris parmi beaucoup d'autres, démontrent sans discussion possible que la pérennisation d'un emprunt lexical est liée à son utilisation à l'écrit. Verba volent...
Pour en venir maintenant à nofwap, on peut légitimement s'interroger sur son origine. D'où provient-il ? Est-ce un mot africain (fon, éwé, wolof, bambara etc.) ou alors un mot du français d'oïl (normand, vendéen, poitevin etc.) ? Ou encore du tamoul des Indiens ? De nos jours, tous les dictionnaires de ces langues sont sur Internet et il est facile de les consulter. Y compris la langue des premiers habitants de nos îles, les Kalinagos ou Caraïbes grâce au précieux Dictionnaire caraïbe-français du Père Breton rédigé en 1665.
Or, nofwap n'y figure nulle part et on n'y trouve non plus aucun mot qui pourrait se rapprocher de lui. On est donc bien obligé de penser qu'il s'agit d'une pure création du créole. Nous avons, d'ailleurs, beaucoup trop tendance à penser que ce dernier n'a fait qu'emprunter aux autres langues, notamment au français ! Le créole a aussi créé ses propres mots et expressions idiomatiques. En examinant donc nofwap on est tenté de couper ce mot en deux : no et fwap. On me "frappe" mais je n'ai aucune (no) réaction. Je demeure impassible. On me frappe verbalement (insulte) et je reste de marbre. Tout cela n'est qu'une hypothèse, l'étymologie étant la partie la moins assurée de la linguistique. Par exemple, est-ce qu'agoulou (vorace) provient du lingala ngulu qui signifie "cochon" ou du français goulu ?
Difficile de se prononcer...
ce sera très drôle! Lire la suite
...vous vous bouchez les yeux quand il s'agit d'identifier les VRAIS responsables de la situation Lire la suite
Les propos de Crusol sont gravissimes .C'est néanmoins une analyse originale qui mérite qu'on s'y Lire la suite
Rien de plus facile que de modifier la constitution. Lire la suite
En droit français actuel PERSONNE ,même pas Macron ne peut "octroyer" l'indépendance à un territo Lire la suite
Commentaires
Clin d'oeil a l'actualité?
Popotte
26/09/2024 - 15:26
Peut-être. De toute manière, très facile à retenir.