Monsieur Adélaïde,
Nous sommes aujourd’hui le samedi 16 novembre, trois jours après que vous ayez décidé de nous quitter à pas feutrés, plongeant beaucoup de vos étudiants, collègues, amis et parents dans la consternation. Et pourtant nous vous savions malade et diminué.
Bazile vous a emporté en son royaume et sans doute ploierez- vous sous le poids des éloges bien mérités, car vous avez eu le parcours d’un bâtisseur et d’un phare. Et je sais comment vous avez été affecté par certaines orientations et décisions, sans doute votre formation d’historien vous a-t-elle permis de relativiser. Vous avez eu une trajectoire si riche, êtes une personnalité diverse, d’où la difficulté pour moi d’appréhender en totalité vos facettes. J’évoquerai donc mon Adélaïde à moi, un homme profondément ancré dans son espace, dans ses territoires et qui pensait ensemble.
Il y a aujourd’hui près de soixante ans, la première promotion d’étudiants en lettres du CESL s’installait à l’Ecole normale du morne Ferret à Pointe-à-Pitre. Vous étiez un de nos professeurs. Je ne me souviens pas de cours sur l’histoire des Antilles. Y en avait-il ou les avais-je meurés ? En revanche je me rappelle d’un que j’ai longtemps gardé, jusqu’à la préparation des concours du CAPES et de l’agrégation. Je revoie ces projections de diapositives où vous nous donniez l’échelle des monuments d’Athènes et de Delphes par votre taille ou simplement en embrassant les colonnes des temples. Mais ce qui m’avait le plus impressionné, c’était votre présentation de la démocratie athénienne, votre accentuation sur ses perversions dont la démagogie et la tyrannie. Je me suis toujours demandé si votre insistance n’était pas un moyen indirect de souligner les limites politiques contemporaines et une mise en garde déguisée aux étudiants que nous étions alors. Depuis cette entrée timide et difficile dans le monde des études, pensez donc un ouvrage pour 50 étudiants, le temps a passé et j’ai envie de vous retracer la partie que je connais de votre itinéraire. Ce désir est légitime parce que nous avons hélas dans ce pays la mémoire courte et à géométrie variable. Trop souvent le quotidien et les divergences font le lit de l’amnésie.
Qu’avez-vous donc fait au cours de ce long demi-siècle ? Comme la matière est abondante je m’attacherai à une partie seulement de vos activités : vos publications et la Société d’histoire de la Guadeloupe.
Membre fondateur de cette société en 1963 alors que vous étiez professeur au Lycée Gerville-Réache, vous l’avez présidée pendant plus de 40 ans et vous en avez fait une société savante dont le bulletin est consulté dans les universités du monde entier. C’est une vieille dame qui continue son action, après avoir, sur certains plans, suppléé l’absence d’université et de service patrimoniale. Aujourd’hui elle s’attache encore à tenir les deux bouts de la corde – favoriser la recherche et vulgariser les savoirs.
Monsieur, cher maitre vous avez beaucoup écrit et beaucoup publié. Construire l’Histoire Antillaise, le mélange qui vous a été offert quand vous partiez en retraite a comptabilisé 65 occurrences. La réalité est largement au-delà de ce chiffre. Vous-même aviez-vous une idée de tout ce que vous avez pu écrire. Des travaux de recherche, bien sûr, à l’exemple de l’étude essentielle consacrée à la naissance du mouvement ouvrier en Martinique. Si ma mémoire est bonne, c’est E. Delépine qui nous expliquait votre côté précurseur : « Alors que nous tous faisions nos diplômes sur La Grèce ou Rome, il se consacrait déjà à l’histoire des Antilles ». Cette analyse du mouvement ouvrier était aussi un moyen de vous situer et d’indiquer votre orientation non seulement historique mais aussi politique. Vous l’aviez d’ailleurs déjà fait dans une petite publication étudiante Trait-d’union, au sein de l’AGEM et même du Front Antillo-guyanais. Elle s’affirmera plus tard dans une autre revue en 1966 Conscience antillaise dont le comité de rédaction comptait Victor Cécile, Gérard Olivier, Alain Aboso et des plus jeunes comme Jean-Claude Courbain, Raymond Boutin et Guy Longa. Cette vision antillaise et caribéenne a été une constante dans votre action.
A ce travail initial, il faut ajouter les nombreuses monographies. Je pense à la Guadeloupe en 1802. Vous avez voulu aussi porter à la connaissance du public la matière première des historiens, les documents. Vous l’avez fait, parfois sur vos propres deniers, souvent en collaboration avec d’autres historiens ou par le truchement de la SHG. Les plus emblématiques demeurent le Cahier de marronnage du Moule et la Rébellion de la Guadeloupe en 1802.
Vous n’avez pas négligé la vulgarisation. Toutes les formes, tous les moyens, toutes les techniques ont été sollicités ; le disque vinyl, les cassettes audios, les chroniques à la radio et à la télévision, les articles dans la presse quotidienne.
Historial antillais et Histoire des communes ne sont pas seulement important par leur contenu. Il me semble que la symbolique est forte. Vous avez en effet su solliciter un large échantillon de chercheurs et bien souvent des jeunes, des débutants que je ne citerai pas, par crainte d’en oublier. Beaucoup ont confirmé par la suite.
Vous n’avez pas négligé la pédagogie et avez proposé aux enseignants des ouvrages en fonction des niveaux. Et certains ont encore l’outrecuidance d’affirmer 40 ans après, on ne nous a rien appris.
Enfin vos courriers de protestation aux différentes autorités chaque fois que vous débusquiez un travestissement de la vérité historique. Je pense plus particulièrement à la lettre adressée à Gérard Depardieu et au metteur en scène de Christophe Colomb
Enfin je voudrais m’arrêter sur votre vision de la Caraïbe. Celle-ci ne se limite pas aux îles, elle englobe la partie continentale de la méditerranée caribéenne. Cette vision large vous a conduit très tôt avec deux autres collègues des West Indies, à créer l’ACH, l’association des historiens de la caraïbe à Pointe-à-Pitre. Vous étiez encore en avance et cette association est peut-être l’une des plus anciennes associations caribéennes. Elle tient toujours son congrès annuel dans un des territoires.
En conclusion vous avez dans des conditions difficiles lancer la construction de l’histoire antillaise. L’historienne Danielle Bégot rend bien compte du contexte quand elle écrit : « Nous étions dans la position du maçon qui doit en même temps creuser les fondations et couvrir l’édifice. » Les esprits pointilleux diront vous que n’étiez pas seul. C’est juste, ils auront raison. Votre grand mérite a été d’entrainer beaucoup d’entre nous. D’autres jugent votre production trop classique sans doute parce qu’ils ignorent les problématiques que vous avez initiées, celle de l’esclavage urbain, celle de la démographie, celle de la fête.
Monsieur Adélaïde-Merlande, Merci.
Pour rester dans une tonalité moins académique, Adé, c’est ainsi que nous vous nommions affectueusement, mèsi on pil.
Raymond Boutin
Rien de plus facile que de modifier la constitution. Lire la suite
En droit français actuel PERSONNE ,même pas Macron ne peut "octroyer" l'indépendance à un territo Lire la suite
C'est ce que l"Angleterre a fait dans la Caraïbe anglophone et personne ne la déteste à Grenade, Lire la suite
Un référendum ne servira à rien. Lire la suite
Dans ma grande naïveté j'étais persuadé que cette interrogation s'adressait à Albè qui dit la mêm Lire la suite