Jean Antoine Amé-Noël, « libre de couleur » né en 1769, est un propriétaire dont l’ampleur de la fortune relève de l’exception pour un homme de sa condition si bien qu’à l’époque, elle est attribuée par la rumeur à la récupération d’or caché dans les flancs de bateaux échoués à l’Anse-à-la Barque. Il est vrai que J-A Amé-Noël, jeune entrepreneur de pêche à la seine, acquiert, en 1787, une habitation caféière à Village-Bouillante alors qu’il n’a que 18 ans.
A 19 ans, sous le régime de la communauté, il épouse Jeannette Marie, issue du même milieu social que lui (ils n’auront pas d’enfants). Il s’attache à agrandir petit à petit son domaine terrien, notamment en hypothéquant ses biens pour en acquérir de plus importants, à savoir, en 1793, une habitation à Poirier-Bouillante provenant de l’héritage de Joseph Lesueur. La période révolutionnaire ne contrarie en rien ses projets, il travaille d’arrache-pied à s’enrichir, notamment en gérant une autre habitation que la sienne, celle de la Veuve Marsolle. Alors que Pélage a pris le pouvoir avec l’armée coloniale en Guadeloupe, J-A Amé-Noël n’en finit pas d’investir et spéculer. Et en mars 1802, il achète à Village-Bouillante, une nouvelle caféière, l’habitation La Duché. On sait ce qu’il adviendra d’autres libres de couleur (Ignace, Delgrès…) deux mois plus tard.
C’est avec l’achat, en 1830, d’une habitation sucrière, que J-A Amé-Noël fait une entrée exceptionnelle, compte tenu de son origine, dans le monde de l’aristocratie terrienne. En plus de la terre et des bâtiments, il acquiert comme l’indique l’acte officiel de la vente, des bœufs, dont certains « exigeant beaucoup de soins », des vaches et des mulets dont il est précisé qu’ils sont « en bon état » et 36 « esclaves », aucune précision ne concernant ces derniers. Mais quelle est cette habitation sucrière dont Amé-Noël devient le propriétaire ? Il s’agit de l’habitation Bologne, aujourd’hui célèbre distillerie basse-terrienne.
En 1833, Amé-Noël perd son épouse. Il devient l’usufruitier des biens de sa femme. La fortune du couple est considérable. Parmi leurs biens, on compte 257 esclaves. Amé-Noël se met en ménage avec Delphine Rachel, une mulâtresse à la peau sombre, de 24 ans plus jeune que lui, à la réputation de « quimboiseuse ». Elle refuse longtemps d’épouser son concubin et quand elle accepte, le mariage s’effectue avec contrat de séparation de biens. L’inventaire de ceux de l’épouse nous permet de savoir que cette affranchie possède sur une habitation caféière située à Village et appelée Bergonz, 25 esclaves.
En 1842, J-A Amé-Noël diminué physiquement donne procuration à François-Joseph Amé-Noël, son neveu, pour la gestion de ses biens. Il meurt le 31 mai 1845, sur son habitation de Bologne, où il est enterré. Aujourd’hui encore, on peut y voir son tombeau, qui est aussi celui de sa première épouse.
Nous devons à Gérard Lafleur un portrait fouillé d’Amé-Noël, dans un bulletin de la Société d’Histoire de la Guadeloupe (n°161). Cette étude met en évidence un paradoxe, celui qui montre un « libre de couleur », Amé-Noël, se hissant au niveau des « grands blancs » propriétaires à un moment où le système esclavagiste court à sa perte et ne va pas tarder à s’effondrer. Ceci expliquant peut-être cela. L’historien nous éclaire sur le rapport de classe entretenu par Amé-Noël avec ses esclaves. Pour s’élever dans l’échelle sociale et s’enrichir, Amé-Noël a besoin d’une main d’œuvre servile à un moment où elle se raréfie – la traite est interdite depuis 1817, des esclaves libres entre 1794 et 1802 n’ont pas repris le joug et les événements de 1802 ont causé la mort ou la déportation de nombre d’entre eux. Amé-Noël est donc à l’affût des ventes d’esclaves qu’il exploite sur ses terres, qu’il loue pour améliorer l’ordinaire et qu’il entend pouvoir traiter à sa façon. Gérard Lafleur nous raconte par le menu les circonstances, qui en août 1839 conduisent devant la justice le propriétaire Amé-Noël (72 ans) et ses complices, à savoir sa concubine Delphine et un de ses économes Bertin Bellony, tous libres de couleur.
Au centre de l’affaire, Jean-Pierre, une force de la nature, un homme craint, marron depuis 18 ans, qui raconte avoir vu Delphine transformée en soukougnan. Amé-Noël pense un moment vendre dans une colonie étrangère celui qui médit de sa femme avant, finalement, de le faire mettre à la barre au cachot. La tragédie se déroule sur l’habitation La Duché, à Bouillante. Jean-Pierre est prisonnier de jambières qui l’immobilisent, une corde attachée à une poutre du toit lui tient relevées derrière le dos ses mains liées. Dans cette position, il est condamné à l’immobilité. Privé de nourriture et d’eau, gisant dans ses excréments, il est de surcroît frappé avec un bâton par ses bourreaux Amé-Noël et Delphine qui le brocardent et l’injurient. Jean-Pierre trépasse au bout de cinq jours de supplice. Amé-Noël ordonne qu’on jette son corps au fond d’un précipice.
Il faut lire tout le récit de cette horrible affaire, qui mènera Amé-Noël devant les Assises. C’est Michel, le frère de Jean-Pierre qui se charge de prévenir le procureur du roi. Il faut lire aussi les détails de ce procès retentissant. On y voit Sylvestre et Elie, deux esclaves, osant ne jamais se rétracter dans leur témoignage accablant les assassins. Mais la justice des propriétaires aboutit au verdict suivant : Les accusés sont acquittés, le seul reproche fait à Amé-Noël est celui de ne pas avoir déclaré à l’état civil, la mort de l’esclave qu’il a tué. Au même moment, Marie-Françoise (23 ans) appartenant au bourreau Amé-Noël est condamnée pour vol d’argent avec effraction à cinq ans de galère agrémentés d’une heure d’exposition sur la place publique.
L’étude, dont il est rendu compte, renseigne également sur l’atmosphère régnant dans les habitations à une époque où le système esclavagiste est à bout de souffle. Notamment la dernière partie qui relate les démêlés judiciaires de Joseph-Antoine, neveu d’Amé-Noël, avec ses « nègres », très au courant des lois les concernant et des règles régissant leur vie. Loin d’être soumis, ces hommes nés sous le joug de la servitude, n’hésitent pas à revendiquer, à argumenter pour défendre leurs quelques droits, à désobéir, à cesser de travailler. On se dit que cette attitude combative pour réclamer justice annonce celle des nouveaux libres à venir et de leurs descendants.
Les Bulletins de la Société d’histoire de la Guadeloupe constituent une mine d’informations pour tous ceux qui aiment découvrir les faits historiques et les événements à la source. Ils gagnent à être lus.
Marie-Noëlle RECOQUE DESFONTAINES
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