Joseph France, gendarme abolitionniste : un roman historique dévoilé à Saint-Pierre

Roland Dorival et Philippe Pied ("Antilla")

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Le 6 juin, à Saint-Pierre, ancien commandant de la gendarmerie de Martinique, William Vaquette a présenté son nouveau livre Les mystères de Fort-Royal, en présence d’une assemblée dont le maire Christian Rapha. Ce roman historique, nourri de trois années de recherches, retrace l’incroyable parcours de Joseph France, gendarme métropolitain devenu abolitionniste et député de la Martinique en 1848. Une œuvre qui mêle rigueur documentaire, fiction vivante et hommage à l’histoire méconnue de l’île.

Une figure oubliée de l’abolition révélée au grand public

Le roman s’ouvre sur les obsèques de Joseph France, mort à 82 ans en Moselle. À travers une lettre fictive écrite par Victor Schœlcher à ses enfants — lue par morceaux au fil des chapitres — le lecteur découvre la vie d’un homme peu connu de l’histoire officielle : gendarme envoyé aux Antilles au XIXe siècle, témoin direct de l’esclavage, France devient peu à peu un défenseur actif de son abolition. Il sera élu député de la Martinique aux côtés de Schœlcher et Victor Petit-Frère Mazuline, premier député noir né esclave, en 1848, lors de l’Assemblée constituante de la Deuxième République.

Ce choix d’un personnage “mineur” mais central permet à William Vaquette de revisiter l’histoire coloniale martiniquaise sous un angle original : celui d’un homme de terrain, observateur, évolutif, confronté aux contradictions d’un système qu’il servait et qu’il finit par combattre.

Une présentation ancrée dans le territoire

La présentation publique du livre s’est déroulée à Saint-Pierre, dans un lieu hautement symbolique, en présence de Christian Rapha. Le maire a salué “la sincérité” de William Vaquette, son intérêt profond pour le pays, sa capacité à comprendre les spécificités martiniquaises avant d’appliquer des solutions toutes faites. Il a rappelé que ce livre s’inscrit dans une logique de transmission historique, que la ville de Saint-Pierre porte à travers ses commémorations et événements culturels comme le Mai de Saint-Pierre, transformé en un mois entier dédié à l’histoire et aux arts. Pour lui lui :

« À Saint-Pierre, chaque pierre, chaque rue, chaque silence raconte une histoire. Ce livre de William Vaquette nous invite à tendre l’oreille, à écouter ce passé, et à redonner vie à celles et ceux qui l’ont construit dans l’ombre, comme le gendarme abolitionniste et Milabelle. »

William Vaquette, lui, a souligné le lien émotionnel fort qu’il a noué avec la Martinique.

“Cette île, on ne peut pas la prendre n’importe comment. C’est comme une rose. Si vous ne savez pas l’aborder, vous vous piquez. Mais si vous respectez son histoire, elle vous offre toute sa beauté.”

Milabelle, le personnage-passerelle

Au cœur du roman, une femme, Milabelle, incarne cette mémoire déportée et survivante. Née dans le golfe du Bénin, capturée par des mercenaires Yoruba, elle traverse l’Atlantique clandestinement en cachant des graines dans ses cheveux — une pratique authentifiée dans les témoignages d’esclaves. Elle survit à la traversée et devient secrétaire de la compagnie de gendarmerie en Martinique. C’est elle qui ouvre les yeux de Joseph France sur la réalité coloniale, ses injustices, ses rituels, ses résistances invisibles.

Son histoire mêle sorcellerie, épreuves, et renaissance. Exploitée comme esclave-juge dans des rituels où elle devait ingérer des poisons (preuve de vérité selon certains usages africains), elle développe des résistances, s’affranchit et devient messagère d’une mémoire à transmettre. Milabelle incarne la transmission orale, les lignages coupés, la survie, la dignité.

Entre faits historiques et éléments de fiction maîtrisés

William Vaquette tisse une trame dense, rigoureusement documentée : la zombification, les décès maquillés sur les habitations, le rôle ambivalent de l’Église, le cimetière des esclaves enterrés en mer, les croyances liées au fromager, le rôle des prêtres défroqués ou des guérisseurs, les relations entre esclaves africains et Amérindiens… Tous ces éléments ne sont pas décoratifs mais porteurs de sens et de mémoire.

Le roman explore aussi la complexité des figures historiques : Victor Schœlcher, souvent présenté comme un héros, est ici aussi vu dans ses contradictions. L’auteur rappelle également le rôle oublié de Victor Petit-Frère Mazuline, né esclave et devenu député, qu’il a tenu à honorer avant son départ en renommant une place militaire à son nom.

Un livre pour comprendre, pas pour juger

“La critique est facile, mais elle n’apprend rien”, explique Vaquette. Fidèle à sa méthode, il ne cherche pas à réécrire l’histoire à la lumière des jugements actuels, mais à comprendre le contexte et à restituer des trajectoires humaines, faites de contradictions, d’engagements, de silences. Il insiste aussi sur l’héritage amérindien, souvent négligé, mais omniprésent dans la langue, les pratiques agricoles, les croyances et même la cosmologie populaire de l’île.

Une œuvre à la croisée de l’histoire, du roman et de l’engagement

Les mystères de Fort-Royal n’est pas un roman comme les autres. Il est à la fois un hommage à un homme oublié, un acte de restitution, et une contribution à la mémoire collective. Il est aussi le fruit d’une démarche sincère : celle d’un homme venu pour servir, qui a appris en écoutant, et qui rend aujourd’hui ce qu’il a reçu, par les mots.

Article et photos Roland Dorival et Philippe Pied

Roland Dorival en compagnie de l’auteur, William Vaquette

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