Ukrainien VS Russe: laquelle des deux langues a besoin de protection ?

La question de la langue n’a jamais été facile en Ukraine, et elle est devenue particulièrement aiguë depuis l’indépendance. L’Ukraine est un pays multilingue où l’on parle l’ukrainien, le russe, le roumain, le hongrois, le polonais, le tatar de Crimée, le gagaouze bulgare et d’autres langues encore. Depuis 2003, l’Ukraine a ratifié la Charte européenne des langues régionales et s’est engagée à protéger les langues régionales du pays. Dans le même temps, les langues les plus populaires sont l’ukrainien et le russe, étant donné que le russe est la langue de l’ancienne métropole, et maintenant Etat voisin, qui depuis 2014 est devenu un Etat agresseur. C’est la confrontation entre les langues ukrainienne et russe qui s’est souvent transformée en instrument de lutte politique dans le pays et qui a fait l’objet de nombreuses manipulations. Quel est le modèle multilingue en Ukraine? Pourquoi la Charte européenne des langues régionales ne convient-elle pas à la protection de la langue russe et qu’est-ce qui peut changer la nouvelle loi linguistique? – Voilà l’analyse de l’UCMC.

Qu’est-ce qu’un modèle multilingue?

Dans le monde moderne en général, et en particulier en Europe, il existe beaucoup de pays avec deux ou plusieurs langues officielles. Il existe des Etats dans lesquels les langues autres que la langue principale ont un statut spécial ou particulier, ou bien elles sont parlées sans aucun cadre juridique. C’est le cas de la Belgique, l’Irlande, la Suisse, l’Espagne, et beaucoup d’autres. Dans tous les pays la tendance au multilinguisme augmente à la suite des processus migratoires et de la mondialisation. La situation des langues en Ukraine peut évidemment être comparée à la situation dans certains pays de l’UE. Mais en même temps, il serait erroné de ne pas prendre en compte la similitude de la situation ukrainienne avec la situation dans les pays postcoloniaux. Pour des raisons historiques, l’Ukraine a pendant des siècles fait partie de l’Empire russe, puis de l’URSS, et historiquement, la langue russe a obtenu un statut supérieur dans la société ukrainienne.

L’asymétrie linguistique. En Ukraine, les faits historiques de l’absence d’un Etat propre et de la relation avec la Russie affectent encore le phénomène de ce qu’on appelle «l’asymétrie linguistique». A partir de la déclaration d’indépendance, une majorité écrasante de la population de l’Ukraine (en 2001 – 67,5% de la population) indique que l’ukrainien est sa langue maternelle, mais il faut prendre en compte non seulement ce choix officiel, mais aussi l’utilisation pratique de la langue. Au moment de l’indépendance de l’Ukraine, seuls 49,3% des étudiants ukrainiens étudiaient l’ukrainien. Depuis son indépendance, l’Ukraine restaure progressivement l’enseignement de la langue maternelle dans les écoles, et en 2012, 81,9% des écoliers suivaient une scolarité en ukrainien. Cependant, même l’éducation n’apporte pas une dynamique positive dans l’utilisation pratique de la langue. Aujourd’hui, 68% des Ukrainiens considèrent l’ukrainien comme leur langue maternelle, plus de 80% font leurs études en ukrainien, mais seuls 50% le parlent à la maison. Et encore moins, 39% seulement, l’utilisent au travail. Par conséquent, les Ukrainiens reconnaissent comme étant leur langue maternelle et acquièrent une éducation dans une langue qu’ils n’utilisent pas dans la vie professionnelle.

Les langues maternelles en Ukraine selon le recensement du 2001 

«Les locuteurs du russe en Ukraine ne sont actuellement pas plus nombreux que les locuteurs de l’ukrainien, mais ils ont encore beaucoup plus de pouvoir», – Volodymyr Kulyk, politologue et spécialiste des langues.

Des barrières linguistiques solides et diffuses. La particularité de la situation en Ukraine consiste, entre autre, dans l’impossibilité de définir clairement le territoire de la «minorité linguistique» qui parle le russe. Le russe n’est pas la langue d’une région ou d’une résidence homogène de minorités, c’est la langue de l’ancienne métropole qui, pour beaucoup d’Ukrainiens, a encore un statut plus élevé que l’ukrainien. À titre de comparaison, la situation en Ukraine est à l’opposé du modèle de la Suisse, où l’État est créé à partir de cantons multilingues, et il n’y a pratiquement pas de mélange de langues. Dans le modèle suisse, la règle de l’adaptation est la suivante: en traversant la limite du territoire d’une langue, une personne doit passer à la langue parlée dans la région voisine. En Ukraine, la situation est différente. Très peu de gens croient que «ma langue est seulement l’ukrainien ou seulement le russe»: la plupart parlent couramment ou suffisamment couramment les deux langues. La question est de savoir comment diviser les sphères d’utilisation et les domaines de compétence pour les langues, lorsque la plupart des citoyens utilisent librement ou suffisamment couramment les deux langues.

La Charte européenne régionale des langues régionales et l’Ukraine

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires adoptée à Strasbourg le 5 Novembre 1992, vise « la protection et le développement des langues régionales historiques et des langues minoritaires en Europe». Elle a été ratifiée par l’Ukraine en mai 2003. Conformément à la loi sur la ratification de la Charte en Ukraine, ses dispositions sont applicables aux langues des minorités nationales: biélorusse, bulgare, gagaouze, grecque, juive, tatare, moldave, allemande, polonaise, russe, roumaine, slovaque et hongroise.

La philosophie de la Charte: le livre rouge. La Charte protège non seulement le droit des citoyens à parler telle ou telle langue, mais surtout les langues elles-mêmes, en les préservant de l’extinction – tout comme l’espèce «Livre rouge» des plantes ou d’animaux.

L’Ukraine: protection du plus fort, et non pas du plus faible. De nombreux experts estiment que l’erreur politique pour l’Ukraine cela n’a pas été la signature et la ratification de la Charte, à savoir l’inclusion de la langue russe dans la liste des langues régionales «minoritaires». Après tout, la Charte vise les langues minoritaires: celles utilisées par une minorité menacée de disparition ou de déclin. Dans le cas du russe en Ukraine, ce n’est pas la réalité. La ratification de la Charte est devenue un outil supplémentaire pour les forces politiques qui ont cherché à appliquer les mécanismes de protection de la Charte à la langue qui prévaut déjà. Cela conduit à la discrimination de l’ukrainien,’une langue qui est formellement la langue de la majorité, mais de fait celle de la minorité.

«En Ukraine, trois langues auraient besoin de protection, si on se base sur les recommandations de la Charte européenne: la langue des Tatars de Crimée, celles des Karaïtes (leurs porteurs vivent en Crimée) et des Gagaouzes, dont les représentants se trouvent dans la région d’Odessa»– Olexandre Ponomaryov,  linguiste, professeur.

Qu’est-ce qui peut changer la nouvelle loi linguistique?

Quelle est l’essence de la loi? Le projet de loi numéro 5670 «Sur la langue d’Etat» adoptée pour remplacer la loi déclarée inconstitutionnelle de Kivalov-Kolesnichenko  ne régit que l’utilisation de la langue d’Etat (l’ukrainien), et ne concerne pas les langues minoritaires. La loi ne concerne pas les communications privées et les cérémonies religieuses, parce que la loi ne présente pas de restrictions supplémentaires pour le citoyen moyen. Toutefois, la loi prévoit l’obligation de parler la langue officielle pour tous ceux qui occupent les postes de la fonction publique, pour les enseignants, les travailleurs de la santé, et réglemente l’utilisation de la langue d’État dans les sphères gouvernementales et publiques de la vie sociale (la publicité, les médias, l’éducation, la science, les événements culturels, les informations sur les marchandises, les services, les soins de santé, le transport ect).

La loi et la réalité. Très souvent, des malentendus commencent lorsque des observateurs de l’extérieur de l’Ukraine ne comprennent pas des choses évidentes pour les Ukrainiens: à savoir, l’aspect non contraignant de la mise en œuvre des lois. Dans un État de droit, si quelque chose est inscrit dans la loi, alors cela suffit. En Ukraine, ce n’est pas toujours le cas. Malgré le statut de l’ukrainien en tant que langue d’État depuis 25 ans, de nombreux politiciens ukrainiens ne parlent toujours pas ukrainien par principe.

«Dans la réalité de la bureaucratie ukrainienne, il faut que cela soit consigné dans les instructions des fonctionnaires. Ils sont beaucoup plus susceptibles de vivre selon les instructions qui régissent leurs activités que selon les normes directes de la loi. En outre, une volonté politique est nécessaire. La loi n’est appliquée que lorsque quelqu’un insiste sur son utilisation.

Par exemple, la loi Kolesnichenko prévoyait le statut d’État de la langue ukrainienne sur l’ensemble du territoire, ainsi que le statut régional du russe et d’autres langues dans certaines régions. Le statut régional russe a été approuvé dans toutes les régions de l’est et du sud. Et cette loi n’a pas non plus été suivie. La grande majorité des documents sont écrits uniquement en ukrainien, bien qu’ils devaient l’être dans les deux langues, et la communication orale se faisait uniquement en russe, bien qu’elle aurait dû être laissée au libre choix des citoyens. Ni les droits des ukrainophones, ni ceux des russophones ne sont garantis. Cela fonctionne comme cela convient aux fonctionnaires», Volodymyr Kulik, politologue.

La nouvelle loi – contrôle de l’exécution. C’est pour cette raison que la nouvelle loi prévoit des mécanismes de contrôle et des inspections. La loi établit le poste de Commissaire à la protection de la langue d’Etat et un service des inspecteurs des langues. Ils procéderont à des examens linguistiques et à des inspections linguistiques dans le secteur public et dans d’autres sphères publiques où l’utilisation de l’ukrainien est obligatoire. Mais, bien sûr, cela n’interférera pas avec la sphère de la communication privée entre les citoyens. Quand la loi sera-t-elle adoptée et comment elle fonctionnera dans la pratique – le temps nous le dira.

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    Albè

    24/11/2024 - 08:31

    Il faut être un sacré farceur pour faire croire aux Martiniquais qu'un deuxième Cuba est possible Lire la suite

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    Albè , mon cher, peut-on mettre...

    Frédéric C.

    23/11/2024 - 23:38

    ...toute la "classe politique" (qui n’est d’ailleurs pas une "classe sociale") sur le même plan ? Lire la suite

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    Jid, sa vré! Sé lè on mizisiyen ka mò...

    Frédéric C.

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