Rentrée littéraire 2025 : une nouveauté en chasse une autre, quand la chaîne du livre doit suivre

La rentrée littéraire de septembre 2025 compte 484 références, soit 5,45% de plus qu'en 2024 (459 romans).

A partir de la mi-août, la rentrée littéraire est une fête, annonçant la promesse d'émotions et de découvertes. Elle est aussi pour les librairies un regard posé sur les piles d'ouvrages amenés à se déplacer au gré d'une économie qui ne jure que par la nouveauté. Car en moyenne, un nouvel arrivage ne reste que 40 jours sur les tables de nouveautés des librairies. Que deviennent-ils ensuite ? Sont-ils directement détruits ? Quelles actions les acteurs du livre mettent-ils en place pour faire vivre leurs ouvrages ? 

Au mur, des dessins et des suspensions bohème plongent la librairie L’instant, dans le quinzième arrondissement de Paris, au coeur d'un univers chaleureux et boisé. En ce jour caniculaire de l'été, alors que Sandrine Babu, gérante de la librairie, s'occupe de conseiller des clients étrangers venus découvrir la littérature française, Sylvestre, employé depuis trois ans, range plusieurs ouvrages dans des cartons empilés au fond de la boutique. Comme les plus de 3000 librairies indépendantes qui existent en France, Sandrine et Sylvestre se préparent à la rentrée littéraire d'août-septembre 2025.

Cette année, à compter du 13 août, 484 références doivent paraître, soit 5,45% de plus qu'en 2024 (459 romans). Pourtant, à côté de la rentrée littéraire, le nombre de nouveautés à l'année, tend à baisser : selon le Syndicat national de l'édition (SNE), il y a 19 % de nouveautés en moins en 2024 qu'en 2019. Une tendance qui s'explique par une prudence éditoriale et une économie plus resserrée. "La production était exponentielle depuis une vingtaine d'années, analyse Anaïs Massola, librairie et créatrice de l'Association pour l'écologie du livre(Nouvelle fenêtre). Mais depuis 2-3 ans, avec la hausse du prix du papier et de l'énergie, on assiste à une diminution de la production. C'est principalement dû à une question de coût, pas à une volonté de moins produire."

Les livres retournés : soit réinjectés, soit détruits

Comme chaque mois, mais encore plus pendant l’été, la librairie L'instant passe en rayon ses plus de 7000 livres, et détermine ceux qu'elle va retourner aux éditeurs. Le choix se fait selon plusieurs paramètres, auxquels le logiciel de gestion de livres Tite-Live, très utilisé par les librairies indépendantes, donne accès : le taux de présence de l'ouvrage dans les autres librairies, sa date d’entrée sur les étagères de la librairie et son nombre de ventes.

Le taux de retour de la librairie L'instant, c'est-à-dire le pourcentage de nouveautés reçues par la librairie, invendus pendant une période et ensuite renvoyés au fournisseur, est de 13 %. C'est inférieur à la moyenne des librairies indépendantes, qui se situe aux alentours de 18 %, selon les chiffres Syndicat de la librairie française(Nouvelle fenêtre). "Un retour reste pour nous toujours un échec", admet Sandrine Babu. Lorsqu'elle retourne un livre, l'éditeur le rembourse au prix de vente initial, sans les frais de port. Une compensation économique agréable certes, mais qui nécessite tout de même de l'organisation logistique et du temps de manutention.

Sandrine Babu, gérante de la librairie L'instant à Paris, prépare des cartons de retours avant la rentrée littéraire de 2025. (PAUL RIPERT / FRANCEINFO CULTURE)

Sandrine Babu, gérante de la librairie L'instant à Paris, prépare des cartons de retours avant la rentrée littéraire de 2025. (PAUL RIPERT / FRANCEINFO CULTURE)

Le retour met en action toute la chaîne du livre. Une fois les cartons faits par les libraires, les ouvrages rendus sont acheminés jusqu'à des entrepôts de stockage, gérés par des distributeurs. Ces derniers travaillent en lien avec les éditeurs, en s'occupant de la préparation des commandes, des expéditions et, donc, du stockage.

Une fois le livre retourné, deux possibilités s'ouvrent : soit le livre est en bon état et l'éditeur estime qu'il peut encore se vendre, il va alors être réinjecté dans une autre librairie (ou bien gardé en stockage) ; soit le livre est en mauvais état, du fait de son exposition en librairie ou du transport, et alors celui-ci va être envoyé au pilon (autrement dit détruit). "Imaginez un livre que vous recevez, qui est resté plusieurs mois en librairie et qui a pris la poussière, qui a été consulté. Après, c'est très difficile de le remettre en circulation. Si vous envoyez l'équivalent d'un livre d'occasion à un libraire et que vous lui facturez au prix de vente initial, ce n'est pas envisageable", juge pour franceinfo Culture Jean-Marc Levent, directeur commercial aux éditions Grasset. En 2022, 25 000 tonnes d'ouvrages ont été pilonnées, soit 60 % de l'ensemble des retours, selon des chiffres du SNE(Nouvelle fenêtre).

Une accélération du flux : une "aberration" écologique et éditoriale

Ces dernières années, les acteurs de la chaîne du livre constatent une accélération des flux aller et retour des ouvrages. Une économie de surproduction qui pousse à publier toujours plus, créant de fait des retours de livres toujours plus rapides. L'ouvrage bascule alors d'un bien culturel à un bien de consommation. "Pour les libraires, c'est difficile de suivre les ouvrages sur le temps long. Ils ont des espaces limités et doivent renouveler leurs offres. Ce n'est pas une plus grosse quantité de production qu'on observe, mais une accélération, qui est une aberration écologique et du temps perdu pour les libraires à faire de la logistique et de la manutention", s'indigne Serendip-Livres, diffuseur-distributeur qui veille à favoriser la bibliodiversité tout en évitant la surproduction.

Une aberration écologique, mais aussi éditoriale. Nombreuses sont les nouveautés qui ne restent que quelques jours sur les tables de nouveautés des libraires, avant d'être rangées ou retournées. Alors, certains acteurs de la chaîne du livre se mobilisent pour allonger les durées d'exposition. Par exemple, à la librairie L'instant, on garde les nouveautés en moyenne entre 5 mois et un an. Pour le diffuseur-distributeur Serendip, la durée de conservation de l'ouvrage est établie dans les conditions générales de vente auprès des librairies. "C'est un usage dans l'interprofession et le seul verrou qui nous reste à l'heure actuelle : tout nouveau livre doit être conservé trois mois minimum avant d'être retourné", expliquent les gérants.

Pour André Markowicz et Françoise Morvan, qui ont lancé la maison d’édition Mesures en 2018, la lutte contre l'accélération des flux est devenue un combat primordial. Ces derniers publient cinq livres par an et travaillent uniquement avec des librairies qui assurent qu'elles garderont leurs livres de manière indéterminée. "On donne aux libraires 40 % du prix de vente, expliquent-ils. Ce sont eux qui décident qu'ils vont défendre ce livre. On ne fait presque jamais de dépôt, et nous n'acceptons jamais les retours."

Réduire la surproduction : la trêve des nouveautés

Les deux gérants de la maison d'édition pointent du doigt, comme beaucoup d'autres indépendants, la surproduction des grands groupes. "Un livre chasse l'autre. Indépendamment de la nature du livre et de sa qualité. Les gros éditeurs pensent qu'ils ne peuvent vivre que de leurs nouveautés." Une dépendance qui s’observe notamment pendant les périodes de rentrées littéraires. "La rentrée littéraire ne se joue pas en librairie, elle se joue dans les réseaux d’information et de communication, affirment les gérants de Serendip. Pour les gros éditeurs, la logique est d’occuper le plus d’espace possible de la table des librairies, pour écraser la concurrence." "Les grands groupes font plus de marketing et de commercial que de création littéraire", assène André Markowicz des Éditions Mesures.

Pour éviter que le livre ne devienne une objet de consommation banal, les acteurs de la chaîne du livre actionnent plusieurs leviers : refuser les retours, garder le livre plus longtemps en librairie, ou encore produire moins mais plus finement. C’est la voie adoptée en majorité par les grandes maisons d'édition. Celles-ci surveillent leur tirage, avec l’aide de logiciels qui calculent au plus près le nombre possible de ventes, leur évitant ainsi la surimpression.

"Les grands groupes ont adopté une politique de chasse au gâchis. Ils gardent leur système de production actuel dans lequel ils sont coincés, mais essayent de le faire mieux et plus précisément.”

Anaïs Massola, Association pour l'écologie du livre

Franceinfo Culture

Une amélioration soulignée, mais qui ne suffit pas selon l’Association pour l'écologie du livre. “Avec leurs logiques de concurrence et de trésorerie, c’est impossible pour eux de baisser leur production. Ce qu’on leur reproche, c’est de ne pas être lucides là-dessus. S’ils avaient l’honnêteté de dire : notre système ne nous permet pas de basculer dans un environnement plus écologique, alors on commencerait à réfléchir à des solutions, peut-être au niveau étatique. Mais non, ils s’offusquent de notre discours.”

Alors, l’Association s’est mobilisée. De janvier à juin 2024, une vingtaine de librairies ont lancé la trêve des nouveautés, “un bras de fer avec les diffuseurs des grands groupes”. Cette action a consisté en la mise à l’arrêt partielle ou totale des achats d’offices (nouveautés). À la suite de l’expérimentation, l’Association en a conclu qu’il n’y avait pas eu de baisse du chiffre d’affaires significative pendant la période de la trêve. Après des entretiens avec les librairies concernées réalisés par l'Association, il en ressort que le non-achat de nouveautés a permis un rattrapage d’achat de livres de fonds et de récentes nouveautés passées sous silence. Fort de ce constat, l’Association et les librairies partenaires ont renoué la trêve de mars à avril 2025.

Des livres de la rentrée littéraire dans les rayonnages d'une librairie de Bourges, le 21 août 2024. (PIERRICK DELOBELLE / MAXPPP)

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