Mystère : pourquoi ces deux galaxies sont-elles dépourvues de matière noire ?

La matière noire est un élément essentiel à la formation des galaxies. Pourtant, les galaxies DF2 et DF4 n'en contiennent pas. Les astronomes pensent désormais savoir pourquoi grâce au télescope spatial Hubble.

Il y a environ 8 milliards d’années, deux galaxies sont entrées en collision : une rencontre fracassante qui aurait causé l’expulsion de leurs gaz.

C’est à ce jour la plus récente explication de ce mystère cosmique qui déroute les astronomes depuis 2018 : deux galaxies faibles et difformes qui semblent être complètement dépourvues de matière noire. Selon de nouvelles observations, ces dernières pourraient bien faire partie d’une série d’objets tout aussi bizarres : les débris de cette rencontre galactique fracassante.

Des études détaillées de ces deux galaxies, qui ont été baptisées DF2 et DF4, avaient précédemment révélé qu’elles abritaient des amas d’étoiles étranges et lumineux. Mais les scientifiques ont eu du mal à expliquer comment ces galaxies pouvaient exister, car la matière noire, qui représente plus de 80 % de toute la matière de l’univers, est considérée comme un élément essentiel à la formation des galaxies.

Une nouvelle théorie, élaborée par une équipe dirigée par Pieter van Dokkum de l’université de Yale, suggère que la rencontre cosmique pourrait expliquer ces étranges phénomènes spatiaux, ainsi que d’autres caractéristiques du champ de débris. « Au cours de la collision, le gaz a été expulsé et s’est transformé en un environnement chaotique qui n’avait pas de matière noire pour assurer sa cohésion », explique van Dokkum. « Certaines parties de ce grand nuage de gaz irrégulier ont ainsi pu se séparer du reste du nuage de gaz, et former leurs propres petites galaxies. »

Le scénario envisagé par van Dokkum et ses collègues devra être confirmé par de futures observations. S’il est vérifié, il s’agirait là d’une manière élégante d’expliquer comment une chaîne de galaxies aussi étrange a pu émerger. Cette collision galactique pourrait même aider les scientifiques à comprendre certaines des propriétés fondamentales de la matière noire elle-même, comme l’a récemment décrit un article dans la revue Nature.

« Pour moi, c’est très plausible », déclare van Dokkum. « C’est une explication très simple, et c’est jusqu’à présent la seule qui explique ce large éventail de propriétés : que nous ayons des amas globulaires [d’étoiles], deux galaxies identiques qui ne contiennent aucune matière noire, cette étrange traînée que nous avons désormais trouvée… Tout concorde. »

LA MATIÈRE INVISIBLE DE L’UNIVERS

D’habitude, la matière noire constitue l’essentiel du poids d’une galaxie. C’est ce qu’a supposé l’astronome Vera Rubin à la fin des années 1960, lorsqu’elle a déduit que quelque chose de massif et d’invisible devait forcément empêcher les étoiles situées en bordure de la galaxie d’Andromède de s’échapper dans l’espace. Sans cette colle gravitationnelle, ces étoiles seraient perdues, tout comme celles qui sont situées sur les bords de plusieurs autres galaxies en rotation.

Un demi-siècle après les travaux de Rubin, les astronomes ne sont toujours pas parvenus à observer directement la matière noire. Elle n’émet ni ne reflète la lumière. Elle n’interagit pas directement avec la matière ordinaire, bien que sa gravité affecte le comportement des objets observables tels que les étoiles et les galaxies. Les scientifiques pensent également que la matière noire est nécessaire pour permettre aux galaxies d’amasser suffisamment de gaz pour commencer à donner naissance à des étoiles.

Mais, en 2018, van Dokkum a repéré une galaxie appelée NGC 1052-DF2, ou plus simplement DF2, qui semblait tout particulièrement manquer  de matière noire. À environ 72 millions d’années-lumière de notre planète, près d’une grande galaxie elliptique, DF2 était principalement sombre et diffuse, agrémentée d’un ensemble inhabituel d’amas d’étoiles massives extrêmement brillantes. Lorsque van Dokkum et ses collègues ont calculé la masse de la galaxie, ils ont réalisé que DF2 ne contenait qu’une petite quantité de matière noire.

« La découverte initiale a en effet été surprenante, y compris pour nous. Nous ne pouvions pas l'expliquer », explique van Dokkum. « Nous avions là un objet que nous étions incapables d’expliquer, mais nous avons quand même commencé à l'étudier pour, grosso modo, formuler des affirmations sur des sujets importants. Et je pense que cette combinaison a poussé de nombreuses personnes à y prêter attention, mais aussi à être plus sceptiques. »

Depuis lors, van Dokkum et ses collègues ont pu vérifier un bon nombre des caractéristiques qu’ils avaient observées dans cette galaxie. « Nous avons eu la chance d’avoir raison », rit van Dokkum. En 2019, ils ont repéré une autre galaxie dans le même groupe, appelée DF4, qui est tout aussi particulière, presque à l’identique. Elle aussi est faible et diffuse, semble dépourvue de matière noire, et est ponctuée d’étranges amas d’étoiles.

« On a deux galaxies qui sont toutes deux uniques, chacune de son côté. Aucune autre galaxie connue dans l’univers ne leur ressemble », explique van Dokkum.

Un autre groupe d’astronomes a repéré au moins une autre galaxie qui semble être étrangement pauvre en matière noire, bien que l’orientation de cette galaxie la rende plus difficile à mesurer que DF2 et DF4.

La grande question est la suivante : comment ces étranges et singulières galaxies se sont-elles formées ?

 

UNE PETITE HISTOIRE ASTRONOMIQUE

En 2019 et 2020, van Dokkum et ses collègues ont orienté le télescope spatial Hubble vers DF2 et DF4. Ils ont ainsi réalisé que DF2 était beaucoup plus éloignée, et que les deux galaxies s’éloignaient l’une de l’autre. Cela implique que, si l’on rembobinait les mouvements de ces galaxies, ces dernières finiraient par converger vers le même point de l’espace : le site où aurait eu lieu la collision ancienne, et extrêmement rapide.

Lorsque les deux galaxies d’origine sont entrées en collision, leurs fractions de matière noire ont poursuivi leur chemin, traversant l’espace comme si de rien n’était. Tout leur gaz, cependant, s’est retrouvé dans un amas désordonné, chaud et à haute pression : un environnement parfait pour la formation d’amas d’étoiles grands et massifs comme ceux de DF2 et DF4.

Les simulations de telles collisions suggèrent que l’amas de gaz initial se serait brisé et dispersé, et ce sur des milliards d’années, laissant une traînée de galaxies faibles, cotonneuses et légères. Et lorsque van Dokkum et ses collègues ont examiné une image profonde du groupe de NGC 1052, ils ont trouvé pas moins de onze galaxies d’affilée, dont DF2 et DF4.

« On a fait ces observations déroutantes, et soudain tout s’est mis en place. On a alors supposé que l'on devrait voir davantage de galaxies le long de cet axe, et c’est exactement ce qu’on a observé par la suite », dit van Dokkum.

Deux galaxies encadrent ces longues traînées et, selon van Dokkum, elles pourraient être des vestiges riches en matière noire des deux galaxies qui étaient entrées en collision à l’origine. Toutefois, il sera difficile de confirmer cette théorie car ces galaxies sont très faibles, et donc difficiles à observer en détail.

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UN GRAND MYSTÈRE

Même si des questions subsistent quant à ce potentiel empilement galactique, certains scientifiques estiment que cette explication de la manière dont ces galaxies faibles en matière noire se sont formées et développées est plausible.

« Elle est intéressante pour plusieurs raisons », déclare Mike Boylan-Kolchin, de l’université du Texas à Austin, qui étudie la matière noire et la formation des galaxies. « La raison la plus importante, c’est qu’elle permet d’expliquer simultanément plusieurs aspects du système. »

Il ajoute que, si l'hypothèse est confirmée, elle pourrait aider les astronomes à mieux comprendre à quel point la matière noire est « collante » – si elle s’ignore elle-même tout comme elle ignore la matière ordinaire, ou si elle interagit avec elle-même à un certain degré. De plus, selon lui, le fait que la collision galactique fournisse une explication concernant les étranges amas d’étoiles dans DF2 et DF4 est particulièrement intéressant.

« L’un des grands mystères de ces systèmes, c’est qu’ils semblent avoir ces amas d’étoiles excessivement massifs : mais pour quelles raisons ? » dit Boylan-Kolchin. « Cette collision entre les galaxies fournit vraiment un mécanisme de la production de l’ensemble supplémentaire d’amas plus massifs. »

Cependant, certains autres astronomes n'en sont pas encore aussi convaincus.

« C’est le début d’un grand mystère, d’une certaine manière », déclare Michelle Collins, de l’université du Surrey, qui étudie la formation des galaxies. Selon elle, à ce stade, le scénario est extrêmement spéculatif, et nous ne savons pas si les galaxies fondatrices proposées contenaient suffisamment de masse pour produire ce qu’ont observé van Dokkum et ses collègues.

Il est également essentiel de connaître les distances entre les onze galaxies qui composent la supposée traînée de débris afin de vérifier si elles font partie du même système, ou si elles sont alignées par hasard d’une manière qui nous donne l’impression qu’elles sont liées – de la même manière que certaines étoiles, pourtant situées à des distances très différentes de la Terre, peuvent sembler proches les unes des autres lorsqu'on les observe.

« Nous ne disposons pas de suffisamment de données pour exclure le fait que ces galaxies ne soient pas comme une constellation », explique-t-elle. « Il est tentant d’attribuer des significations à des modèles. »

La confirmation de la théorie de la collision prendra du temps mais, pour van Dokkum, ses prédictions sont vérifiables. Il souhaite par exemple étudier les amas stellaires de DF4 et comparer leur âge à ceux de DF2. Si ces âges correspondent, cela suggérerait fortement que les deux galaxies ont une histoire commune.

Il va également orienter le télescope Hubble vers d’autres membres présumés de la traînée de débris pour voir s’ils présentent les mêmes étranges amas d’étoiles, mais aussi pour mesurer leurs mouvements et leur distance afin de déterminer s’ils font effectivement partie de la même structure.

Avec un peu de chance, l’équipe pourrait même examiner de près les deux galaxies peu lumineuses situées à chaque extrémité de la traînée et tenter de déterminer s’il s’agit de vestiges des galaxies d’origine. Mais ce projet pourrait devoir attendre la prochaine génération de télescopes terrestres, ou le télescope spatial James Webb de la NASA.

« Ce serait incroyable », estime van Dokkum. « Mesurer ces galaxies serait le Saint Graal de ce système. »

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