D’après les derniers relevés du télescope spatial Hubble, l’expansion de l’Univers serait plus rapide que ce que les modèles scientifiques annonçaient. C’est peut-être le signe qu’un agent inconnu est à l’œuvre dans le cosmos.
C’est une des plus grandes énigmes de l’astronomie moderne : toutes nos observations du cosmos montrent que les étoiles et les galaxies s’éloignent plus vite les unes des autres que ne le prédisent les meilleurs modèles cosmologiques. Cela fait maintenant plusieurs années que l’existence de ce mystère est avérée, et certains chercheurs vont jusqu’à affirmer qu’une crise se profile à l’horizon dans le domaine de la cosmologie.
Pour tenter d’élucider cette énigme, un groupe de chercheurs a récemment compilé un ensemble de données massif et inédit tiré du télescope spatial Hubble. Leur conclusion : il y a une chance sur un million que l’écart qu’ils ont identifié soit une coïncidence. Autrement dit, il n’a jamais paru si évident qu’un ingrédient fondamental du cosmos (ou l’effet d’un des ingrédients connus) manquait à l’appel.
« L’Univers nous fait beaucoup de surprises, et c’est une bonne chose car cela nous aide à apprendre », commente Adam Riess, astronome de l’Université Johns-Hopkins qui a supervisé les dernières recherches en date sur cette anomalie.
Cette énigme est également connue sous le nom de « tension de Hubble », du nom du célèbre astronome Edwin Hubble. En 1929, celui-ci s’est aperçu que plus une galaxie est éloignée de nous, plus sa vitesse de fuite est élevée. Cette observation a ouvert la voie à notre modèle cosmologique actuel selon lequel l’Univers est en expansion depuis le Big Bang.
Les chercheurs emploient deux méthodes pour mesurer le taux d’expansion de l’Univers : soit ils mesurent directement la distance qui nous sépare d’étoiles voisines, soit ils se reportent au fond diffus cosmologique (CMB), le plus ancien rayonnement à nous parvenir. Ces deux approches permettent de tester la vision que nous avons de l’Univers et de ses plus de 13 milliards d’années d’histoire cosmique. Ce type de recherches a également permis de faire émerger des ingrédients cosmiques cruciaux comme « l’énergie noire », la force mystérieuse qui serait à l’origine de l’accélération de l’expansion de l’Univers.
Mais il y a un conflit entre ces deux méthodes : elles ne concluent pas au même taux d’expansion. Il y a une différence d’environ 8 % entre les deux. Cet écart peut sembler faible, mais s’il se vérifie, l’énergie noire seule ne suffira plus à rendre compte entièrement la vitesse de l’expansion de l’Univers ; de fait, notre modèle cosmologique serait alors incomplet.
Les découvertes récentes, décrites dans plusieurs études soumises la semaine dernière à la revue The Astrophysical Journal, s’appuient sur des types particuliers d’étoiles et d’explosions stellaires pour établir la distance qui nous sépare de galaxies voisines. L’ensemble de données inclut les observations de 42 explosions stellaires différentes, soit plus du double de la plus grande étude réalisée jusqu’alors. D’après l’équipe de recherches, la tension entre leurs nouvelles analyses et leurs résultats de mesures du cosmos primitif a atteint cinq sigmas (le seuil statistique auquel on se reporte en physique subatomique pour confirmer l’existence d’une nouvelle particule).
Selon d’autres astronomes, il est tout de même possible que les données comportent des erreurs et que la tension de Hubble ne soit donc qu’un artéfact.
« J’ignore comment une erreur aussi énorme pourrait se cacher à ce niveau. Et si c’est le cas, il s’agira d’une chose à laquelle personne n’a pensé », concède Dan Scolnic, astronome à l’Université Duke. « Nous avons passé en revue toutes les idées qui se sont présentées à nous, et rien ne fait l’affaire. »
La tension de Hubble provient de tentatives de mesures ou de prédictions du taux d’expansion actuel de l’Univers, plus formellement nommé « constante de Hubble ». Grâce à celle-ci, les astronomes peuvent estimer l’âge de l’Univers depuis le Big Bang.
On peut obtenir la constante de Hubble en observant le fond diffus cosmologique (CMB), un rayonnement fossile apparu quand l’Univers n’avait que 380 000 ans. Des télescopes comme l’observatoire Planck, mis en orbite par l’Agence spatiale européenne (ESA), ont pu réaliser des relevés du CMB, nous fournir des clichés détaillés de la façon dont l’énergie et la matière étaient alors distribuées dans l’Univers primitif, et nous en apprendre plus sur les lois physiques qui le gouvernaient.
Grâce à un modèle capable de rendre compte de différentes propriétés de l’Univers avec une précision spectaculaire (le modèle Lambda - CDM), les cosmologistes peuvent accélérer mathématiquement l’Univers primitif tel qu’observé sur le fond diffus cosmologique et prédire ce que la constante de Hubble est censée être aujourd’hui. Cette méthode prédit que le taux d’expansion de l’Univers devrait être de 67,36 kilomètres par seconde par mégaparsec (un mégaparsec étant égal à 3,26 millions d’années-lumière).
Pour mesurer la constante de Hubble, d’autres équipes préfèrent observer l’Univers « local », c’est-à-dire les étoiles et les galaxies assez récentes se trouvant dans notre voisinage relatif. Cette façon de calculer exige de connaître deux types de paramètres : la vitesse de fuite d’une galaxie par rapport à nous et la distance à laquelle elle se trouve. Pour cela, les astronomes doivent établir une « échelle des distances cosmiques ».
Dans la nouvelle étude, l’échelle mise au point par SHoES, l’équipe de recherche d’Adam Riess a commencé par mesurer la distance qui nous sépare d’un certain type d’étoiles variables, les céphéides. Les céphéides sont importantes car elles agissent en quelque sorte comme des lumières stroboscopiques de luminosité connue : leur éclat varie à intervalles réguliers, et plus une céphéide est lumineuse, plus sa période de pulsation est lente. À partir de ce principe fondamental, les astronomes estiment la magnitude absolue (ou irradiance intrinsèque) de céphéides encore plus lointaines en utilisant leur période de pulsation et parviennent ainsi calculer la distance à laquelle elles se trouvent.
Pour agrandir la portée de leur échelle, certains astronomes y ajoutent des « barreaux » qui correspondent à un certain type d’explosion stellaire, les supernovas thermonucléaires. En étudiant les galaxies qui contiennent à la fois des céphéides et une supernova thermonucléaire, les astronomes peuvent déterminer le lien entre la luminosité d’une supernova et leur distance. Et comme les supernovas thermonucléaires sont bien plus lumineuses que les céphéides, on peut les observer de bien plus loin. Ainsi, les astronomes sont capables d’étendre leurs mesures à des galaxies nichées dans les profondeurs du cosmos.
Le problème est qu’il est diaboliquement difficile d’effectuer des relevés sur toutes ces étoiles et ces supernovas. D’un point de vue technique, toutes les céphéides et les supernovas thermonucléaires ne se ressemblent pas : celles-ci ont des compositions et des couleurs différentes et ne se trouvent pas toutes dans le même type de galaxie. Cela fait des années que les astronomes essaient de trouver un moyen de rendre compte de cette diversité de paramètres mais il est extrêmement difficile de s’assurer qu’il n’y a pas une source d’erreur cachée qui influerait sur les échelles mesurées.
Pour le savoir, une équipe de recherche (Pantheon+) a analysé minutieusement 1 701 relevés de supernovas thermonucléaires réalisés depuis 1981. Leur analyse a tout fait pour quantifier les incertitudes connues et les sources de biais.
« Nous prenons par exemple en compte des choses comme la météo qu’il faisait et l’oculaire d’un télescope en novembre 1991 – et c’est rude », affirme Dan Scolnic, qui co-dirige Pantheon+ en compagnie de Dillon Brout du Centre d’astrophysique d’Harvard-Smithsonian.
Les découvertes de l’équipe ont alimenté les analyses récentes d’Adam Riess et de ses collègues. Après un recoupage exhaustif des facteurs susceptibles d’influer sur les observations de céphéides, l’équipe a généré sa nouvelle estimation de la constante de Hubble (la plus précise à ce jour) : 73,04 kilomètres par seconde par mégaparsec, à 1,04 près. C’est environ 8 % de plus que la valeur déduite à partir du CMB par l’observatoire Planck.
L’équipe s’est également évertuée à tester les idées de chercheurs extérieurs au projet pour expliquer cet écart. En tout, ils ont réalisé 67 versions différentes de leur analyse, et certaines tombaient même sur une tension de Hubble supérieure…
« Nous avons écouté, il me semble, attentivement beaucoup d’inquiétudes et d’interrogations, explique Adam Riess. Ça ne sort pas de nulle part […]. »
Néanmoins, Wendy Freedman de l’Université de Chicago travaille depuis plusieurs années sur une estimation qui arrive à se passer de la période de pulsation des étoiles. Elle utilise à la place un groupe spécifique de géantes rouges qui se comportent elles aussi comme des ampoules de luminosité connue. En s’appuyant sur ces « chandelles standards » alternatives, des objets dont on connaît la magnitude absolue, Wendy Freedman parvient à une estimation indépendante de 69,8 kilomètres par seconde par mégaparsec pour la constante de Hubble. Cette mesure se situe donc entre les deux autres.
Selon Wendy Freedman, même si l’équipe a travaillé de manière irréprochable, il pourrait tout de même y avoir des erreurs latentes qui ont influé sur leur analyse et donné l’illusion d’une tension. Elle ajoute que certaines sources d’incertitude sont tout bonnement inévitables. Il n’y par exemple que trois galaxies assez proches de la Voie lactée pour qu’on puisse mesurer leur distance directement, et le fondement de l’échelle de distances cosmiques repose sur ce trio.
« Trois, c’est un petit chiffre, mais c’est ce que la nature nous a donné », relativise Wendy Freedman.
Les équipes Pantheon+ et SHoES ont longuement étudié les résultats de Wendy Freedman (ainsi que ceux d’autres chercheurs). Certaines de leurs analyses s’intéressent à ce qui se passe si on ajoute le type d’étoile choisi par Wendy Freedman à l’échelle de distances cosmiques en plus des céphéides et des supernovas thermonucléaires. Et d’après eux, le fait d’inclure ces étoiles supplémentaires ne fait chuter que très légèrement la constante de Hubble (et cela n’élimine donc pas la tension).
Si la constante de Hubble reflète bien notre réalité physique, alors il faudra ajouter un nouvel élément à notre liste des ingrédients fondamentaux de l’Univers si on veut pouvoir l’expliquer.
Un des candidats théoriques les plus sérieux, l’énergie noire, propose un bref sursaut d’énergie noire environ 50 000 ans après le Big Bang. En principe, un petit ajout d’énergie noire aurait suffi à influer assez sur l’expansion de l’Univers primitif pour résoudre la tension de Hubble sans trop bouleverser le modèle cosmologique standard.
Mais alors, selon les estimations des cosmologistes, l’âge de l’Univers passerait de 13,8 à 13 milliards d’années seulement.
« Il y a beaucoup de questions quant à la raison pour laquelle il faudrait introduire cette chose inédite qui apparaît et disparaît d’un coup – ça semble un peu étrange », déclare Mike Boylan-Kolchin, astrophysicien à l’Université du Texas à Austin. « Mais nous en sommes à un point où, si ces choses sont vraiment si irréconciliables, alors peut-être qu’il faut commencer à regarder vers les coins bizarres de l’Univers. »
Pour l’instant, il n’y a aucune preuve tangible de l’existence d’une énergie noire primitive, bien que certains indices commencent à pointer le bout de leur nez. En septembre, les opérateurs du télescope cosmologique d’Atacama, spécialisé dans l’étude du fond diffus cosmologique, ont annoncé qu’un modèle prenant en compte l’énergie noire correspondait mieux à leurs données que le modèle standard de la cosmologie. Mais les données du télescope spatial Planck ne collent pas. Il faudra donc davantage d’observations pour élucider le mystère.
D’autres observatoires pourraient permettre de résoudre le problème de la tension de Hubble. Le satellite Gaia, lancé par l’ESA, cartographie la Voie lactée depuis 2014 et génère des estimations de plus en plus précises de la distance qui nous sépare de plusieurs étoiles de notre galaxie, notamment des céphéides. Le télescope spatial James-Webb, qui sera lancé vers le 24 décembre, devrait permettre aux astronomes de revérifier les relevés de Hubble sur certaines étoiles.
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