La semaine dernière notre collaborateur Frédéric CONSTANT publiait dans nos colonnes un article rendant compte d'un important colloque qui s'était tenu le 24 mars 2023 à l'Auditorium de la mairie de Paris sur René MENIL, philosophe martiniquais, son oeuvre et ses relations avec Aimé CESAIRE.
Estimant que ses propos ont été déformés, l'une des participantes au colloque, Kora VERON, spécialiste reconnue de CESAIRE dont elle a publié une biographie en 2021 aux éditions du Seuil, nous a demandé un droit de réponse que nous publions ci-après...
Difficile d’avoir été aussi mal entendue ! Je souhaite ici réagir aux passages qui me concernent dans l’article signé par Frédéric Constant rendant compte du colloque consacré à René Ménil (Paris, le 24 mars 2023). Un article dans lequel Constant qui me prête des propos que je n’ai pas tenus me fait dire beaucoup de bêtises ! Un article où Constant se permet de mêler sans cesse sa voix à la mienne, pour proposer des développements personnels, ou pour me « corriger », sans que l’on puisse toujours distinguer qui parle — introduisant ainsi une confusion fort désagréable pour moi et induisant en erreur les autres lecteurs. Un article où il fait l’impasse sur des questions que j’avais jugé importantes de poser, comme celle de la fondation d’une culture désassimilée dans une vieille colonie où la culture amérindienne précoloniale avait été éliminée, par exemple. Un article qui n’est pas un compte rendu, mais un plaidoyer pour René Ménil, qui serait l’éternel incompris ; et qui cherche à me discréditer en permanence : je ne serais pas sérieuse, je n’aurais pas lu les textes de Ménil, je n’aurais rien saisi des subtilité du marxisme ou de la situation en Hongrie en 1956, etc. Bref, un article qui fait de moi une insolente idiote.
Je ne reprendrai pas ici l’intégralité d’un exposé qui, entièrement écrit pour le colloque de mars, comporte 38 pages dactylographiées (sans compter le diaporama), ni ce que j’ai pu ajouter dans les débats. Je veux juste fermement me désolidariser de ce que Frédéric Constant prétend avoir entendu de cet exposé ; et je me permets de renvoyer les lecteurs à la biographie d’Aimé Césaire que j’ai publiée aux Éditions du Seuil en 2021 (Aimé Césaire. Configurations, 864 pages). Ils jugeront ainsi par eux-mêmes de la pertinence de mes analyses et mesureront l’écart entre mes méthodes et celles de Constant.
Quelques remarques cependant pour argumenter mon indignation.
J’avais ouvert mon exposé par deux précisions :
1/ Le peu de temps dont je disposais m’obligeait à des simplifications conceptuelles pour lesquelles je présentais mes excuses, mais que j’essayais de compenser par l’affichage de citations et de références bibliographiques dans le diaporama.
Mon but n’était évidemment pas de faire l’exégèse de la pensée marxiste en définissant la « praxis », le « matérialisme historique ou dialectique » ou tout autre terme dans leurs différentes acceptions ou transformations par Lénine, Staline, Trotsky, Mao Zedong, etc. Contre Constant qui n’a décidément rien saisi de la logique de ma démonstration, je maintiens pourtant que Marx postule bien la prépondérance de la base économique sur la superstructure culturelle, celle-ci déterminant la conscience de soi : « Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience[1]. » En d’autres termes, pour Marx, ce sont les conflits de classes induits par les modes de production qui transforment prioritairement le monde, le prolétariat étant doué d’une puissance auto-émancipatrice, avec son avant-garde organisée en parti. Pas la poésie ni la philosophie. Dans les pays communistes, les artistes et les intellectuels seront certes invités à accompagner le mouvement révolutionnaire des prolétaires, mais leur rôle sera secondaire et encadré. Quand ils ne seront pas envoyés aux champs pour y réapprendre les bonnes manières.
Dans le cadre de mon exposé, je voulais juste montrer l’importance des priorités révolutionnaires pour Césaire et pour Ménil dans les années 1930 : transformer le monde avec Marx ou « changer la vie » avec Rimbaud & la poésie en général & le surréalisme en particulier, ou avec la négritude vue comme processus culturel de désaliénation individuelle et collective. La hiérarchie des luttes à mener est en effet une question centrale qui permet d’expliciter les positions de Césaire dès 1935. Ou d’interroger celles de Ménil qui reprend en juin 1932, avec ses amis, les titres de Breton que sont Légitime défense et « Misère d’une poésie », sans rendre compte des dissentions déjà criantes entre Breton et Aragon.
Les poètes surréalistes, dès le milieu des années 20, s’ils voulaient contribuer à la révolution bolchevique, refusèrent que leur expression personnelle passe au second plan, pour obéir aux exigences idéologiques du Parti. Ainsi, l’essai d’André Breton intitulé Légitime défense (1926, Éditions surréalistes) était-il une réponse à Pierre Naville qui, dans La Révolution et les intellectuels[2] pressait ses amis d’abandonner leurs « jeux idéalistes » pour rejoindre le Parti communiste. Breton y rappelait que les surréalistes souhaitaient bien « le passage du pouvoir des mains de la bourgeoisie à celles du prolétariat », mais qu’ils n’entendaient pas renoncer à leurs « expériences de la vie intérieure » ; et qu’ils refusaient catégoriquement tout contrôle, « même marxiste ». Naville sera d’ailleurs exclu du Parti pour « déviance trotskiste », tandis qu’Aragon et Breton resteront brouillés après la publication, à Moscou, en 1931, du poème « Le Front rouge ». Écrit à la gloire de l’Union soviétique et de son armée, ce texte avait valu à Aragon une inculpation pour « excitation de militaires à la désobéissance ».
En mars 1932, dans « Misère de la poésie –L’affaire Aragon devant l’opinion publique » Breton défendit la liberté d’expression d’Aragon, mais jugea « Le Front rouge » illisible et indigeste, puisqu’il relevait non pas de la poésie, mais de la propagande communiste ; et critiqua plus généralement le matérialisme soviétique qu’il estimait désormais incompatible avec la production artistique révolutionnaire.
La stalinisation progressive du monde communiste s’accompagna de règles visant à promouvoir une esthétique prolétarienne internationale fondée sur un « réalisme socialiste » auquel Aragon conjugua audacieusement, dans les années 1950, un impératif de « poésie nationale » en vers réguliers : si possible des sonnets en alexandrins. Rien qui puise plaire à Césaire.
Je maintiens par conséquent que la tutelle littéraire du PCF, avec Louis Aragon aux manettes, aura été l’une des raisons principales qui ont conduit Césaire à quitter le Parti en octobre 1956. J’ai bien dit « l’une des raisons ». Je n’ai pas énuméré les autres, mais ce n’était pas faute de les connaître, puisque j’ai plusieurs fois écrit à ce sujet, qui n’était pas mon sujet du jour.
Venons-en aux priorités révolutionnaires de Césaire telles qu’elles sont formulées dans « Nègreries : Conscience raciale et révolution sociale », article de mars 1935 publié dans L’Étudiant noir où il utilise pour la première fois emploi le fameux substantif de « négritude » :
Ainsi donc, avant de faire la Révolution et pour faire la révolution, – la vraie –, la lame de fond destructrice et non l’ébranlement des surfaces, une condition est essentielle : rompre la mécanique identification des races, déchirer les superficielles valeurs, saisir en nous le nègre immédiat, planter notre négritude comme un bel arbre jusqu’à ce qu’il porte ses fruits les plus authentiques. [...]
Être révolutionnaire, c’est bien ; mais pour nous autres nègres, c’est insuffisant ; nous ne devons pas être des révolutionnaires accidentellement noirs, mais proprement des nègres révolutionnaires, et il convient de mettre l’accent sur le substantif comme sur le qualificatif.
Cet article est explicitement écrit en dialogue avec Les Chiens de garde, essai de 1932 dans lequel Paul Nizan récusait la posture « idéaliste » des philosophes les plus renommés de l’époque, comme Henri Bergson ou Léon Brunschvicg, et invitait les jeunes gens à penser plutôt la réalité des classes populaires avec Marx et Lénine, en vue de préparer leur action révolutionnaire.
Césaire répond à Nizan qu’en raison de circonstances historiques à effets psychiques, la conscience de la négritude prime pour lui sur la conscience de classe. Autrement dit, la condition préalable à sa « vraie révolution » est que le Nègre antillais sache « qu’il est beau et bon et légitime d’être nègre ». Et cette « révolution intérieure » sine qua non résulterait d’une « besogne culturelle accomplie sans craindre de tomber dans un idéalisme bourgeois ». Par conséquent, écrit Césaire, le « matérialisme » doit être adapté aux particularités noires. Ce qu’il répétera d’ailleurs dans sa lettre de démission à Maurice Thorez : « aucune doctrine ne vaut que repensée par nous, que repensée pour nous, que convertie à nous », ce « nous » désignant alors l’ensemble les peuples colonisés.
2/ J’indiquais aussi dans mon introduction que si j’allais bien parler des relations entre Ménil et Césaire, j’étais une spécialiste d’Aimé Césaire. Je n’ai jamais prétendu aux organisateurs du colloque qui m’ont invitée que je connaissais parfaitement Ménil. (« Si Mme Véron ne connaît que Césaire et méconnaît René Ménil à ce point, pourquoi a-t-elle participé en tant que conférencière à un colloque consacré à cet auteur ? »)
Toutefois, j’ai fait mon travail et je me suis efforcée de lire attentivement le peu que j’ai pu trouver à la Bibliothèque nationale, y compris les premiers textes de Ménil parus dans La revue du Monde noir que j’ai d’ailleurs commentés pendant ma conférence. J’ai fait aussi quelques sondages dans les archives pour m’apercevoir que beaucoup de légendes circulaient au sujet de Ménil. Il y aurait un travail de fond à mener, mais avec les méthodes habituelles d’un historien qui croise & interroge ses sources, et accepte les discussions argumentées. Pas avec des réflexes de militant irrité ou les sentiments exaltés d’un adulateur prêt à bondir sur quiconque ne rendrait pas les hommages appuyés que son héros mérite.
Enfin, il faut bien admettre que si Ménil a certainement été un professeur de philosophie inspirant et un dirigeant communiste consciencieux, ainsi qu’un critique au style incisif intéressant à suivre dans la presse martiniquaise, il n’a publié ni œuvre littéraire ni essais consistants. Et son action politique n’a pas dépassé l’horizon de la Martinique. Cela n’enlève rien à son mérite, mais cela explique pourquoi on a évidemment tendance à revenir à un Césaire dont l’éblouissante originalité poétique est admirée dans le monde entier, sa pensée et son action politique à la fois locale, nationale et internationale offrant toujours mille occasion de réfléchir, voire de s’opposer. Pour avoir une œuvre reconnue, encore faut-il l’avoir écrite et faite éditer. Peut-être Ménil ne s’est-il pas vu en écrivain ? En tout cas, personne ne l’a empêché de le devenir, et il faut cesser de le présenter comme la victime des perfides dont je ferais partie. Pourquoi diable aurais-je cherché à « discréditer » René Ménil ? (« C’est quand même clair et susceptible de lever certaines ambiguïtés formelles que K. Véron s’est fait fort d’exploiter pour discréditer Ménil (qu’apparemment elle a peu, mal ou pas lu ») Et qui est ce monsieur pour se permettre de me faire des leçons de lecture ? Tout cela est ridicule.
Voici quelques autres déformations de mes propos.
Je n’ai jamais dit que René Ménil était « à la tête d’autres étudiants martiniquais » pour créer l’unique numéro de Légitime défense, en juin 1932. Au contraire, j’affirme qu’il fait partie d’un groupe manifestement dirigé par l’« administrateur » Étienne Léro, premier signataire de l’avertissement liminaire.
J’avais bien prévu d’analyser les relations entre Césaire et Ménil jusqu’en 1956, mais le peu de temps dont je disposais m’a obligé à couper toute une partie de mon travail pour, sauf rares exceptions, n’aller que jusqu’à 1939. Ce qui n’a pas empêché Fred Constant de poursuivre à ma place ! Ainsi, n’ai-je jamais dit : « En Martinique, quand Pétain arrive au ‘pouvoir’ en juin 1940, l’Amiral Robert en suit la ligne collaborationniste, fasciste et raciste, le racisme négrophobe étant déjà très fort sous le système colonial antérieur, même post-esclavagiste. » On peut parfaitement avoir ce point de vue, mais pas me forcer subrepticement à endosser des pensées et un style qui ne sont pas les miens. Personnellement, je m’exprime de manière plus nuancée.
Je n’ai jamais dit non plus que le « 2ème Manifeste surréaliste » (1930) fut co-rédigé Breton et Trotsky (élément évoqué dans plusieurs biographies de Trotsky) » ! Le Second manifeste, publié le 15 décembre 1929, ne doit rien au fondateur de l’armée Rouge pourchassé par Staline. Sans doute Constant veut-il parler du manifeste intitulé Pour un art révolutionnaire indépendant de juillet 1938, publié après le séjour de Breton au Mexique ? On sait précisément par ses archives quel rôle Trotsky avait joué dans son élaboration. Ce manifeste très libertaire aurait mérité en effet une étude approfondie si cela avait été mon sujet. Et j’aurais en outre précisé que la position de Trotsky en matière de liberté esthétique avait toujours été peu orthodoxe, en citant par exemple Littérature et Révolution de 1924. J’ai fait ce travail, mais pour une autre occasion que celle du colloque de mars.
Je maintiens mon analyse de « Généralités sur ‘l'écrivain’ de couleur antillais », l’article de Ménil publié dans Légitime défense. Il s’en défendra certes, en écrivant dans son introduction à la réédition du journal, en 1978, que : « Ces traits psychologiques dans Légitime Défense avaient valeur polémique, ils étaient donnés comme résultant d’une situation historique concrète et transitoire – la situation faite aux colonisés noirs par l’impérialisme – et non pas comme des traits éternels et universels de la mentalité nègre. » Sauf que l’on n’est pas obligé d’être d’accord avec son interprétation a posteriori, car on ne peut pas faire dire aux textes le contraire de ce qu’ils disent. L’article du jeune Ménil invitait bien « l’Antillais de couleur », pour « être lui-même », à ne pas renier « sa race, son corps, ses passions fondamentales et particulières ». Peu importe que le colon lui reproche « de se laisser aller au génie de sa joie, de sa danse, de sa musique, et son imagination ».
Ménil dénoncera ses stéréotypes plus tard dans plusieurs articles écrits au vitriol, comme « La Négritude, une doctrine réactionnaire » publié pour la première fois dans Action en 1963, mais il avait une autre approche en 1932. Qu’importe ? Ce qui compte, c’est de retracer un itinéraire intellectuel, avec ses palinodies.
Sur mon talent consistant à « noyer le poisson » pour tenter de masquer mon ignorance au sujet d’événements dont la complexité m’échappe toujours, sur ma bêtise rédhibitoire qui me mène à prétendre « que Césaire aurait voulu que le PCF se déstalinise comme le PC hongrois l'avait fait », je renvoie à ma biographie de Césaire où j’analyse toute la période située entre le rapport Khrouchtchev de février 1956 et la date à laquelle Césaire envoie sa lettre démission à Maurice Thorez, en octobre. Et oui, bien sûr il y a eu cet immense espoir déçu d’une déstalinisation du PCF, comme Césaire l’écrit d’ailleurs dans sa lettre de démission. Alors qu’en Pologne (à partir de juin) et en Hongrie, on a pu croire un moment à l’émergence d’un nouveau régime, avant en effet une brutale reprise en main par l’URSS. Césaire a cru à cette déstalinisation de l’Est, et il était loin d’être le seul. Quel curieux raisonnement celui qui consiste à affirmer que l’échec d’un rêve prouve que ce rêve n’a pas existé !
Pour ce qui concerne la rupture entre Ménil et Césaire, (« Selon la conférencière, telles sont les raisons ‘martiniquaises’ expliquant la rupture Ménil-Césaire »), je n’ai pas souvenir d’avoir invoqué de causes spécifiquement « martiniquaises ». Césaire a quitté le Parti et la plupart de ses amis communistes lui en ont voulu et se sont détournés de lui, parfois très violemment.
Avec certains, comme Auguste Thésée et sa femme, Françoise, les différends politiques ont fini par être dépassés et l’amitié a repris son cours. Pas avec les Ménil dont pourtant la première femme, Claudine, était la sœur de Françoise Thésée. René Ménil, par son rôle au sein du Parti communiste martiniquais et par ses articles attaquant violemment Césaire et sa politique a sans doute rendu impossible toute réconciliation, sauf in extremis.
Pour finir, je me permets d’interroger une mystérieuse note de la rédaction : « [N.D.R. : Ce que K.V. ne dit pas, c’est que Césaire lui-même ne fut pas avare de propos violents, agressifs, appelant ses partisans à « dératiser les maquis communistes ». Ce qui revenait à traiter les communistes comme des rats... à éliminer. Vu la violence physique (parfois avec armes) dans la vie politique à l’époque, çà pouvait vouloir dire beaucoup de choses, y compris être perçu comme un appel au meurtre]. »
Je ne risquais en effet pas de reprendre ces propos de Césaire, car, même comme auteur de Les Écrits d’Aimé Césaire (Honoré Champion, 2013), je ne les ai lus nulle part. Nouvelle preuve d’incompétence sans doute. Je souhaiterais donc connaître la source de cette accusation très grave, qui, si elle n’est pas précisément sourcée s’apparente à de la diffamation.
[1] Karl Marx, Introduction à Critique de l'économie politique, Londres, janvier 1859 (je souligne).
[2] Repris dans La Révolution et les intellectuels : Que peuvent faire les surréalistes ? (1926) ; Mieux et moins bien (1927), Gallimard, 1928.
"National" au sens "national Mquais". Ça va sans dire, mais ça va mieux en le disant...
Lire la suite...mè "dannsòl".
Lire la suiteSi on vous comprend bien, MoiGhislaine, le charbon de Lorraine devrait, pour reprendre votre expr Lire la suite
Je crains que vous n'ayez mal compris cet article. A moins que ce ne soit moi qui me trompe. Lire la suite
Il faut être un sacré farceur pour faire croire aux Martiniquais qu'un deuxième Cuba est possible Lire la suite
Commentaires
Aimé Césaire
MONTHIEUX Yves-Léopold
23/07/2023 - 10:06
A lire absolument
Aimé Césaire, Kora Véron, 2021, Seuil.
Aimé Césaire
MONTHIEUX Yves-Léopold
23/07/2023 - 11:53
A lire absolument
Aimé Césaire, Kora Véron, 2021, Seuil.
NEG KA LI ?
Albè
23/07/2023 - 12:32
Dépi ki tan Neg ka li ? Kra-Kra-Kra !
NE JAMAIS FAIRE PARLER LES MORTS!!!
Karl
23/07/2023 - 21:31
DEVINETTE : C'EST DE QUI ET ÇA DATE DE QUAND?
Peuple Martiniquais,
Non, je n'ai pas abandonné la cause du prolétariat, la cause de la classe ouvrière, la cause des peuples colonisés.
JE N'AI PAS ABANDONNÉ LE CAMP DES EXPLOITÉS POUR PASSER AVEC ARMES ET BAGAGES DANS LE CAMP DES EXPLOITEURS.
Cela, aucune calomnie, aucun mensonge ne réussira à vous le faire croire.
Il est exact que j'ai quitté le Parti Communiste Français.
Mais je n'en reste pas moins du côté du peuple Martiniquais et COMMUNISTE MARTINIQUAIS.
Pendant 10 ans, j'ai combattu le capitalisme et le colonialisme dans les rangs du Parti Communiste Français.
Aujourd’hui, j’ai acquis la conviction que, pour mener cette lutte avec succès, nous, MARTINIQUAIS, nous devons prendre une connaissance plus juste de nos buts et de nos méthodes.
J’ai acquis la conviction que le peuple Martiniquais NE DOIT pas attendre le SALUT DU DEHORS, qu’il DOIT PRENDRE SA CAUSE en main, qu’il doit ÉTUDIER lui-même ses problèmes ; DETERMINER sa propre voie et INVENTER ses propres solutions.
Pour cela une chose s’impose, que le Peuple Martiniquais s’organise en partis MARTINIQUAIS et démocratiques, et se rassemble en un Front Martiniquais qui ne jette à priori l’exclusive sur aucun martiniquais.
Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas relier notre lutte à celle des opprimés de France, à celle aussi des opprimés des pays coloniaux.
Cela veut dire qu’à aucun moment nous ne devons laisser les nécessaires alliances se transformer en subordination, qu’à aucun moment nous ne devons perdre de vue que nous avons à atteindre des objectifs qui nous sont propres.
D’ICI QUELQUES TEMPS, JE SERAI PARMI VOUS.
Nous causerons, froidement, calmement.
Je suis sûr que du choc des idées, loyalement confrontées, il sortira pour notre pays un grand bien : une vision plus claire de notre idéal, une appréciation plus juste de nos moyens, une démarche plus assurée vers l’avenir.
VIVE L’UNION DU PEUPLE MARTINIQUAIS
VIVE LA MARTINIQUE
Karl, ce texte est curieux...
Frédéric C.
24/07/2023 - 16:53
...oui, curieux. Sans trop vouloir m'avancer, il a comme un "parfum", de Césaire, qui était AUSSI un homme politique. On dirait que le rédacteur (ou la rédactrice) se défend d'une accusation de trahison par rapport à une mouvance qu'il aurait quitté. Et les "10 ans" évoqués, cela correspond, à la louche, à la période (1946-1956) pendant laquelle Césaire a représenté la Mque sous les couleurs du PCF. Or dans ce texte, le rédacteur, manifestement Mquais, semble se réclamer du "communisme", mais d'un "communisme" émancipé de toute tutelle exogène. A cet égard, certains passages "sonnent" comme certains paragraphes de la "Lettre à Maurice Thorez", de Césaire en 1956. D'un autre côté, j'ai parfois entendu, notamment dans une conférence de Kora Véron, que marxisme et Négritude sont inconciliables, voire incompatibles. Qu'en est-il exactement: ce texte est-il la retranscription d'un document apocryphe, voire d'un "faux"?J'ai vaguement entendu parler d'un truc de ce genre, pour la période 1956 en Mque, mais sans jamais avoir vu le document. Ni dans l'article de JC William dans l'Historial Antillais (sur la genèse et l'évolution du PPM, dont il était alors mb) ni dans les documents venant du PCM, ni dans l'article de de l'Epine sur le Mvt communiste Mquais après la 2è GM (même tome de l'Historial Antillais)...Karl, cela pique un peu ma curiosité, et vous semblez avoir des pistes de réponse à votre "devinette"... Tout cela est loin dans le temps mais ça compte... De quoi s'agit-il ? Merci à vous. Cdlt.
BONNE REPONSE
Karl
25/07/2023 - 10:29
En effet, Frédéric, ce texte est un tract signé Aimé CÉSAIRE et qui date du 4 novembre 1956.
J’en ai eu connaissance il y a une quinzaine d’année grâce à ce très cher Edouard DELEPINE, l’un des esprits les plus brillants de sa génération, qui avait conservé un original.
Pourtant, j’ai été un militant communiste encarté à l’Union de la Jeunesse Communiste de Martinique ((UJCM) puis du Parti Communiste Martiniquais, pendant un peu plus de 20 ans, de 1973-1974 à 1995.
Je n’en fais plus partie même si mes convictions sont restées intactes à quelques détails près qui n’en sont d’ailleurs pas : les circonstances qui ont entourées la démission de Césaire de la Fédération communiste du PCF en Martinique ainsi que la trahison des idéaux du socialisme par l’Union Soviétique sous la dictature stalinienne dont on ne dira jamais assez qu’elle a commencé par assassiner ses propres enfants (Procès de Moscou 1936-1938). S’agit-il de détails?
Quoi qu’il en soit, pour en revenir au tract d’Aimé Césaire, il est totalement passé sous silence avec constance d’autant plus remarquable qu’elle provient des partisans, des hagiographes et des thuriféraires d’Aimé Césaire comme de ses plus farouches opposants et adversaires.
Car, cher Frédéric, ayant démissionné du PCM en juillet 1995 à la suite de la plus immonde saloperie qui m’ait été faite ( j’en parlerai un jour ou l’autre dans un texte), je me suis rapproché du PPM (certains diront que je suis passé à l’ennemi) vers 2008-2009, sans trop d’illusions mais avec l’idée que je ne pouvais pas rester inactif et que je devais mettre mes très modestes compétences au service de l’émancipation du peuple martiniquais.
J’y ai découvert un parti bâti à partir du même moule que le PCM mais sans sa rigueur. Je m’en suis assez vite détourné.
Et bien tant au PCM qu’au PPM, le tract du 4 novembre 1956 est passé sous silence, que dis-je passé à la trappe, au marteau-pilon, au brasier, bref, il n’existe pas. Et quand on n’y fait allusion très rarement dans un bouquin dit d’histoire, il est cité mais jamais reproduit.
Pourquoi?
Parce qu’il ne cadre pas avec la vérité officielle distillée depuis presque 67 ans par les uns et les autres.
Car pour les uns comme pour les autres, la voie proposée par Aimé Césaire est opposée à celle proposée par les communistes.
La négritude serait, paraît-il opposée à la lutte des classes!
J’observe que si dans la lettre à Maurice Thorez, « ce n’est pas le communisme » qu’Aimé Césaire réprouve mais « l’usage qui en est fait », dans le tract de 4 novembre 1956, Aimé Césaire affirme être un COMMUNISTE MARTINIQUAIS, attaché à La Défense de la cause du prolétariat et des colonisés.
Si le dessein d’Aimé Césaire avait pu voir le jour, il aurait été le fondateur du PCM, un an avec sa création. J’ajoute à ces éléments que bien sûr le PPM se proclame « parti nationaliste » dans l’article 1 de ses statuts (sauf erreur de ma part), Aimé Césaire, dans son œuvre n’a jamais cité une seule fois un auteur, militant, théoricien du nationalisme mais des auteurs marxistes et internationalistes.
Autrement dit, l’escamotage de ce tract du 4 novembre 1956 permet aux uns de qualifier Aimé Césaire de traître à la cause du prolétariat, ce contre quoi il se défend et aux autres, de faire de Césaire le champion de l’anticommunisme ce qu’il n’a jamais été si on veut bien ne pas faire du communisme une religion.
Évidemment, je ne confondrai pas Aimé Césaire et ceux qui l’ont entouré pas plus qu’avec les positions prises lors de tel ou de tel événement politique (référendum de 1958 et le oui à De Gaulle, décembre 59, Obama…etc.). Aimé Césaire pas plus que n’importe quel autre dirigeant n’est pas exempt d’erreurs et si le communisme n’est pas une religion ni un ensemble de dogmes, la pensée de Césaire n’en est pas une non plus!
C’est du moins ce que je pense.