Et jusqu'à la dernière pulsation de nos veines...

Daniel Boukman

En solidarité avec le peuple palestinien de nouveau victime de la barbarie de l’Etat israélien, cet extrait de « Et jusqu’à la dernière pulsation de nos veines », pièce que j’ai écrite   à Alger, de juillet 1973 à juillet 1975 et publiée aux Editions L’Harmattan en 1976.

Daniel Boukman écrivain militant culturel martiniquais

(...)

 Nouvelles explosions plus rapprochées.

Golfinger : Encore ! Les capitaux US, vous savez, sont des poules faciles à effaroucher. Pour pondre comme pour couver, elles ont besoin de calme, de sécurité.

Mutter Golda : Pour la sécurité, adressez-vous à lui !

Moshe : Objection ! Je ne suis pas seul maitre à abord !

Mutter Golda : J’ai la conscience tranquille, moi !

Moshe : Que voulez-vous insinuer ?

Mutter Golda : Je n’insinue pas, j’affirme !

Moshe : Que ?

Mutter Golda :  Que je suis mal conseillée !!

Golfinger : Bon sang de bon sang, ça suffit ! La situation est assez compliquée comme ça !

Nouvelles explosions ... rafales...sirènes d’ambulance.

Golfinger : J’ai là sous les yeux un rapport pas très gai (il lit) Tirs de roquettes sur un kibboutz de Galilée...attaque d’un cercle militaire... manifestations de Palestiniennes à Naplouse ! Fâcheux ! très fâcheux !

Moshe : Il serait temps d’en arriver à mes propositions !

Sur une passerelle, entrée de trois comédiens tenant des masques qu’ils mettent en se présentant

Le premier comédien : Hitler !

Le deuxième comédien : Goering !

Le troisième comédien : Goebbels !

Ils s’installent et regardent ce qui suit

Moshe : Il serait temps d’en arriver à mes propositions !

Goldfinger : Je vous en prie, général ! Nous vous écoutons !

Moshe (lisant) : Programme en quatre points en vue de l’élimination définitive des Palestiniens. Premièrement : annexion pour toujours mais progressivement et subtile de la quasi-totalité des territoires arabes occupés...Deuxièmement : judaïsation au galop des régions habitées par les Arabes.

2

Golfinger : Intéressant mais selon quelle méthode, votre judaïsation ? 

Moshe : Expulsion des populations arabes par la force des crosses et des matraques. Dynamitage des maisons arabes, rachats de terres ou mieux encore, encourager les occupants desdites terres à abandonner celles-ci...Deir Yassine à ce propos demeure un exemple à méditer.

Le technicien déclenche le magnétophone : ambiance de marché...Un groupe de comédiens, déjà en place, s’installent pour illustrer le récit.

Voix off :                                        A l’aube du 9 avril 1948

des hommes de l’Irgoun

Le témoin 1 : -.milice sioniste de l’époque -

Voix off : ...font irruption dans un village arabe

Le témoin II : DEIR YASSINE

Les hommes de l’Irgoun (faisant irruption) : Partez ! Partez ! Si vous ne voulez pas mourir, partez !

Voix off : Les villageois ne comprennent pas ce qui arrive. Mais déjà ceux de l’Irgoun incendient les habitations. Des hommes, des femmes, des enfants en sortent épouvantés.

Sur la place, la population est rassemblée et (rafales).254 cadavres recouvrent le sol...Quelques malheureuses ayant réussi échapper à la boucherie sont rattrapées, dévêtues, jetées dans des charrettes, promenées à travers les quartiers juifs de Jérusalem , ensuite abandonnées dans un terrain vague.

Un temps

Le témoin I : Ce n’est pas tout. La suite !

Voix off : A DEIR YASSINE, les corps mutilés sont photographiés, les photos distribuées dans d’autres villages arabes.

Les hommes du l’Irgoun : Si vous ne partez pas, voilà ce qui vous attend !

Hitler (jubilant) : ORADOUR

Goering (idem) : SUR

Goebbels (idem) : GLANE !

Un temps

Le témoin II : Quelques témoignages à propos de DEIR YASSINE.

Des comédiens diront les témoignages qui suivent

Le témoin I : Jack Ragonnier, représentant de la Croix Rouge Internationale.

3

Un comédien : « Le massacre était horrible ! »

Le témoin II : John Kimshe, écrivain juif.

Un comédien : « Le massacre restera comme la tache la plus sombre de l’histoire d’Israël »

Un temps

Le témoin I : Mais vous vous demandez pourquoi DEIR YASSINE.

Le témoin II : Après ce massacre du 9 avril 1948 frappant le village de DEIR YSSINE, l’exode des populations palestiniennes se généralisa.

Un comédien : Erskine Childers écrivain britannique :   « On a prétendu que la radio arabe a diffusé des ordres d’évacuation.  Mais l’on n’a jamais cité de dates, de noms de stations ou de textes de message. Me trouvant en Israël en 1948 en tant que ministre des Affaires étrangères, j’espérais que l’on me faciliterait la tâche et je demandai que l’on me montrât ces preuves. On m’assura qu’elles existaient et on me promit de me les faire voir. Je ne les avais toujours pas vues quand je m’en allai mais on me certifia encore une fois qu’elles existaient Je les attends toujours » (1)

Un temps

Moshe : Je continue. Troisièmement : intensification de l’immigration juive en Israël avec priorité donnée aux Juifs d’Europe orientale. Quatrièmement : dans les zones arabes récupérées, construction massive de kibboutz, stations balnéaires, hôtes, usines, viles, synagogues, supermarchés.

Golfinger : Excellent votre programme !

Mutter Golda : Excellent, je veux bien mais il manque à votre excellent programme une dimension idéologique. (elle compulse son dossier) : Travailler en profondeur la mauvaise conscience de l’Occident chrétien et surtout celle des intellectuels progressistes ;  convertir les retombées de cette mauvaise conscience en aversion - avouée ou non - pour le monde arabe. La tâche se trouve grandement facilitée dans la mesure où l’histoire occidentale est comme imbibée d’un haine tenace à l’égard des Arabes. Ajouter à cette manœuvre, la manipulation continue de la mémoire juive, cristallisation de leurs souvenirs de larmes et de sang pour ainsi anesthésier en eux toute réflexion critique.

Moshe : Cultiver la thèse de l’invulnérabilité d’Israël frappant qui, quand, où comme elle veut.

Goldfinger : Vous rêvez, général. Mais ce rêve, grâce à la générosité de l’Oncle Sam peut devenir réalité (il tire de sa serviette des documents) Regardez ! Ce sont là quelques-uns de nos gadgets ayant fait autrefois merveille dans les rizières et sur les villes du Viet Nam...  Le missile Condor est l’un des spécimens les plus réputés de notre collection de bombes à destruction massive. (...)

(1) Cf la revue Les Temps modernes 14 /1/ 1960,  page 182.

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