GUERRE EN UKRAINE : LE GAZ MARTINIQUAIS, ALTERNATIVE AU GAZ RUSSE ?

Louis Boutrin ("La Tribune des Antilles")

Martinique – Permis de Caravelle - 30 milliards de m3 de réserve de gaz. C’est l’estimation faite par la Société américaine, RSM Production Corporation (filiale de Grynberg Petroleum) qui avait reçu du Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie un permis exclusif de recherches d’hydrocarbures au large de la Caravelle, le 5 août 2004. Malgré la taille significative de ce gisement, le projet est resté dans les cartons faute d’investissements suffisants pour finaliser l’exploration et surtout à cause de l’abondance du gaz disponible sur le marché mondial. Aujourd’hui la donne a changé. Avec la guerre en Ukraine et l’arrêt total des livraisons de gaz à la France par la Russie via le gazoduc de Nord Stream 1, ce projet de gaz martiniquais pourrait être relancé. Une opportunité pour la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM) qui, depuis la publication du décret n°2018-62 du 2 février 2018, détient la compétence pour délivrer des titres miniers en mer concernant l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures liquides et gazeux et des sites géothermiques.

31 août 2022. La Russie vient de suspendre ses livraisons de gaz naturel à la France via le gazoduc Nord Stream 1. Pour compenser, à l’instar de ses voisins européens, la France est obligée de se tourner vers d’autres producteurs de gaz à la veille d’un hiver plus qu’incertain.

Soixante ans après la signature des Accords d’Évian marquant la fin de la guerre d’Algérie (400.000 morts), la récente visite officielle du Président E. Macron visait également, au-delà des questions mémorielles, à sécuriser l’accès au gaz pour les foyers français. Ainsi, la France a su négocier favorablement l’augmentation de ses importations de gaz Algérien qui devrait passer de 8% à 50 % d’ici 2024.

Néanmoins, au-delà de la diversification des sources d’approvisionnement à partir de la Norvège, de l’Azerbaïdjan ou de l’Algérie, le problème de l’insuffisance des sources d’approvisionnement disponibles au niveau mondial demeure.

La guerre en Ukraine nous révèle aussi le double langage des États Nations. Malgré des sanctions contre la Russie et les oligarques, la France a maintenu son approvisionnement en gaz russe. Quant à la fracturation hydraulique pour exploiter du gaz de schiste, elle est interdite en France depuis la loi Jacob du 13 juillet 2011 et le Conseil constitutionnel vient de confirmer cette interdiction en rejetant la requête d’une société du Texas. Pourtant, dans l’indifférence générale, la France s’apprête à importer du gaz de schiste américain transporté à l’état liquide par navire et ce, à un prix trois fois plus élevé que le gaz naturel.

LA DÉLIVRANCE DES PERMIS MINIERS : UNE COMPÉTENTE DE LA CTM

En France, seul l’État est habilité à délivrer des droits permettant d’explorer puis d’exploiter les ressources naturelles du sous-sol quand elles sont classées dans la catégorie des mines. La réglementation applicable à la recherche et à l’exploitation des hydrocarbures, à terre et en mer, relève donc du Code minier que ce soit pour la délivrance de permis exclusifs de recherches que pour la concession d’exploitation (décret n°2006-648 du 2 juin 2006).

Depuis la promulgation du décret du 2 février 2018 (en application de l’article 48 de la loi n°2000-1207 du 13 décembre 2000 d’Orientation pour l’Outre-Mer), c’est désormais la CTM qui est compétente pour délivrer les permis exclusifs de recherche et de concessions de substances minérales ou fossiles ainsi que les permis d’exploitation d’hydrocarbures liquides ou gazeux tant sur le domaine public maritime (12 milles marins) que sur la Zone économique exclusive, ZEE, (200 milles) et le plateau continental (350 milles).

En 2001, la société américaine RSM Production Corporation avait effectué auprès de l’État français une demande de permis exclusif qui couvre une superficie de 24 000 km2 dans la ZEE de la Martinique. Selon leurs estimations, une première campagne sismique du sous-sol marin avait révélé un gisement de gaz naturel évalué à 30 milliards de m3.

Certes, l’exploitation des hydrocarbures n’est plus d’actualité en France depuis la loi n°2017-1839 du 30 décembre 2017 mais, compte tenu du contexte international lourd de menaces et d’incertitudes, de la pénurie de gaz naturel disponible sur le marché mondial et du recours à l’exploitation honteuse du gaz de schiste américain, l’idée de l’exploitation du gaz martiniquais refait surface et pourrait trouver toute sa pertinence pour la Martinique.

Au moment où l’Octroi de mer (taxe douanière sur les produits importés ou non dans les RUP) est à nouveau attaqué de partout, la Martinique détient à travers ce gaz martiniquais un triple instrument fiscal (redevance tréfoncière, redevance des mines, redevance territoriale) qui devrait contribuer à aider financièrement les Communes, à renforcer l’économie du pays et à développer des emplois durables.

Reste à savoir si élus de l’Assemblée et exécutif de la CTM auront suffisamment d’audace pour inscrire rapidement cette opportunité gazière dans leur calendrier de travail ?

Martinique, le 31 août 2022

Louis Boutrin
Conseiller exécutif (2016-2021) en charge de l’Énergie
Président de MARTINIQUE-ÉCOLOGIE

Commentaires

DU GRAND N'IMPORTE QUOI !

Albè

02/09/2022 - 18:54

Est-ce que c'est bien le leader d'un parti écologiste qui a écrit ça ???! J'ai dû me frotter les yeux et relire cet article qui repose sur une idéologie "extractiviste" qui est à l'opposé des théories écologistes. C'est du grand n'importe quoi ! Pire : la petitesse de la Martinique ferait qu'elle serait très vite polluée si jamais cette compagnie américaine était autorisée à pomper le gaz naturel de la Caravelle. L'exploitation de ce genre de ressources devrait être réservée aux pays suffisamment vastes pour en contrôler les effets négatifs et les petits pays devraient plutôt se concentrer sur les services, l'informatique, l'intelligence artificielle. Laissons en paix les 30 milliards de gaz qui se trouvent au large de cette zone protégée !

Albè...

Frédéric C.

02/09/2022 - 20:24

Vous êtes sérieux, la? Oui, il y a des risques de pollution, mais cela c'est partout, y compris au Venezuela tout proche. En outre, il y a "extraction" et "extraction". Si ça doit se faire sur un mode ultra-extractiviste, évidemment c'est NON, et je suppose que pour Boutrin c'est évident. Mais cela, c'est la convention entre la CTM et l'entreprise qui le fixerait, avec tout un staff d'experts côté CTM... L'auteur de l'article s'appuie sur un certain nombre de textes. Ne croyez-vous pas qu'il faudrait réfléchir plus longuement, très longuement aux idées "hors des sentiers battus", même si des "dogmes" doivent être écornés? Si les conventions entre la CTM et telle entreprise US est bien encadrée, notamment au niveau sécurité humaine et écologique, avec recours à des experts "costauds" côté CTM, pour faire face à l'arrogance prévisible des yankees, pourquoi ne pas tenter? Quitte à prévoir une "clause de revoyure après un an ou deux ?... Et puis...pourquoi des pays de petite taille comme le nôtre devraient ils se CANTONNER à l'informatique et l'IA? Le contexte général, ne l'occultons pas: 1)si la France manque d'énergie importée et réinvestit à fond dans le nucléaire, ce sera à la fois dangereux et anti-écologique. 2)Si je vous suis bien, en se cantonnant à l'informatique et à l'IA, on laisse tomber le projet d'arriver un jour à un minimum d'auto-suffisance alimentaire ? Vous ne croyez pas que "des lendemains qui mangent", c'est au moins aussi important que "des lendemains qui chantent" l'avenir des seuls écosystèmes ou du socialisme "qui ouvrira à l'humanité un avenir radieux"?... Pour ma part, je vais lire et relire et re-relire cet article, pour éviter d'avoir une perception erronée.

Quelques petites choses encore

Frédéric C.

03/09/2022 - 13:06

Si ça se fait vraiment on aura selon moi au moins QUATRE obstacles à surmonter (en sus de l'évoqué dans tels commentaires. 1)Le contrat entre la CTM et l'entreprise US devra prévoir que celle-ci ne rapatriera qu'une partie minime des profits tirés (cf ce qu'Allende avait essayé de faire au Chili pour le cuivre + "théorie des bénéfices excessifs). Donc il faudrait un bon staff d'experts côté CTM, y compris "métros" si ce sont des anticolonialistes avérés et des écologistes conscients des risques de pollution (je n'ai plus confiance en Nadeau et Cie). 2)Risque de récupération des dirigeants de la CTM par la corruption, celle-ci semblant endémique, et les USA étant habitués à mettre le paquet dans ce domaine. Letchimy et le P"P"M ont fermé les yeux sur leurs copains du Ceregmia: pourquoi ? Rien que cela, ça ne m'inspire pas tellement confiance en Letchimy, qui par ailleurs n'est même pas un vrai nationaliste ni patriote (cf le Non à l'art.74 le 10/01/2010)... 3)Si "ça" marche, nous devrons absolument éviter de tomber dans la dépendance vis-à-vis du pétrole. Le Venezuela a souffert de ce piège quand les cours ont chuté. La plupart des pays du Sud dépendent de produits "primaires", coloniaux, de matières premières exploitées par des entreprises du Nord, ce qui empêche bp de ces pays de se développer vraiment, de façon "auto-centrée" (auto-suffisance alimentaire négligée au profit de soi-disant rentes). La Martinique doit essayer de s'extraire de la division internationale du travail. Sinon, le pétrole remplacerait la banane (non chlordéconée) et le rhum. Serait juste déplacé un créneau de l'économie coloniale. Le changement dans la continuité. 4) L'OPACITÉ des opérations, que pratique une bonne partie de la "classe" politique ! Il faudra exiger la plus grande transparence, avec en amont sur le projet lui-même, un vaste débat démocratique dans la population qui doit se réapproprier la chose publique, et exiger des comptes à chaque "étape" importante. Bon, c'est sur que vu la situation actuelle et le brouillage pratiqué avec "succès" par le P"P"M et Letchimy sur les questions décoloniales, ce n'est pas gagné d'avance. Mais pour réhabiliter la politique, ne pouvons nous pas nous lancer des défis, et "exiger l'impossible"? Et donc secouer un peu, hors élections, les politiciens en place qui se satisfont du statu quo ?

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