Tony Delsham, le maître de la littérature populaire antillaise

Raphaël Confiant

    Difficile d'imaginer aujourd'hui à quel point les livres de Tony Delsham ont connu du succès dans la deuxième moitié du siècle dernier !

   Il avait créé sa propre maison d'édtion, MGG (Martinique-Guadeloupe-Guyane), et se chargeait lui-même de les diffuser dans ces trois pays avec un retentissement que je lui enviais secrètement. C'est qu'à cette époque, je m'auto-éditais également mais mes ouvrages étant tous en créole, ils ne parvenaient à toucher presqu'aucun public. Au bout de cinq livres, je me suis découragé et sans être le moins du monde hostile au créole, Delsham fut l'un de ceux qui parvint à me convaincre qu'il fallait aussi écrire en français.

   Je l'ai connu et fréquenté samedi matin pendant une quinzaine d'années au comité de rédaction de l'hebdomadaire ANTILLA aux côtés d'Henri Pied, Alfred Fortuné, Guy Cabort-Masson, Michel Ponnamah, Patrick Chamoisau et bien d'autres. Tony était un formidable journaliste qui avait le sens de l'actualité, savait rédiger des articles percutants et faire des interviews sans complaisance. C'était l'époque__année 1980-2000__où l'Internet était balbutiant et la presse-papier très influente. Les réseaux sociaux n'existaient pas encore et donc ces réactions à chaud, appelés posts, ce mélange de brièveté et d'opinions doctement assénées. Tony Delsham était un journaliste à la fois de terrain et d'investigation. Il vérifiait ses sources et ses articles n'étaient pas les clones des "coups de gueule" d'aujourd'hui mais des reportages précis et détaillés. Il fut le rédacteur en chef rigoureux d'ANTILLA qui n'hésitait pas à censurer mes articles parfois outranciers, m'enseignant ce qu'il nommait joliment "notre bonne vieille sagesse créole".

   C'est cette attention au réel qui a forgé son écriture romanesque et fait de ses livres un témoignage inestimable de la sensibilité antillaise et guyanaise de cette époque. D'aucuns, parmi les grankrek et autres auteurs édités à Paris troussaient le nez sur des romans comme Lapo Farine que le grand public s'arrachait alors que Delsham était le maitre de la littérature populaire de nos pays. Il permit à des générations peu au fait de la lecture de se plonger dans celle-ci bien qu'il ne s'adonnât guère aux séances de signature en librairie. Il n'en avait tout simplement pas besoin. Chacun de ses livres faisait mouche ! 

   Paradoxalement, ce fut l'avènement (inattendu !) du mouvement de la Créolité dans la dernière décennie du 20è siècle qui freina quelque peu son succès alors même que nous étions tous amis et écrivions dans le même journal chaque semaine. Mais freiner ne signifie pas arrêter et Delsaham continua à publier avec détermination jusqu'à ce qu'hélas, la maladie le rattrape. Aujourd'hui se pose un problème : ses livres sont quasiment introuvables faute d'avoir été réédités. Seul Caraibéditions se soucia de sauver ce véritable patrimoine littéraire en republiant en 2019 Papa, est-ce que je peux venir mourir à la maison ?, mais pour que l'oeuvre de Delsham soit sauvée de l'oubli encore faudrait-il que nos institutions et autes collectivités daignent s'intéresser à notre extraordinaire (pour un si petite île !) patrimoine non pas seulement littéraire mais livresque. Il aurait fallu qu'un fond de réédition des textes de nos historiens, anthropologues, sociologues, psychologues, économistes etc... fut créé afin d'aider nos éditeurs locaux. Qu'il me soit permis de rendre hommage à Emile Désormeaux qui, sur ses propres fonds, republia nombre d'entre eux. Ce n'est toujours pas le cas en ce 21è siècle et tous ces ouvrages ne sont plus disponibles que dans les bibliothèques (désormais peu fréquentées) ou en ligne (bon courage à celles et ceux qui sont disposés à lire un ouvrage de 200 pages sur un écran !). 

   Tony Delsham fut un nationaliste au sens non borné, non dogmatique du terme, quelqu'un qui tout en fréquentant, pour son travail de journaliste, la Békaille, la Mulâtraille, le Peuple et les Métros, ne développait aucun ostracisme de classe ou de race. Il savait où se trouvait l'intérêt supérieur de la Martinique, notion oubiée ou inconnue de nos jours, et savait donner aux uns et aux autres les coup de griffe qu'ils méritaient. J'ai beaucoup appris à ses côtés quand bien même nous avions souvent des différends sur tel ou tel sujet. Il savait résoudre ces derniers à l'aide de son humour parfois grinçant.

   Son silence toutes ces dernières années a fait qu'il est très peu connu des nouvelles générations. Reste à espérer que ce natif du Nord de la Martinique (Grand-Rivière), région qui a donné Frantz Fanon (La Trinité), Edouard Glissant (Sainte-Marie), Le Lorrain (Jean Bernabé, Raymond Relouzat et Raphaël Confiant), Basse-Pointe (Aimé Césaire, Léonard Sainville), Saint-Pierre (Raphaël Tardon, Jeanine Lafontaine dite Jala), Case-Pilote (Xavier Orville), Le Carbet (François Kichenassamy), Le Morne Rouge (Françoise Ega) etc...__pardon pour ce petit excès de chauvinisme nordiste !__reste à espérer que son oeuvre sera rééditée un jour !

Commentaires

La réédition !

Veyative

18/07/2024 - 19:11

C'est exactement ce qui m'est aussi venu à l'esprit à l'annonce de son décès. Et cette sensation désagréable d' un peu de nous même qui s'en va petit à petit...Cela a quand même déclenché un réflexe chez moi:présenter immédiatement cet écrivain à ma petite fille adolescente et lui demander de me faire plaisir, en lisant un de ses livres. J'ai choisi , : "Xavier,le drame d' un émigré antillais à Paris". Au bout de plusieurs minutes de lecture, elle a réclamé d'en lire d'autres....

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