Les départements d’outre-Mer au tri de l’histoire martiniquaise

Lorsque le mot " autonomie " est prononcé par un ministre, le ban et l’arrière-ban des autonomistes se tortillent le d… en se plaignant que décidément léta fransé ne comprend rien aux aspirations des deux départements de Guadeloupe et de Martinique. « Nous voulons, disent-ils, plus de "continuité territoriale " et être aussi bien traités – les spécificités en plus - que les départements de Métropole, pardons, de …l’Hexagone ! » En effet, première spécificité, la Martinique est la seule « colonie » au monde qui n’ait pas de métropole, elle a juste une " hexagone ". Et pourtant en cette date anniversaire de la création des départements d’Outre-Mer, tout le monde se tait : les historiens, la presse, les politiques, la gauche, la droite, les collectivités. Le département et tout ce qu’il a apporté aux Martiniquais peuvent être effacés de l’histoire.

Ne nous trompons pas. On ne peut que saluer l’apport des recherches effectuées sur l’esclavage transatlantique qui est essentiel à la connaissance de l’histoire de la Martinique et à la formation de l’identité des Martiniquais. Cependant, il est dommage qu’il soit réalisé un triage historique et qu’un pont ait été méticuleusement érigé par les nationalistes martiniquais et les historiens qui leur sont soumis. Le tri écarte tout ce qui pourrait être positif et postérieur à l’abolition de l’esclavage, au moins jusqu’à la fin des années cinquante où ce fut l’heure de la réinvention de la date du 22 mai 1848 et l’avènement des incidents de décembre 1959, promptement instrumentalisés en émeute politique. Seuls quelques points de cette période sont maintenus, qui permettent de mettre en exergue des révoltes ouvrières ou des évènements sociaux, comme ceux de 1970, début 1900 au François, 1948 au Carbet, bref, tout ce qui peut être regardé comme des marques de vaillance ou de révolte des Martiniquais contre le colonisateur français.

Ainsi donc, rien ne doit être rapporté par l’histoire martiniquaise qui soit susceptible de rappeler un progrès obtenu sous régime colonial. Qui connaît l’œuvre scolaire de Marius Hurard ? Qui sait qu’avant le parti communiste et Césaire, Hurard portait un projet d’autonomie ? Pourquoi diantre honorer Victor Schoelcher ? Combien a-t-il fallu d’années d’attente pour honorer les hommes partis en dissidence ? « Ils étaient partis pour défendre la liberté, pas la France », allait déclarer avec autorité un intellectuel, lui-même fils d’officier supérieur de l’armée française en Afrique. Il aura fallu l’audace d’une cinéaste talentueuse non sortie du sérail pour exhumer cet épisode historique où s’étaient pourtant illustrés Fanon et Manville, notamment. Seule l’opiniâtreté d’une historienne - une autre femme courageuse ! – a rappelé qu’il y avait eu deux guerres mondiales, et que des Martiniquais, souvent volontaires, ont mérité d’en être distingués. Mal lui en prit, aux yeux de la nomenclature nationaliste.

En effet, pour être bref, quelle pire sanction pour l’historienne iconoclaste, quelle pire punition pour nos grands-parents et leur adhésion à la mère-patrie que la profanation des monuments aux morts qui, au passage, rappellent que des Martiniquais ont longtemps souhaité devenir des citoyens français de plein exercice. Bien avant la fin de l’esclavage, en effet. Par ailleurs, quelle meilleure « officialisation » de ces équipées que le silence tonitruant des politiciens, historiens, associations d’historiens et autres clercs. Lesquels ne font pas mystère de leur réserve à l’égard de cette historienne assimilationniste qui est superbement snobé par la profession.

Comme toutes les actions qui ont reçu l’adhésion ou le concours des Martiniquais, l’histoire bâtie suivant le cahier des charges des nationalistes a réussi à maintenir sous le pont de l’oubli l’acte de départementalisation du 19 mars 1946. Cette date qui avait été estimée par Paul Vergès comme plus valorisante que celle de 1848 pour les vieilles colonies, mériterait d’être distinguée pour son caractère historique incontestable. Selon lui, celle-ci émanait de la volonté des peuples expressément manifestée par ses élus à l’Assemblée nationale alors que l’autre était octroyée par décret. Mais dans le domaine historique, impossible n’est pas martiniquais. S’il faut taire l’histoire, effacer ses traces et ses symboles, on sait faire. Exit donc département, Outre-Mer, Métropole et tout ce qui s’ensuit.

Mais, mais, mais … ! Octroi de mer, pas touche. Et continuité territoriale oblige, pa oublié ti konmisyon a !

Fort-de-France, le 20 mars 2022

Yves-Léopold Monthieux

Commentaires

Peut-on encore parler d'historiens ?

Oui

07/05/2022 - 14:56

A chaque instant, il se passe des milliards d'événements. Les rapporter tous est impossible, et ne présenterait aucun intérêt. L'historien opère un tri. Il rapporte certains événements, en écarte une flopée d'autres. Tout choix implique un parti-pris. L'histoire "objective" n'existe pas, même de la part des historiens qui s'efforcent d'exposer différents points de vue. Les ouvrages d'histoire mettent le passé en perspective pour influer sur le présent. C'est la loi du genre.
Soyons clairs : il est légitime de réécrire l'histoire, en sélectionnant des événements écartés auparavant qu'on juge plus pertinents que ceux qui avaient été retenus jusqu'alors.
Là où ça devient critiquable, c'est quand l'historien falsifie les faits qu'il rapporte pour mieux influer sur le présent. On connaît ces photos de groupes soviétiques sur lesquelles des personnages étaient effacés au gré de leur disgrâce. On fabriquait ainsi de fausses photos "historiques", qu'on présentait pour vraies.
Quand des historiens s'adonnent à de telles manipulations, peut-on encore parler d'historiens ?

Historiens

Rose

08/05/2022 - 12:25

Il ne faut pas oublier que pendant longtemps ,seuls les historiens assimilationnistes pouvaient s'exprimer.

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