En créole, "pourrir la vie" se dit "terbolizé"

   Il n'y a pas que le lexique du français "normal" qui soit en train de "grand-remplacer" celui du créole. L'argot français aussi ! 

   Ainsi, l'expression argotique "prendre son pied" a... shoooté__c'est bien le cas de le dire !__ depuis longtemps l'expression créole viv kò'w. Aujourd'hui, personne ne sursaute en entendant une phrase comme : 

   "Man wè zot té ka pran pié-zot adan mayé Jilbè a" au lieu de "Man wè zot té ka viv kò-zot adan mayé Jilbè a" : j'ai remarqué que vous vous êtes bien amusés au mariage de Gilbert. 

  Du reste viv kò'w a/avait un synonyme : bwè dlo'w ou bwè ti dlo'w. Expression curieuse et difficile à élucider, sauf à considérer que dlo est un euphémisme pour...wonm. Toutefois cette obscurité sémantique n'a rien d'exceptionnel car dans toutes les langues du monde, il existe des dizaines d'expressions que les locuteurs emploient tout naturellement sans en savoir ou comprendre l'origine. Comme en français : faire long feu, prendre la poudre d'escampette ou donner sa langue au chat. 

   Pour en venir à notre expression figurant dans le titre du présent article à savoir "pourrir la vie de quelqu'un", aucun locuteur d'aujourd'hui ne hausse les sourcils en entendant une phrase comme : 

   "Sa ka fè lanné épi lanné Joj ka pouri lavi matant-li" = (Georges pourrit la vie de sa tante depuis fort longtemps) alors que le créole n'a nul besoin de cette expression, non pas argotique cette fois mais familière, du français. 

   Or, là encore, le créole dispose de sa propre expression : terbolizé an moun. Parfois prononcée tenmbolizé. La phrase en question aurait donc dû être :  

    "Sa ka fè lanné épi lanné Joj ka terbolizé lavi matant-li".

   Concertant l'origine de ce mot, il provient du normand, de la langue normande, qui avec d'autres dialectes d'oïl (poitevin, vendéen etc.), avec la langue kalinago et avec les langues africaines (fon, éwé etc.), a contribué à la formation de la langue créole au 17è siècle. En normand, langue quasi-disparue aujourd'hui sous les coups de boutoir du jacobinisme, on trouve en effet avec le sens d'embêter sans cesse quelqu'un, de lui pourrir la vie donc, le mot : interboliser. 

   Le créole, à l'époque (et contrairement à aujourd'hui !), n'empuntant jamais de mots tels quels, à l'identique, l'a transformé en : terbolizé ou tenmbolizé

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