En 1963, le gouvernement du Général de Gaulle créait le « Bumidom », pour Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’Outre-mer. Pendant vingt ans, l’organisme a organisé le départ vers l’Hexagone de milliers de travailleurs antillais et réunionnais. Aujourd’hui, les témoins de cette histoire méconnue racontent. Et de l’Assemblée nationale au Musée de l’histoire de l’immigration, la parole des Bumidomiens commence à se faire entendre.
« B.U.M.I.D.OM. Que vous évoquent ces sept lettres ? » Lorsque Guilaine Mondor, présidente de l’association Sonjé (se souvenir, en créole) a posé la question sur les réseaux sociaux, elle ne se doutait pas que des témoignages aussi poignants lui répondraient.
Dans les commentaires, les mots ont été déposés comme des poids dont on se déleste en route. Pêle-mêle, sont apparus les termes « exil, voyage, émigration, souffrance, travail, arnaque, aliénation, espoir, humiliation, déracinement, mensonge… »
Ce puzzle des mémoires, Guilaine avait souhaité le reconstituer pour nourrir une journée de débats sur le Bumidom organisée, en mars dernier, à l’occasion de la Quinzaine antiraciste et solidaire à Saint-Denis, en région parisienne. « Le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’Outre-mer, appelé le Bumidom, a été créé il y a tout juste soixante ans, en juin 1963. Comme notre association a pour but de faire vivre la mémoire de nos aïeux esclaves mais aussi la culture ultramarine, il est essentiel de nous pencher sur cette page de l’histoire, encore méconnue et douloureuse de milliers d’Antillais et de Réunionnais venus travailler dans l’Hexagone. »
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Retour en cette année 1963. La France est présidée par Charles de Gaulle. C’est l’époque des Trente glorieuses. Le pays est en plein boom économique, l’emploi florissant, la consommation en ébullition. Vite, les entreprises manquent d’ouvriers et les administrations d’agents de service public.
Le bâtiment, la construction automobile, les hôpitaux, les collectivités, la RATP, la Poste peinent à recruter. Alors où trouver toute cette main-d’œuvre ? La France accueille à bras ouverts des travailleurs étrangers venus du Portugal, d’Espagne, d’Italie.
Cette migration économique s’organise aussi sur le territoire national. Depuis les différentes régions de France, on n’hésite pas à « monter à Paris » ou à s’installer dans les grandes villes pour trouver du boulot. « Mais l’embellie économique, les territoires qu’on englobait sous le terme de DOM-TOM n’en voyaient, eux, pas du tout les bénéfices, raconte Guilaine Mondor. En Guadeloupe, à la Martinique, à la Réunion, c’était encore la grande pauvreté, avec un taux de chômage important. »
Un homme politique va alors avoir l’idée de proposer aux habitants peu qualifiés des anciennes colonies de traverser les océans pour travailler dans cette métropole prometteuse. Cet homme, c’est Michel Debré, l’ex-Premier ministre du général devenu député de la Réunion en mai 1963. Pour organiser le déplacement des futurs employés, il crée de toutes pièces le Bumidom. Un organisme public directement rattaché aux ministères des DOM-TOM et de l’Économie. La structure officiera de 1963 à 1981 et fera partir près de 160 000 travailleurs. Soit autant que ceux partis spontanément, notamment pour leurs études supérieures, sans l’intermédiaire du bureau. De quoi vider les territoires de leurs forces vives.
Derrière le projet de solidarité nationale, « il y avait aussi des raisons plus officieuses, poursuit la présidente de Sonjé. À l’époque, beaucoup de politiques estimaient à Paris que la démographie aux Antilles et à la Réunion était trop forte. Ils redoutaient qu’autant de misère soit une bombe à retardement. Les mouvements sociaux étaient courants et les indépendantistes très mobilisés. En faisant venir de jeunes ultramarins en métropole, c’était l’occasion de casser toute contestation. »
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Et d’éviter un bain de sang comme cela avait été le cas dans une autre colonie, l’Algérie, devenue indépendante une année plus tôt, en 1962. « Mais même sans la tragédie de la guerre, il y a des choix politiques qui peuvent marquer et blesser des générations entières », renchérit Véronique Larose qui a tenu à témoigner lors du débat organisé par Sonjé puis dans le documentaire réalisé par Guilaine Mondor.
Le Bumidom, c’est l’histoire de sa mère, Thérèse-Francine Hoarau. Un récit pour lequel elle s’est passionnée et a reconstitué au fil des discussions avec une maman restée longtemps silencieuse sur le sujet. « Fille d’une famille nombreuse et modeste de la Réunion, ma mère a dû travailler jeune, elle ne pouvait pas être une bouche de plus à nourrir chez elle. Mais il n’y avait rien sur l’île. Quand elle a entendu parler du Bumidom, elle s’est dit qu’avec sa formation en sanitaire et social, elle aurait sûrement plus de chance en France. »
La jeune fille a signé pour un billet « sans retour » et a embarqué dans un vol pour Paris, le 7 septembre 1978. « Elle avait 21 ans, ne connaissait personne. Cet arrachement à sa terre, à sa famille reste un souvenir très douloureux pour elle. » Parce qu’une fois arrivée dans « cette France tellement rêvée où tout semblait si facile et beau », ajoute Guilaine Mondor, beaucoup de « Bumidomiens » déchantent.
La météo est si piquante qu’il faut dénicher à la va-vite des vêtements chauds. La promesse d’un logement décent, d’un travail agréable et bien payé ou encore de formations qualifiantes se transforme en galères. « Ma mère a tout de suite été envoyée à Dieppe dans un centre, en internat, comme beaucoup de filles venues de Guadeloupe, de Martinique parfois de Guyane. Là-bas, on leur a appris à devenir femmes de chambre et domestiques ! »
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À l’époque, téléphoner à des milliers de kilomètres pour entendre les siens coûte une paye. Alors il faut attendre que les nouvelles et les petits colis avec les produits de là-bas arrivent par la poste, souvent un mois après avoir été envoyés. Quand on parle de sa vie en France, « on évite de raconter le racisme, les petites humiliations pour pas inquiéter et casser le mythe. Elles ont dû énormément prendre sur elles pour affronter tout ça ».
Sans compter la peur de ne pouvoir enterrer un proche « au péyi » car acheter un billet d’avion pour assister à des obsèques est inimaginable.
Et quand on rentre enfin pour des vacances, grâce aux congés bonifiés, « c’était compliqué parce que les Bumidomiens finissaient par se sentir ni d’ici, ni d’ailleurs, écartelés entre deux cultures, deux modes de vie, ajoute Albert Séverin, trésorier de l’association Sonjé. C’est de là que certains se sont qualifiés de négropolitains. » Heureusement, à Paris et dans les grandes villes, les associations, amicales et foyers de Domiens (pour habitants des Dom, départements d’outre-mer) pansent le manque de l’île en organisant fêtes, compétitions sportives, ou concerts…
Dans l’entourage de Thérèse-Francine, des pensionnaires de l’internat traversent des épisodes dépressifs. Quelques-unes se suicident. Ou choisissent la prostitution plutôt que de servir dans de riches familles qui venaient parfois les sélectionner directement dans le centre. « Vous imaginez la violence de la scène ?, remarque Guilaine Mondor. On venait faire son marché pour choisir son petit personnel. L’histoire de l’esclavage dans ces territoires reste un traumatisme… Bien sûr, les Bumidomiens n’ont pas été des esclaves et ce système a quand même offert des opportunités professionnelles. Mais le fait que la plupart n’aient eu que très peu de boulots valorisants, et dont les métropolitains ne voulaient pas beaucoup, a forcément ravivé un passé douloureux. »
Marie-Thérèse, la mère de Véronique, finira par quitter Dieppe pour rejoindre un hôpital parisien en tant qu’aide-soignante dans une unité de soins psychiatriques. « Un travail dur mais elle est y restée toute sa carrière. » Pour sa retraite et fin de vie, elle a choisi de rester dans l’hexagone. « Là-bas, elle ne connaît plus grand monde et puis elle veut rester près de nous, ses deux enfants. » Et continuer à témoigner.
Car comme elle, la plupart des Bumidomiens sont aujourd’hui à la retraite et « il est essentiel de leur permettre de raconter cette migration à leurs enfants et petits-enfants », insiste Jessica Oublié, autrice de la BD « Péyi an nou », un récit autobiographique documenté et bouleversant sur le Bumidom.
La collecte de cette mémoire semble convaincre de plus en plus d’institutions. En effet, quelques planches de sa BD illustrent aujourd’hui l’histoire du Bumidom au Musée de l’histoire de l’immigration à Paris, récemment rouvert. Une évocation jointe à celle d’une autre histoire de déracinement, celle des enfants de la Creuse, ces petits réunionnais envoyés de force dans l’Hexagone pour servir de main-d’œuvre dans les campagnes.
Quelques planches de la BD «Péyi an nou» illustrent aujourd’hui l’histoire du Bumidom au Musée de l’histoire de l’immigration à Paris. | OUEST-FRANCE, VALÉRIE PARLAN
En Guadeloupe, Jessica Oublié a également participé, ces dernières semaines, avec des étudiants de l’université à un recueil de témoignages sur le Bumidom en partenariat avec le service des archives départementales.
Pour Guilaine Mondor, l’organisation, en novembre prochain, d’un colloque à l’Assemblée nationale sur le sujet à l’initiative du député de Guadeloupe, Olivier Serva, « marque enfin des signes de reconnaissance par la France de cet épisode qui explique tellement de réalités sociales et culturelles de nos territoires ultramarins ».
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...oui j'oubliais une chose, importante par les temps qui courent. Lire la suite
... Lire la suite
Albè, quelqu'un a-t-il jamais nié l'existence d'un racisme anti-noir dans le monde arabe ? Lire la suite
Merci Frédéric...
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