« Nous sommes français ou françaises, mais nous ne sommes pas "fier·es d'être français·es"» : dans cette tribune, un large ensemble de personnalités, de journalistes, d'enseignant·es, de soignant·es, militant·es et avocat·es (parmi lesquelles Annie Ernaux, David Dufresne, Guillaume Meurice, Edwy Plenel ou encore Claude Ponti) s'inquiètent de la montée des idées d'extrême droite dans les propositions politiques et l'espace public.
Après avoir été soulagés de ne pas voir arriver l’extrême droite en tête aux législatives, nous constatons pour autant que ses idées imprègnent de plus en plus fortement les propositions politiques, l'espace public et médiatique.
Certains se permettent d'exprimer des assertions sur le mode « les Français pensent que... », souvent suivies de commentaires sur l'immigration, l'insécurité et d'autres sujets de société chers aux courants populistes. D’autres mettent en cause l’État de droit et toutes les garanties qu’il assure à la démocratie, au bon fonctionnement des institutions et à l’égalité des droits.
Or l'opinion des Français et des Françaises est multiple et nuancée, et nous avons tenu à exprimer la nôtre, sur des sujets de sociétés trop souvent déformés.
Nous sommes français ou françaises, mais nous ne sommes pas « fier·es d'être français·es »
Nous aimons notre pays, mais nous restons lucides : pour la plupart d’entre nous, nous n'avons absolument rien fait pour être français·es, nous ne pouvons donc en être fier·es. Une personne étrangère qui a traversé des déserts et la mer, au risque de sa vie, puis a demandé et obtenu la nationalité française, a fait mille fois plus que ceux et celles qui, comme nous, ne sont français·e que par le fruit du hasard. Ces personnes étrangères sont légitimes à en être fières, pas nous.
Quant à ceux et celles qui répètent que « la France est le plus beau pays du monde », nous doutons qu'ils ou elles aient visité les 194 autres pays pour vérifier. Cette déclaration n'est qu'une tentative démagogique visant à flatter le nationalisme des personnes qui tirent une fierté injustifiée de leur lieu de naissance.
Nous sommes français·es, et nous ne pensons pas qu'il y ait trop d'immigration. Les déplacements de population sont naturels, ils ont toujours fait partie intégrante de l’humanité. Pour autant, les plus pauvres n'ont tout simplement pas la possibilité de partir de leur pays de façon légale, même si leur vie y est menacée, quand les plus riches, dont nous faisons partie, peuvent migrer facilement pour améliorer leur confort de vie. Et surtout ce sont d’abord les déplacements forcés (1 personne sur 69 dans le monde) qui augmentent le plus ces dernières années or la France n’accueille qu’une toute petite part d’entre eux. Nous considérons qu'il serait juste de tendre vers une égalité de liberté de circulation et d'installation de tous les êtres humains. D’autant plus que notre niveau de vie très consommateur de ressources, attise les conflits et le réchauffement climatique générateurs de migrations forcées. Nous ne craignons pas que l'identité française disparaisse à cause de l'immigration ; nous pensons au contraire qu'elle ne peut que s'enrichir de la rencontre en son sein de toutes les cultures du monde.
Nous sommes français·es, mais nous refusons de mettre un signe égal entre délinquance et immigration. Les mécanismes qui mènent à la délinquance sont d'ordre sociologique : précarité, mal-logement, difficultés d'accès à l'emploi et à l'éducation, et le genre. Les hommes, toutes nationalités confondues, représentent 48% de la population mais 90% des délinquants. Si les hommes n’étaient pas plus délinquants que les femmes, 80 % de la délinquance serait évitée et 150 prisons deviendraient inutiles. Pour lutter contre la délinquance, nous considérons qu'il faut combattre le patriarcat, la précarité, le mal-logement, les discriminations, et investir dans l’éducation. Se focaliser sur la nationalité témoigne davantage d’une instrumentalisation que d’une réelle volonté de lutter contre l’insécurité.
Nous sommes français·es, mais nous ne considérons pas que le « pouvoir d'achat » doit être le guide ultime de notre société, ni des politiques menées. Nous ne glorifions ni la rentabilité ni la compétitivité économique.
La « préférence nationale », soutenue par un large panel de partis politiques, nous semble profondément injuste et raciste. Elle n’est qu’un instrument de division loin de toute justice sociale et des valeurs élémentaires de solidarité.
Nous sommes français·es, et nous considérons que le terme « wokisme » est dévoyé par celles et ceux qui refusent de se mobiliser contre les discriminations. Cette lutte représente pourtant une évolution salutaire de prise de conscience des croisements et accumulations du racisme, du sexisme et autres ségrégations dont les victimes sont nombreuses.
Nous sommes français·es, athé·es ou de religion chrétienne, juive ou musulmane, nous avons des convictions diverses mais nous partageons certaines valeurs, notamment l'éthique de réciprocité, présentes dans toutes les religions :
« Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux » dans le christianisme, « Ne fais pas ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse » dans le judaïsme, « Aucun d'entre vous ne croit vraiment tant qu'il n'aime pas pour son frère ce qu'il aime pour lui-même » dans l'islam, et sa version laïque, l'article premier de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ».
Nous sommes français·es, et nous sommes convaincu·es qu'une société qui oblige des êtres humains à quitter son territoire pour des raisons administratives est une société qui a perdu son humanité. Un taux élevé de réalisation des OQTF ne serait pas pour nous une victoire, mais le symptôme d'une forme de barbarie sociétale, qui refuse de voir les situations individuelles derrière chaque expulsion.
Nous sommes français·es mais nous n’opposons pas la Nation et l’individu. Nous appelons à un projet de société visant l’émancipation des individus, à un contrat social tourné vers l’avenir et le progrès et fondé sur la solidarité et l’entraide car nous sommes conscient·es de nos interdépendances. Nous considérons que les idées des extrêmes droites ne respectent pas les valeurs auxquelles nous sommes attaché·es. Si l'extrême droite venait à appliquer ses propositions en France, ce serait le fruit de manipulations de l'opinion, organisées par des médias en réalité asservis à un projet politique élaboré par des puissances financières imposant leur idéologie. Nous considérerions alors comme légitime de nous poser la question du recours à la désobéissance civile.
En résumé, nous sommes français·es, mais nous refusons d'être défini·es par des discours populistes, des mensonges et des stéréotypes. Nous revendiquons un autre projet de société : notre France est celle de l'ouverture, de la diversité et de l'égalité.
Nous avons été soulagé·es que le front républicain éloigne pour un temps la menace d’une rupture du contrat social déjà fragilisé par le premier quinquennat du président Macron, mais nous pouvons vérifier que le combat est loin d’être gagné puisque le résultat des urnes n’a pas été respecté. Nous le poursuivrons de toutes nos forces pour assurer une plus grande égalité entre les citoyens et les citoyennes, quelles que soient leurs origines. Partout dans les villes et dans les campagnes, dans les tours et dans les bourgs, nous sommes sûr·es que la société civile poursuit la bataille culturelle, et mobilise tous les moyens de regagner le terrain vérolé par l’idéologie de l’extrême droite. Nous n’aurons de cesse de la faire reculer !
C’est pourquoi nous, signataires de cette proposition, revendiquons une voix au chapitre : nous sommes français·es nous aussi, et nous rejetons les discours extrémistes des populistes qui veulent nous englober. Nous l’affirmons : ils ne parlent pas en notre nom !
Cette tribune a été rédigée par :
Marie-Pierre Barrière, enseignante et bénévole associative
Marie Cosnay, écrivaine
Olivier Scaglia, journaliste et bénévole associatif
David Torondel, graphiste et bénévole associatif
Marie-Christine Vergiat, juriste et ancienne députée européenne
Les premiers signataires :
Michel Agier : anthropologue
Annie Ernaux : écrivaine
Jean Baubérot : historien et sociologue
David Dufresne : écrivain et réalisateur
Priscillia Ludosky : militante justice sociale
Guillaume Meurice : humoriste et auteur
Edwy Plenel : journaliste et cofondateur de Mediapart
Marie-Caroline Saglio-Yatzimirski : directrice de l'Institut Convergence Migration
Catherine Wihtol de Wenden : directrice de recherche au CNRS
Valentine Zuber : historienne - VP de la vigie de la laïcité.
Les autres signataires :
Laure-Hélène Accaoui : directrice littéraire
Hakim Mohammed Addad : militant politique et associatif antiraciste
Wadih Al Asmar : président d'honneur d'EuromedDroits
Gérard Alle : auteur réalisateur
Audrey Ambrugeat : médiatrice artistique
Judith Aquien : cofondatrice de l’école Thot
Pascal Arnaud : éditeur
Fanette Arnaud : médiatrice littéraire
Sandrine Bagarry : réalisatrice
Antoine Barraud : cinéaste
Mamoudou Bassoum : champion d'Europe de taekwondo
Edmond Baudoin : auteur de bandes dessinées
Agnès Benedetti : psychanalyste
Alice Beriot : traductrice et anthropologue
Arno Bertina : écrivain
Christophe Bertossi : sociologue et directeur de l’institut pour la démocratie
Agnès Biihl : chanteuse
Stéphane Bikialo : professeur de langue et littérature française et directeur de l'UFR lettres et langues - Université de Poitiers
Marie-Hélène Boblet : professeur émérite des Universités en langue et littérature française
Dominique Bondu : médiateur littéraire
Jacques Bonnaffé : comédien
Vincent Bonnecase : historien et politiste
Marie Bonnet : comédienne
Alima Boumediene-Thierry : avocate
Michel Broué : mathématicien : prof. émér. Univ. Paris Cité
Virginie Brunet : directrice d’un Centre d'hébergement d'urgence et CAES
Nicole Caligaris : écrivaine
Jean-François Castell : réalisateur
Véronique Cerasoli : militante féministe pour les droits des personnes LGBTI+
Patrick Chamoiseau : écrivain et soutien depuis la Martinique où les choses se posent différemment
Florent Cheippe : comédien
Monique Chemillier Gendreau : professeure émérite de droit public
Adrien Chennebault : musicien
Agnès Cluzel : membre du bureau national du MRAP
Hélène Combes : directrice de recherche : CNRS
Sarah Coulaud : comédien·ne
Dominique Coulot : médecin psychiatre
Martine Cribier-Kozyra : secrétaire de l'Apardap
Antoine De Clerck : entrepreneur et militant associatif
Laurence De Cock : essayiste et historienne
Jean-Michel Delarbre : co-fondateur RESF
Pierre Delye : conteur-écrivain
Mady Denantes : médecin généraliste
Élisabeth Didier : ancien médecin du COMEDE
Jean-Pierre Dubois : professeur retraités des universités
Catherine-Lise Dubost : co-fondatrice d'Eole
Delphine Edy : enseignante - chercheuse et critique et traductrice
Claire Escoffier : socio-anthropologue
Camille Escudero : plasticienne
Michel Fadat : enseignant - éducateur - formateur
Marine Francen : cinéaste - co-présidente de la srf
Armelle Gardien : militante du Réseau Education sans frontières
Bernard Garnier : comédien et coordinateur du collectif Troisième bureau
Laëtitia Gaudin : réalisatrice
Gaël Giraud : directeur de recherche au CNRS en économie
Sylvie Gouttebaron : directrice Maison des écrivains et de la littérature
Samuel Grzybowski : activiste
Mireille Grubert : architecte
Cyrille Hanappe : architecte et ingénieur et maître de conférence à l’ENSA et Paris Belleville
Nadia Hathroubi-Safsaf : journaliste et auteure
Nadia Henni-Moulaï : journaliste-auteure
Isabelle Ingold : réalisatrice
Sylvie Jobert : comédienne metteuse-en-scène
François Journet : psychiatre et Membre du COMEDE et SPPNI
Etienne-Pascal Journet : chercheur CNRS
Lise Journet : médecin généraliste
Pascal Jourdana : éditeur
Roxane Julien : dirigeante d’entreprise
Vanessa Kryceve : Fondatrice et Directrice Générale du RECHO
Claire Lallement Hurlin : Avocate
Nicole Lapierre : socio-anthropologue et directrice de recherche émérite au CNRS
Grégory Lebert : travailleur social
Claire Lecoeur : passeuse d’écriture
Andreas Lemaire : librairie Myriagone
Florence Lenoble : formatrice
Armelle Mabon : historienne
François Mandil : militant de l'éducation populaire
Philippe Mangeot : enseignant
Valérie Malek : réalisatrice
Gus Massiah : ingénieur économiste
Yann Manzi : cofondateur Utopia56
Jean-Charles Massera : artiste et écrivain
Daphné Mervoyer : paysanne
Catherine Milkovitch Rioux : Professeur des universités
Marc Mercier : président d’honneur du Réseau Euromed France (REF)
Stephane Mercurio : cinéaste
Claire Mestre : psychiatre et anthropologue et Association Ethnotopies
Jean-Pierre Mignard : avocat
Julia Montfort : journaliste et autrice
Georges Monti : Le temps qu’il fait - éditeur
Gérard Mordillat : cinéaste
Yoram Mouchenik : professeur Emérite de psychologie
Agathe Nadimi : présidente de l'association les midis du MIE
Michaël Neuman : directeur d'études au CRASH - MSF
Valérie Osouf : réalisatrice
Noémie Paté : sociologue
Marie Payen : artiste de théâtre
Vivianne Peremeluter : réalisatrice
Eric Pessan : écrivain
Céline Piques : militante et autrice féministe
Philippe Piéron : citoyen solidaire
Thomas Poitevin : comédien
Bérangère Pont : L’ire des marges - éditrice
Claude Ponti : auteur de littérature jeunesse
Romain Potocki : réalisateur de documentaires
Jean-Luc Raharimanana : écrivain
Martin Rass : résident germano-français
Stéphane Ravacley : ancien boulanger
Fabrice Riceputi : historien
Jane Sautière : écrivaine
Camille Schmoll : géographe
Jonathan Schupak : cinéaste
Christian Soupène : photographe
Fabienne Światły : autrice
Flore Tercero : avocate
Irène Terrel : avocate
Benoît Teste : secrétaire général de la FSU
Sébastien Thiéry : artiste-chercheur et coordinateur des actions du PEROU
Laurent Thines : neurochirurgien
Florence Tholly : accompagnatrice de projets
Maryse Tripier : sociologue de l’immigration
Pascal Troadec : adjoint au maire de Grigny
Caroline Troin : autrice agitatrice
Françoise Valéry : éditrice indépendante - l'Attente
Anaïs Vaugelade : autrice et illustratrice éditrice
Arnaud Veïsse : médecin
Dominique Viart : professeur émérite - université Paris Nanterre
Laurence Vilaine : écrivaine
Lise Vorgy : psychosociologue et clinicienne du travail
Lise Wajeman : professeure des universités
Jean-Jacques Yvorel : historien
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