Tahiti, le 14 septembre 2023 - Classée langue en danger par l’Unesco, le reko pa'umotu risque de disparaître si sa transmission n’est plus assurée. Bien qu’il soit parlé, enseigné et doté d’une Académie, sa diffusion est tout de même en perte de vitesse
“Ka reko mai i te reo o te haga Tupuna, kia ora rātou nā roto i ki tō koutou vaha”, “Parlez la langue de vos ancêtres pour qu'ils revivent à travers votre bouche”. Plus qu’un simple vœu, c’est une prière qu’adresse Jean Kape aux jeunes pour qu’ils parlent le pa’umotu, classé langue en danger par l’Unesco. Quand on sait que la langue d’un peuple est le support même de sa culture, le reko pa’umotu mériterait qu’on lui accorde plus d’importance.
Sont considérées “vivantes”, les langues parlées par des locuteurs qui l’utilisent spontanément pour communiquer. Tel est heureusement le cas de la langue pa’umotu usitée aux Tuamotu et à Tahiti. Elle est également enseignée à l’Université de la Polynésie française dans la filière spécialisée des langues polynésiennes. En devenant une discipline obligatoire, l'apprentissage de cette langue au sein de l'enseignement supérieur participe de facto à sa sauvegarde. De même, la mise au point d’outils à destination des enseignants par l’Académie pa'umotu se révèle être un véritable fer de lance pour la diffusion du reko pa’umotu.
En plus de son apprentissage oral, le reko pa'umotu peut également se lire. C’est ce que Tuāmotu te kāiga, depuis sa parution en 2001, permet aux lecteurs francophones. En effet, en supplément de la langue vernaculaire, l’ouvrage livre une traduction française. Animés par la volonté de promouvoir leur archipel, les auteurs de la publication ont voulu immortaliser les temps forts du premier festival des langues et cultures des Tuamotu qui s’est déroulé l’année précédente.
Six ans plus tard, l’archipel aux 76 atolls s’est vu doté d’un nouveau livre : Nāku teie hakari, écrit par les mêmes auteurs. Des efforts considérables finalement récompensés en 2008 par la création de l’Académie pa’umotu. Également appelé Kāruru Vānaga ou “la case de la connaissance, de la parole”, l’aréopage réunit les natifs des sept aires linguistiques des Tuamotu à savoir : le mihiroa, le vāhitu, le parata, le tapuhoe, le faŋatau, le maraŋai et le nāpuka.
Outre sa diffusion scolaire et académique, le pa'umotu est encore parlé par les jeunes à l’image de Taŋihia qui nous explique les raisons de sa bonne maîtrise des langues polynésiennes. “Pour le reo tahiti et le reko pa’umotu, j’ai beaucoup pratiqué, j’ai fait beaucoup de 'ōrero quand j’étais petit. Pour le tahitien, j’ai vécu beaucoup dans la religion, on est amené à lire beaucoup la Bible, je pense que c’est ce qui m’a aidé à maîtriser mieux le tahitien.” L’étudiant précise : “La majeure partie de mon apprentissage du reko pa'umotu me vient de mes parents”.
Une maîtrise de la langue qui lui donne un certain prestige car en plus de son rôle de président de l’association Reo et porte-parole à l’UPF, le tamariki Ŋanā est aussi souvent sollicité pour débattre de politique sur les plateaux télévisés. Conscient d'être passé entre les mailles du filet, il ajoute : “J’ai réalisé que notre langue est en train de disparaître, donc moi-même j’ai voulu garder cette langue-là. Par la suite, ça a été plus facile pour moi d’apprendre le tahitien et aujourd'hui, je suis fier de pouvoir dire que je maîtrise les deux langues.”
Cependant, les locuteurs de la langue des Tuamotu sont de moins en moins nombreux. En cause, une transmission intergénérationnelle rompue, comme l’explique Mary Walworth, directrice de recherche en linguistique au Max Planck Institute : “Plusieurs raisons expliquent la difficulté de préserver des langues minorées comme le pa’umotu, mais la plus importante est la coupure de la transmission intergénérationnelle. Ça veut dire que les enfants n'apprennent plus les langues. C'est une situation grave parce que cela diminue le nombre de locuteurs, entraînant ainsi un impact négatif sur la place de la langue dans la société. Si les jeunes ne parlent pas, s'ils ont l'impression que les autres langues sont prioritaires en termes d’éducation, de réussite professionnelle ou de religion, ils ne vont pas voir l'importance de leur propre langue et cela peut être un frein à la préservation de celle-ci.”
À la question : est-ce que le reo pa'umotu se porte bien aux Tuamotu ?, Joana Hauata, originaire de Ŋanā et académicienne du Kāruru Vānaga, répond : “On aimerait dire oui, mais ne nous voilons pas la face. Ce n'est peut-être qu'un ressenti de ma part, mais je pense que la langue pa’umotu est en déperdition depuis les années 2000. La transmission intergénérationnelle n'est plus assurée entre la tranche d'âge de 40 ans et les plus jeunes. Et pourtant, la tranche des 30 et 40 ans s'exprime en pa’umotu entre eux, mais pas avec leurs enfants. Ces derniers comprennent le reo pa'umotu mais préfèreront s'exprimer en français.”
En plus d’un héritage linguistique de moins en moins relayé, la langue polynésienne au sept variétés dialectales est dévalorisée et peine à trouver une place dans la société. “Nos ancêtres ont nommé toute chose dans leur environnement : faune, flore, avifaune, milieu marin, les noms des poissons, les espaces terrestres, marins, lagonaires, les cycles… C'est un patrimoine linguistique et culturel extraordinaire que nous, les enfants, ne connaissons pas, parce qu'il n'est plus transmis. Le français est la langue de la réussite scolaire, sociale, donc dominante. Même dans nos paroisses catholiques, le tahitien et le français sont les langues dominantes !” poursuit l'académicienne.
Il est indéniable que le reko pa’umotu est une langue en déperdition. Supplantée par le français et le reo tahiti, elle reste tout de même vivante, écrite et parlée par plusieurs générations.
“Les langues sont également un moyen de se connecter avec le passé et de créer simultanément une identité unique pour l'avenir. Même s'il peut sembler que le français ou l'anglais ou même le tahitien soient plus prestigieux ou ‘meilleurs’, chaque langue compte et fait partie de notre histoire humaine collective” soutient Mary Walworth.
Un renouveau de la langue pa'umotu est possible. Les académiciens ont fait leur part, les parents de Taŋihia ont fait la leur. Sur le même principe, Mary Walworth a déjà travaillé sur la langue en question dans le cadre de recherches en linguistique historique pour retracer les liens entre les langues océaniennes. Un travail qui lui permet de trouver les chemins de migration et d’échange de l’époque pré-européenne.
Depuis janvier 2023, elle dirige un nouveau projet portant sur “la documentation de la variété de Marokau”. “C'est le début d'un projet plus grand de par la documentation de ces langues menacées, mais aussi de par une meilleure compréhension des différences entre les variétés pa’umotu qui nous permettent de mieux comprendre l'histoire des peuples dans la région des Tuamotu mais aussi dans l'est de la Polynésie en général.” Pour ce faire, la science a pu bénéficier de la sagesse de Māmā Toŋimatariki Vāna'a-Temahuki, originaire de Marokau et locutrice de la variété Tapuhoe.
Ces connaissances de la langue conjuguées au travail de recueil de son petit-fils ont permis à la communauté de Marokau de disposer d’un lexique de près de 2 500 mots en langue autochtone. Une publication de cet authentique trésor lexical devrait voir le jour dans le courant de l’année prochaine. “Mea viru tō tātou reko, ka reko i tō koe reko, auraka e oŋaoŋa tō te tahi”, “Notre langue est belle, cesse de parler celle des autres, parle ta langue”, nous confia-t-elle un jour lors d’une séance d’enregistrement.
Combattre l'héritage colonial
Les Pa’umotu mènent un combat sur deux fronts bien distincts, celui qui les oppose au français et celui contre le reo tahiti. La prédominance de ces deux langues entrave la diffusion de la langue des Tuamotu. “Derrière la coupure de la transmission se cache généralement la dominance d'une autre culture ou langue”, explique Mary Walworth, directrice de recherche en linguistique au Max Planck Institut. “Dans l'histoire, ce n'est pas toujours dû au colonialisme, mais dans le cas de la Polynésie française, il y a bien sûr un lien. Même la dominance de la langue tahitienne dans les autres îles est liée au colonialisme.”
Alexandre François, linguiste français, réagit face au déclin de la langue natale des Pa'umotu : “Je dirais que les langues s'éteignent surtout du fait des changements de mode de vie et de l'érosion rapide des situations sociales d'exposition à cette langue. Faute d'une exposition régulière, la langue n'existe plus que virtuellement et il ne suffira plus d'apprendre des listes de mots ou des phrases grammaticales à l’école. Cela ne suffit pas car il faut être exposé à la langue parlée spontanément, de manière fluide.”
Face aux difficultés que rencontre la communauté pa'umotu pour diffuser sa langue, les spécialistes et les locuteurs eux-mêmes sont unanimes dans leurs réponses : il faut relancer la transmission. En effet, “les adolescents sont la clé”, estime Alexandre François. Dans le même sillage, la linguiste du Max Planck Institute affirme : “Les enfants sont le futur, il faut cibler la transmission intergénérationnelle pour revaloriser les langues et leur importance culturelle parmi les jeunes ”. “Vous êtes le train en marche pour créer ses outils, vous, les étudiants”, lâche l’académicienne Joana Hauata.
Une société entière à réorganiser
Dans le but de préserver et diffuser le reko pa’umotu, le rôle joué par les établissements scolaires est essentiel. Joana Hauata, académicienne du Kāruru Vānaga, rappelle la nécessité de se munir d’outils didactiques et pédagogiques. Une idée soutenue par le linguiste Alexandre François qui voit dans l’enseignement du pa’umotu à la maternelle et au primaire, un moyen de “consolider et d’augmenter le temps d’exposition à la langue. Pas juste un enseignement théorique avec une liste de vocabulaire mais des conversations, des histoires, des jeux dans la langue…”
“Il faudra un ministre à la hauteur de ces enjeux”, réplique Joana Hauata. Outre le support des infrastructures scolaires, l’académicienne compte sur la caste politique, atout majeur selon elle pour protéger sa langue maternelle. Pour la native des Tuamotu, chacun a sa part de travail et ce, “même s'il faut faire de la politique pour cette vision de la préservation de notre langue, car la politique, c'est toujours elle qui décide. Il faut donc être du côté des décideurs et décider les bonnes orientations, les bons choix en faveur de nos langues maternelles.”
Une plus large diffusion sur les réseaux sociaux, c’est ce que préconisent aussi les linguistes. “Aujourd'hui, les réseaux sociaux sont de plus en plus importants comme domaines culturels, surtout pour les jeunes, donc il faudrait si possible créer des espaces sur les réseaux sociaux comme Facebook, TikTok, Twitter”, soutient Mary Walworth. Alexandre François souligne aussi l’importance de la radio et la télévision. “Pas seulement le journal télévisé en pa'umotu, mais aussi des dessins animés pour les enfants. Vaiana en pa’umotu, pourquoi pas ?”
Il faut être un sacré farceur pour faire croire aux Martiniquais qu'un deuxième Cuba est possible Lire la suite
...toute la "classe politique" (qui n’est d’ailleurs pas une "classe sociale") sur le même plan ? Lire la suite
...ou ka trouvé tout diks-li, òben yo ka viré enprimé tou sa i fè-a vitman présé! Lire la suite
...À une époque pas si lointaine, l’adjectif qualificatif "national" était fréquemment utilisé po Lire la suite
ce sera très drôle! Lire la suite